il y a quelque chose qui a changé. il y a une énergie qui diffère, un grain qui rend la déglutition douloureuse, une frustration qui le fait ruminer.

oui dans ce tout tout-à-fait effrayant, le regard de sohan a changé. il le sait bien parce que leonard sait tout, il voit l'intégralité du monde avec des prunelles lapis qui terrassent les détails et les gobent en son coeur. du moins il a aimé pendant longtemps les attentions de sohan, leurs rires et la simplicité d'une relation entre garçons.
oui il aime sincèrement sohan, d'une fraternité interdite aux filles, cette relation masculine un peu spéciale un secret bien gardé dans les couloirs.

du moins c'est ainsi qu'il imagine la chose.

il a lu beaucoup de livres où l'être aimé de l'héroïne avait ce lien précieux avec les autres gars et il aspire à la même sérénité où il n'y a place pour aucun tremblement. aucune fissure éternelle, aucunes blessures mortelles.
non, il veut la confiance du silence.

et pourtant - et pourtant ça s'est brisé et il sait bien pourquoi, il ne peut pas l'ignorer, il ne peut vraiment pas daigner de faire semblant que c'est invisible, mais refuse de purement le voir. alors leonard ignore parce que sohan n'en parle pas. il oublie les détails de la colère, maudit inconsciemment saada, et s'étouffe dans l'illusion que cela reviendra tranquillement, de soi-même.
oui, il n'y a décidément rien à faire.

pourtant l'adolescent est de plus en plus perturbé par l'attitude de son aîné à son égard. leonard ne veut pas la fin, il ne veut pas perdre sohan : il ne veut pas que tout cela se termine en un drame au nom d'un amour qui le débecte. c'est plus joli dans les livres tout cela, dans la vraie vie les filles ne sont que des pantonymies de spectres, et il ne faut pas la démesure pour l'irréel.
dans une timidité presque touchante (et sincère sans aucun doute) il s'avance. il n'y a plus qu'eux qui traînent au niveau des casiers des vestiaires. il enfile son t-shirt. eh, t'es un peu bizarre en ce moment, ça va ? naïf et candide, sa cruauté bête et méchante finira bien vite par lui coûter.

il a le goût des pluies diluviennes sur la langue, les grosses gouttes de déception roulant - dégueulasses et amères. ça fait peur. ça fait peur. il veut lui dire à sohan à quel point il craint sa colère et qu'il voudrait repartir de zéro si cela suffisait. tout cela, c'est trop facile : ses erreurs doivent être payées avec du sang et des larmes, ou du moins avec ses plus sincères sentiments.
ce n'est pas évident ça, quand on a seize ans et encore toutes ses dents, on ne se rend pas encore compte du confort d'avoir le choix et de pouvoir s'éloigner comme on le veut des responsabilités. ce n'est pas évident ça, de se rendre compte du poids des mots et de la déception dans le regard de ceux qu'on aime.

les enfants d'ici ne connaissent pas ça. ils peuvent imaginer les œillades sans tendresse de leur famille s'ils venaient à rater, si on leur confirmait qu'effectivement ils s'avèrent être des monstres mais rien de plus. ils ne peuvent pas deviner le remord d'avoir raté quand il est question du sang.
leonard fait semblant d'ignorer celui qui le lie avec maximilien.

il déteste le fait que sohan n'en fasse pas de même avec saada. sa moue coïncide drôlement avec son coeur serré et leonard ne sait pas quoi dire dans l'immédiat car il sait que sohan a raison - mais est pour l'instant trop fier pour le reconnaître.
c'est que tu n'es pas ta soeur en fait. elle est assez grande pour gérer ses histoires avec moi. il a la gorge serrée mais il s'efforce de parler comme un homme. alors je vois vraiment pas pourquoi ça vient sur le tapis et tu me menaces comme ça. il voudrait lui dire tant d'autres choses beaucoup moins amères mais rien ne sort pour l'instant. il en faut du temps aux vilains garnements pour regarder dans les yeux sans ciller.

leonard pourrait dire mille choses qui séparent saada et sohan - le plus grand crime de cette première est d'être une fille. c'est terrible dans son esprit qu'il condamne pour ce simple fait, cette simple remarque : c'est une fille alors la voilà méprisable, la voilà descendue à un stade où elle devrait prendre la parole, mais pas trop tout de même.

sohan lui fait bien comprendre qu'effectivement, saada est bien gentille avec lui et que tout le monde n'est pas doué d'un tel détachement permettant d'éviter moultes histoires. ah oui leonard n'a pas à se plaindre, c'est pourtant bien plus fort que lui de planter une lame couverte de venin dans le dos de son ancienne petite amie.
et c'est vrai, il avait été refroidi jusqu'à ce jour d'être armé de quelque chose qui pourrait faire mal au sang de son ami ; quelque chose qui pourrait le contaminer par compassion et inquiétude. parce que leonard n'est pas bête et qu'il sait, tout au fond de lui, dans ses instincts, qu'il fait quelque chose de profondément mal et mauvais.
sohan le regarde, c'est déjà cela ; mais il a ce regard-là qu'on ne veut pas percevoir dans les yeux de ceux qu'on voit comme des grands frères.

j'ai pas eu le temps de venir te voir. c'est un mensonge un peu pincé, lui qui agite toujours fièrement ses tords, il a honte et ses joues se rosissent de gêne. sohan a cette pression sur lui - parce que le TECH l'estime. là est peut-être le souci. qu'est-ce que tu veux dire par les autres ? pourquoi tu serais le seul à pouvoir me dire ça ? il veut lui dire - qui es-tu pour penser cela ? que tu es assez unique pour prétendre à ce titre ?

toutefois ça ne sort pas quand il a toujours les prunelles plongées dans les siennes : il ne peut pas fabuler à l'excès, car il sait pertinemment que sohan a raison.

terroriste bienveillant, dictateur de la bien-pensance, leonard aimerait pouvoir coller à sohan ces titres pour le discréditer mentalement. ainsi il n'aurait pas peur de cette proximité mais aussi qu'il s'en aille sans plus jamais se retourner vers lui. ne fuis pas je t'en prie - qu'il veut dire. mais rien ne sort, rien ne s'échappe de ses lèvres terriblement fières, terriblement audacieuses et surtout déraisonnées. cela n'a aucun sens de s'acharner ainsi à rester idiot et pourtant il ne peut pas s'en empêcher.

il écoute tout, se laisse assommer par la plus simple vérité : il a été idiot c'est vrai, mais dans sa méchanceté il ne pensait pas à mal envers toi. il dit alors. désolé. il le pense sincèrement. il ne veut pas que tu t'en ailles, il voit bien que tu t'écartes pour lui laisser le choix. mec je pensais juste que tu voudrais plus me parler à cause de ça, j'ai toujours pensé les bros avant les meufs mais toi c'est différent c'est ta soeur tu vois. il ne peut pas comprendre particulièrement car il y a un rejet particulier pour son sang et ses affiliations à ce dernier. c'est que j'ai la flemme c'est de la lâcheté. que mes bails avec saada influence mes relations avec les autres, au final j'ai fait le débile. c'est rare qu'il assume ! tu en penses quoi de tout cela ? pour une ne fois il ne veut imposer son joug solaire. il n'est ni souriant ni maussade, il n'y a que l'hésitation de ceux qui ne savent plus quoi faire de leurs jolies fossettes.