Tes pas résonnent, Aglaé, furieuse que tu es. Tu n'as pas besoin d'élever la voix, ni même d'ôter les chaînes qui retiennent ton alice pour que les gens s'écartent. Quand Aglaé Silphie Lynch s'énerve, le monde entier le sait. Il y a de ces gens qu'il ne faut mieux pas contrarier, de ces gens dont il ne vaut mieux pas se faire un ennemi. C'était peut-être ce fort tempérament, cette colère revancharde qui t'avait propulsée au poste de capitaine de l'équipe des Cheerleaders. Tu ne t'en plains pas, occupée une telle responsabilité, même si elle te coûtait des fois, te garantissait une certaine crédibilité aux yeux de l'administration et une certaine tranquillité également. En faire sans trop en faire, telle était ta spécialité, Aglaé.

Si tu n'avais pas pris que peu au sérieux ton rôle dans un premier temps, tu avais au fil des mois trouvée un certain plaisir à manager l'équipe. Tu t'étais prise au jeu des leaders, tu avais aimé ce que ça renvoyait de toi, ce que ça te forçait à construire malgré toi. Un lieu où l'on apprenait à s'aimer en dépits de son sexe, genre, morphologie, complexe, orientation et autres milieux sujets au mal-être. T'aimais casser les codes, mettre sur le devant de la scène ces anonymes aux talents cachés. T'aimais les faire briller, pour une fois, tu ne faisais pas de mal, Aglaé. Ta voix destructrice, poussait les gens au mieux, à aller plus loin, à se regarder dans le miroir. T'avais aimé ça, Aglaé. Tant et si bien que tu prenais maintenant ton rôle très au sérieux. Alors, quand on t'avait annoncé, deux jours plus tôt, que ton équipe occuperait les terrains extérieurs pour les entraînements jusqu'à mi-novembre sous prétexte de la douceur du temps, tu avais hurlé au scandale et au sabotage. La guerre était déclarée et au nom de toutes ces têtes dont tu avais la responsabilité, t'étais allée défoncer la porte du conseil des élèves. Si Elyas te voyait, il s'arracherait les cheveux, mais la subtilité était un art que tu avais du mal à maîtriser quand ta hargne éclatait au grand jour. Sois relativement souvent. Au final, plus que pour tes talents de danseuse et de performeuse, c'était peut-être pour ta grande gueule qu'on t'avait choisie.

« JE VEUX PARLER AU PRÉSIDENT ET TOUT DE SUITE. »

T’as passé la porte d’un coup sec, sans t’annoncer. La peur résidait en premier lieu sur l’imprévisible et tu savais d’expérience que face à des bureaucrates, rien ne valait une gueulante et des gros sabots.

Sauf qu’il n’y avait personne dans cette foutue salle.
Personne.
Sauf Ace.

Putain t’es déçue. T’aurais voulue voir les frêles demoiselles du conseil sursauter et les garçons se cacher sous les tables. Mais il n’y avait qu’Ace. Et Ace il ne se cache pas sous les tables quand c’est toi. La faute de voir ta tronche tous les jours de l’année. La faute à la culpabilité.

« Il est où le boss ? J’ai une réclamation à faire. »

 

@Ace S. Ackerley + Salle du conseil + Septembre

Lynch. Ça te fait froncer les sourcils Aglaé. À une époque, il n'y avait pas de Lynch entre vous deux, il y avait de l'Aglaé. Il y avait des prénoms et des sourires familiers. Là, il n'y a que la froideur cérémonieuse, polie et pompeuse et ses yeux fatigués, froids, ils ne pétillaient plus comme avant ses yeux. Tu refermes la porte d'un mouvement rapide Aglaé, et tu t'avances, pose le polycopié qui répertorie le planning d'occupation des lieux de club sur la table.

« Tu prends du galon on dirait. » Ce n’est un reproche, juste une constatation. « Là. C’est là le problème, Ace. »

Tu pointes du doigt la ligne du tableau du club de Cheerleader qui indique la mention « à partir de mi-novembre » à la colonne « Gymnase ». Ace. Pas de Ackerley pour toi, pas de respect pompeux, de politesse feinte. Il n'était pas devenu un inconnu pour toi Ace, il n'en avait jamais été un. Ace restait Ace, l'ami de tes douze ans, même avec ses yeux fatigués, même avec ses traits tirés, même avec la glace entre toi et la surface. C'était ta contestation, ton moyen de lutte. Ta façon de lui dire que tu ne le lâches pas, et que tu n'as pas oubliée qui était la véritable coupable, ce jour-là.

« Qu'on ne partage pas le gymnase à l'année c'est pas un problème, mais resté en extérieur jusqu'à la mi-novembre ? Je ne peux pas imposer ça à mes gars et mes filles. » Tes gars. Tes filles. Ton club. L'individualisme n'avait pas sa place dans cette conversation. Tu reprends, argument à l'appui. « C'est inconfortable en plus d'être dangereux. Ils vont tous choper la crève et les conditions de travail sont trop extrêmes pour les nouveaux. Je veux bien faire des concessions, rester jusqu'à Halloween, mais pas plus. »

Puisque la terreur ne marchait pas, il fallait passer au plan b. Un plan particulièrement bien rodé qu'on aurait pu nommer : « je comprends, mais ». Faire des concessions montrer son ouverture au dialogue pour obtenir ce qu'on attendait et, peut-être avec de la chance, évoquer suffisamment la sympathie pour obtenir plus. Défense, attaque, il fallait savoir jouer entre les deux. T'aurais fait une bonne politicienne, Aglaé.

« Je ne sais pas qui est responsable du planning, mais visiblement cette personne devrait sortir un peu plus souvent. Avoir les fesses au chaud ça vous ramollis les neurones. » Ça c’était gratuit. « Tu penses pouvoir arranger ça, Ace ? »

Ace. Encore. Parce que tu veux qu'il se rappelle. Tu veux qu'il t'appelle. Plus que la noyade, c'était de perdre ton premier ami qui t'avait fait autant de mal.

 

@Ace S. Ackerley + Salle du conseil + Septembre

Tu retiens de justesse la réplique cinglante qui se bouscule au bord de tes lèvres. Dire à Ace que son pif contre la table et les tables retournées contre le sol, n'étaient pas un problème non plus ne représentait pas une option. Tu savais pertinemment que la menace ne prenait pas sur lui et qu'il n'y avait dans son regard qu'un profond ennuie et agacement pour les gens qui se laissent aller à ce genre de débordement. Les cris, les supplications, les larmes, les insultes, ça ne l'avait jamais retenu Ace. En tout cas, pas ce jour-là. Tu te pinces l'arête du nez, agacée, mais garde ton calme. Encaisser la réplique, voir la suite, tu es là pour négocier.

Tu fronces les sourcils, attentive à ses propositions. Le tout était maintenant de remporter le débat et d'étouffer toute forme de contestation. Une entrée au gymnase fin octobre, début novembre. Pas aussi précis que ce que tu aurais imaginé, mais ta proposition est étudiée et ta demande entendue. C'était déjà une victoire en soit. Ça aurait pu s'arrêter là. Seulement.

« Ça m’irais. » concèdes-tu d’un hochement de tête. « Mais si jamais ton conseil essaye de m’entuber encore, j’espère que tu ne seras pas de service sur ce jour-là. »

Accepter oui, se soumettre non. La nuance était importante et tu te devais de la préciser. Tu te détends un peu maintenant que tu n'as plus à hurler sur tout ce qui bouge pour obtenir satisfaction. La remarque de ton camarade te fait pousser un soupir rieur, il n'avait pas tort. Tu faisais preuve d'un sérieux désintéressé, non passionné. Recevoir une bonne note ou briller en cours ne t'apportait aucune gloire dont tu te sentais de tirer satisfaction. Tu étais aussi indifférente que peut l'être Ace sur beaucoup de points. Mais les Cheerleaders, ça, c'était autre chose. Et tu t'étais surprise en prenant la responsabilité du club à te trouver motivée, concernée. C'était quelque peu déstabilisant, parfois, de te regarder dans la glace et de contempler la demoiselle qui gratte le papier sans passion en arriver à prendre des risques pour aller hurler son mécontentement auprès d'institutions qu'elle devrait chouchouter. Comme quoi.

« J'ai bien envie de te dire que t'as, car ramener tes fesses potelées dehors pour jouer un match et voir si j'en fais trop… Mais tu n'as pas tout à fait tort. » Il fallait savoir concéder certaines choses. « Mais c'est mon rôle, mon club existe pour permettre à des gens de se réconcilier avec eux-mêmes, y a qu'une biatch gueularde de première catégorie pour manager tout ça. »

Un sourire passe sur tes lèvres.

« Je suis impétueuse par nécessité, pas par envie. »

Parce qu’il ne faut pas se laisser marcher sur les pieds. Parce que la prudence n’est pas mère de sûreté. Parce que tu ne veux pas te retrouver seule avec ta culpabilité.

« Mais on n'a pas changé, non. Du coup, appelle-moi, Aglaé. C'est ma dernière réclamation, pas celle de la connasse qui vient te casser les pieds, mais celle de l'amie qu'à pas changée. »

 

@Ace S. Ackerley + Salle du conseil + Septembre

Pense-t-il vraiment ce qu'il dit ? Pense-t-il vraiment qu'un groupe d'élève sagement nommé pour une direction perverse avait un vrai rôle à jouer ? N'était-ce pas, comme tout le reste, du vent, une mascarade pour occuper vos esprits d'adolescent, vous détournez de tout le reste ? Comme les clubs, les activités, on tentait de masquer à coup de papier peint les trous dans les murs, on repassait des couleurs vivent sur les tâches noirâtres et floues qui ne devaient pas détourner l'attention. Et tu te demandes, Aglaé, pourquoi il se donnait autant de mal. Tu te demandes, Aglaé, si c'était par conviction ou par besoin de fuir la réalité.

Qu'importe la réponse, en fait. Tu sais pertinemment que tu ne seras jamais satisfaite. La réalité d'Ace tu la craints et tu la déplores parce que tu t'en sens responsable. Sa vérité à lui, elle te fait peur, parce que derrière les soupçons, les fantasmes effrayants que nourrie la salle où tout arrive, celle où tu n'as pas accès, celle que franchit des amis comme Dexter et Robin, des essentiels comme Elyas et Nerissa, des fantômes du passé comme Ace, derrière tout ça se trouve une vérité dont tu ne peux que soupçonner les contours et ça te terrifie Aglaé. Ça te terrifie de te dire que tu as peut-être envoyé Ace là où il n'aurait jamais dû mettre les pieds. Et les mots qui sortent de sa bouche, ses gestes mécaniques, Aglaé, te font encore plus regretter cette porte que tu as forcée Ace à pousser.

« Je ne prétends pas. J’étais aux premières loges pendant l’accident si tu te souviens bien. »

Et tu sais qu'il s'en souvient. Parce que le regard désemparé que tu avais capté quand on t'avait tiré de l'eau, à demi-consciente, frigorifiée, tétanisée, tu le visualises encore trop bien. Et quelque part, tu voulais en porter la responsabilité. T'avais donné à Ace le même regard de ta mère l'espace d'une seconde et tu t'étais détestée pour ça. Ace, il t'avait souri en premier et tu avais été la première à le briser. T'avais accusé ton alice, tu t'étais accusée toi. Et quand tu avais croisé ce petit garçon souriant dans les couloirs, après ça, tu avais compris que s'en était fini, qu'il y avait dans votre miroir un monstre à l'effigie de l'autre. Un monstre qui vous pointait du doigt. Un monstre qui chantait
C'est de ta faute.
C'est de ta faute.

« Et je suis désolée. »

Y a tes doigts qui agrippent ton serre-tête, le tire un peu plus, comme si le plaquer davantage pouvait encore plus limiter la portée de ta voix. Après l’accident, on t’avait aussi donné le contrôle sur toi. Mais tu sais, Aglaé, que même avec les menottes, les mains peuvent encore bouger. Hors, Aglaé, tu ne veux pas l’influencer.

« T’es trop doué dans l’art de la fuite alors j’ai jamais pu te le dire : mais je suis désolée. C’est moi qui t’ai envoyé là-bas. Te faire du mal, ça n’a jamais été mon objectif, Ace. T’étais mon premier ami, et j’ai aucune excuse pour tout ça. »

 

@Ace S. Ackerley + Salle du conseil + Septembre

Du coin de l'œil, alors qu'on capte l'image nostalgique de l'ami disparu, tu t'étais préparée aux reproches, Aglaé. Tu t'étais préparée à la haine, à la rancœur de l'enfance qui reste et grave en vous des tablettes faites de ressentiment, de texte qu'on garde sur les monstres du passé et qui vous suivent dans le présent. Tu t'étais préparée à la jalousie, à la comparaison acide de vos deux vies. Toi si enviable avec ton alice diffuse, et ta seule solitude et gestion des émotions détraquées à gérer. Lui, si plaint avec sa maladie mortelle et les secrets qui entourent la pièce où tout se passe, mais où seul le rouge est admis. Tu t'étais préparée à voir son regard de glace, son visage grimacer comme grimace ceux des gens submerger par le mépris et la colère, tu t'étais préparée à tout, mais certainement pas à ça.

Et ça te déstabilise, Aglaé. Les excuses qu’il prononcent, les remerciements qu'il te fait. Pourquoi ? Dans quel but ? Devait-il réellement te remercier d'avoir été condamné ? Devait-il réellement te dire merci d'être tombée dans la piscine, ce jour-là ? De n'avoir pas pu, malgré tes supplications auprès de la directrice, l'empêcher d'être puni ? Tu t'étais préparée à la haine, pas à voir Ace baisser les armes et tu ne sais pas, Aglaé, si le frisson que tu ressens et celui du soulagement et d'une peur bien plus grande encore.

« Je t’avoue que je ne… Comprend pas. »

T’as peur de comprendre, d’interpréter ses mots non pas comme une déclaration sincère, mais comme une poésie apprise et récitée devant la classe. Ou plutôt, t’as peur de comprendre que c’est une déclaration sincère et non un mensonge trop souvent utilisé. Ça contrebalance tout, renverse la table, fait tourner la roue et tu n’arrives pas à accepter un quelconque positivisme dans ce qui est ressortit de votre dernière sortie entre amis. Alors non, Aglaé, tu ne comprends pas. Ou plutôt, t’as peur de comprendre. Ace épanoui dans une sphère que tu considères comme diabolique et mensongère n’est pas quelque chose qui te plaît.

« Je m’attendais à ta sale tronche habituelle, pas à des excuses. »

T’en viens à réellement souhaiter qu’il s’énerve, parce que plus il te parle, plus tu es mal-à-l’aise. Et le formalisme revient, accompagné d’un rire jaune envers toi-même. Content de ce que tu es devenue, hein ?

« De quoi ? Une chieuse doublée d’une pute ? Nan parce que c’est un peu les termes communs quand on parle de moi. »

Mais ça, tu t’en foutais. Parce que tu avais le cœur trop fragile pour te soucier du monde, t’avais rabattue ta valeur dans le regard de quelques élus. Une obsession d’être aimée et appréciée, d’être jolie, seulement auprès d’eux. Tant que tu continuerais d’être cette petite rose admirable à leurs yeux, le monde pouvait bien te couvrir de merde que tu n’en aurais rien à faire. Que les mauvaises langues parlent, qu’elles laissent leur frustration se verbaliser, leur haine se déverser. C’est pas comme-ci tu en avais quelque chose à foutre, elles ne faisaient que prouver qu’elles avaient quelque chose à compenser.

« T’es vraiment bien dans ta vie, Ace ? Parce que si c’est le cas, je suis contente pour toi. »

C’est tout ce que tu lui souhaitais.

 

@Ace S. Ackerley + Salle du conseil + Septembre

Il est cruel Ace, mais doux à sa manière. Tu ne sais qui du petit garçon ou du bloc de glace, tu as en face de toi. Peut-être un peu des deux, après tout. Le temps passe, les épreuves s'enchaînent et les changements s'accumulent, tu ne penses pas qu'on puisse se renier aussi fortement pour autant. Il a changé, comme il n'avait pas tant changé que ça. Dualité propre à chacun et tu ne sais pas si Ace s'en aperçoit quand il te parle. Tu croises les bras, sourire hautain aux lèvres. Carrément, hein ? Il a une façon bien à lui de dire les choses et de distribuer les compliments.

« Objectivement non, je ne pense pas. »

Un sourire sur tes lèvres alors que tu croises bras et t’adosse à la première table qui te passe sous la main.

« Mais tu sais que face à la frustration les gens ne savent que déverser leur haine. C’est tellement plus simple de cracher sur ce qu’on jalouse plutôt que de se regarder en face. »

T'oses croire que ce n'est pas son cas, qu'Ace est plus intelligent que ça, spécialement sur ce sujet. Et tu le penses, en vérité. Il n'a pas tort, il y a des pouvoirs qui ont un revers de la médaille plus crasseux que d'autre. Certain paye ce don d'une vie plus courte, toi d'une vie plus compliquée. T'aimes pas t'en plaindre, cependant, parce que la haine des gens semblent beaucoup plus simples à gérer qu'une vie à-demie consumée. Puis, tu n'es pas objectivement pas seule. Heureuse, tu ne sais pas si tu l'es. Il te semble que oui, parce qu'il y a des regards pour lesquels tu brilles, il y a des gens présents, bien vivant, qui n'ont pas cette dualité entre amour et haine dans leur yeux, juste une profonde bienveillance, un regard tout autre que celui de maman en son temps. Puis il y avait Felix. Qu'importes les épines dans ton cœur il y avait Felix dont la vérité qui sème n'avait pas de prix. Ce n'était pas rose ici, Aglaé. T'étais en colère contre beaucoup de choses. Tu t'épuisais dans la haine et la recherche de coupable pour expliquer et justifier des peurs que tu ne cernes que trop mal. Pourtant, il t'arrive d'arrêter d'avoir la haine, d'arrêter d'avoir peur. Quand tu croises leur regard, quand tu les sens près de toi. Heureuse tu ne l'es peut-être pas, pas tout le temps du moins, mais tu sais que tu te sens bien parce qu'il y a ces élus dans le paysage.

« Ça m’arrive de l’être, sincèrement. » La question était de savoir comment rendre ce bonheur permanent. Etait-ce seulement possible ? « Je le serais sans doute un peu plus si t’acceptait de manger avec moi ce soir. En tant qu’ami. »

Y avait des revers de médaille plus crasseux que d'autres. Certains payaient le don d'une vie plus courte. Toi tu voulais qu'à défaut de la voir longue, leur vie soient bien remplies.
 

@Ace S. Ackerley + Salle du conseil + Septembre

Est-ce que c’est ce que tu penses sincèrement, Ace ? Difficile de se sentir légitime des dons que la nature nous porte, capacités arbitraires que la génétique nous offre. Difficile de dire qu’on sait ce qu'on vaut sur le terrain sans passer pour une nombriliste compulsive, une égoïste à tous les niveaux. Difficile de savoir ce qu’on vaut au niveau du corps, mais pas au niveau du cœur. Mais venant de toi ça la touche, ce sont des compliments qui ont plus de sens que tous les autres. Si toi si froid, si grand, tu pouvais reconnaître sa puissance, c’est sûrement qu’elle n’était pas si faible.

Tique sur tes mots, Ace, hausse un sourcil face à tes provocations. Des années qu’on ne t’avait pas vu comme ça. Il lui semble même que ce serait presque la première fois tant l’époque de la piscine remonte à loin. Tes mots moqueurs sonnent presque irréalistes et l’espace d’un instant, on a l’impression de revenir à la douce époque des chamailleries d’enfant. Serait-ce possible Ace ? Pouvait-on retourner là-bas, être comme avant ? Se serait mentir de dire que l’absence de l’ami n’avait pas laissé un vide après le plongeon sous la glace, ce serait mentir de dire qu’elle n’avait pas rêvée de revoir le petit garçon lui sourire de nouveau à la place du délégué. Est-ce qu’on pouvait vraiment revenir là-bas ? Est-ce que ce rictus plein de farce, fait office d’accord Ace ?

« Chut. Si on apprend que j’ai des économies je vais devoir faire la charité à tout le monde. »

Léger sourire, Aglaé, qui aime trop la lourdeur des rabbits dans sa poche pour s’en détacher plus que de raison. Mais léger sourire, surtout, parce qu’on te retrouve enfin au bout du chemin. Main sur son crâne qui lui rappelle des flagrances d’enfances avant l’eau dans les poumons, la peur de la glace et tes yeux plein de pardon quand en respirant enfin de nouveau, on t’avait vu. On se sent comme la petite fille de l’époque, à proclamer qu’on allait abattre des géants, qu’on avait peur de rien parce qu’on se jetait de la boue avec Anaël, parce qu’on se tirait les cheveux avec Felix et qu’on ne pleurait même pas. On se sent comme à l’époque, quand on rougissait de tes sourires, tu avais peut-être bien été le seul garçon qu’elle n’avait pas tapé, Aglaé. On décortique de nouveau le mot amitié, on se dit qu’il n’était peut-être pas mort-né.

« Soit pas à la bourre. »

Parce qu’on avait la plus de la moitié d’une décennie à rattraper.


Y avait des revers de médaille plus crasseux que d'autres. Certains payaient le don d'une vie plus courte. Toi tu voulais qu'à défaut de la voir longue, leur vie soient bien remplies.
 

@Ace S. Ackerley + Salle du conseil + Septembre