Tout est confus. Un bordel de hurlements et de pleurs. De menaces et d’appels à l’aide. Nina sait ce qu’il se passe. Elle sait à qui appartient cette main glacée qui serre son bras. Et elle se débat de toutes ses forces. Elle ne va pas se laisser faire.



Nina Feng Sheng est une enfant sans racines. Une jeune femme qui n’a jamais considéré le concept de "maison" comme un lieu physique. Déménageant sans cesses, changeant d’école tous les six mois, un an maximum, elle n’a jamais eu de véritable attache. Sa maison, c’est sa famille. Sa maison, c’est sa mère et son père.
Ses parents avaient émigré en Angleterre avec leurs familles lorsqu’ils étaient enfants, mais Nina n’a jamais connu ses grands parents. "Ils nous ont vendus", lui avait dit sa mère lorsqu’elle n’avait que trois ans, "Vendus, puis disparus, nous laissant aux mains du gouvernement dans une école. C’est là que ton papa et moi nous sommes rencontrés.". Les yeux terrifiés de la petite fille s’étaient posés sur ceux de sa mère avant de lui demander si elle allait la vendre, elle aussi. "Jamais." avait-elle répondu "N’aies pas peur, Nina. Je ne t’abandonnerai jamais."

La jeune fille n’avait plus eu peur avant un bout de temps. C’est pas dans ses gênes. La famille Feng est une famille de combattants. Littéralement. Ses parents n’ont pas attendu qu’elle soit "prête" pour lui parler de l’académie Alice. Ils ont pas attendu que leur ptit bout d’chou soit assez fort pour supporter la vérité. Vous savez le grand méchant loup qui vient bouffer votre mamie parce que vous lui avez trop fait confiance ? Ouais, cette histoire qu’on vous a raconté pour vous faire avoir peur des inconnus. Bah pour Nina, c’était des histoires sur l’académie Alice. "Ne parle pas aux personnes que tu ne connais pas ; contrôle ta force en public ; ne dis à personne que tu peux soulever un frigo à main nue ou sauter sur le toit de l’école en un seul bond, sinon, tu seras amenée à l’Académie, et tu ne reverras plus papa et maman. C’est pour ça qu’on déménage. C’est pour ça qu’on ne peut pas rester dans cette maison."
Et elle l’a accepté. Elle a accepté la tyrannie de l’académie. Son système de rang injuste, sa maltraitance envers les enfants, les violences du gouvernement envers les personnes différentes, les personnes comme elle. Comme elle et sa mère et son père. Elle n’en avait pas peur, elle était prête à se battre jusqu’à la mort pour ne pas y aller.

Mais c’était arrivé si vite. Des poings frappant à leur porte de leur appartement au milieu du repas, sa mère qui lui avait dit de se cacher sous la table, se mettant en position comme si elle s’était entraînée pour ce jour toute sa vie. La porte était tombée, et la confusion avait commencé.



Nina sait à peine comment elle en est arrivée là. En sanglots à l’arrière d’une voiture, frappant contre les parois du véhicule de toutes ses forces (et c’est pas ce qui lui manque) en hurlant et en pleurant jusqu’à l’épuisement.
Dans la confusion, dans les cris et les bruits de coups, le bruit assourdissant d’une fenêtre qui se brise suivie d’un hurlement d’horreur avait transpercé les tympans de l’adolescente. Prise de confusion et cherchant sa famille du regard, les agents avaient réussi à l’attraper. Sa mère était là, à essayer de repousser les hommes qui lui barraient le passage. Mais son père était introuvable.
Tirée de force hors de l’immeuble dont le sixième étage servait de résidence aux fugitifs depuis deux semaine seulement, les yeux de la jeune femme tombèrent sur un cadavre gisant sur l’asphalte. Un être humain à la force décuplée n’en est pas pour autant invincible.
Plus tard, des images d’un agent repoussant violemment son père vers fenêtre pour s’en débarrasser reviendront dans son esprit. Des images emplissant son coeur de rage et d’envie de vengeance. Des souvenirs lui faisant enfreindre toutes les règles possibles de cette école de merde. Peu importe si elle doit bouffer des croûtons de pain et dormir sur des vieux matelas moisis. Son père voudrait pas qu’elle se plie aux désirs de l’académie Alice.