c'était un peu comme une mauvaise greffe parfois, l'organisme rejette tout simplement. effet secondaire de la famille, secondaire elle aussi, il y a des jours où Colline réagit mal tout à coup ; se fait du mauvais sang car ils n'avaient pas le même. alors le sien ne fait qu'un tour et il repousse, refuse l'affection en intraveineuse, arrache la perfusion exaspéré par la moindre effusion sentimentale. son cœur cesse de suivre le tempo de celui des frères et sœurs, et plus vite que la musique, sa mélodie à lui résonne seule.

c'était un peu ça aujourd'hui encore,
et Colline aurait dû être seul ce soir.

si tu n'avais pas été là, Blossom
c'est avec le silence qu'il aurait dîné.

paradoxal, comme tu es patient avec Colline. il sait pourtant que tu t'accordes bien avec Caprice (contrairement à lui). mais quand la colère va crescendo et qu'il se retrouve à scander des horreurs à son frère, même si c'était sous tes yeux, tu fais rarement taire. comme un refus du diapason, depuis le temps, peut-être ;
peut-être que toi tu l'entends,
sous la cacophonie des crises furieuses
qui hurlent je te déteste, Caprice !
(lui et le monde entier sous-entendu)
le cœur de Colline désire sans un bruit
qu'on crie plus fort que lui  
pour lui prouver qu'il a tord.

je ne veux pas finir seul e n c o r e.

c'était un vœux exaucé car il était avec toi. le conflit déjà oublié sur le perron de l'académie, Colline avait désormais retrouvé le sourire et l'appétit. assis en face de Blossom sous les abats-jours tamisés et les lampions, la vue un peu trouble, c'était la faute à la vapeur des ramens et les quelques verres de soju qui avaient accompagné le repas. ça, et puis les sourires. c'était rassurant de se dire que malgré ses sauts d'humeur, tu emmènes Colline au restaurant comme un ami. presque comme un frère.
parfois tu parles du tiens
et ça fait un drôle d'écho dans son esprit.

en parlant de frère, il finit de se moquer un peu du sien ; c'était gentiment désormais, accoudé à la table, baguettes au creux des mains. j'te jure, on avait quelque chose comme, six ans t'sais, et ce matin je sais pas c'qu'il s'est passé il a oublié comment on mangeait des céréales il s'est étouffé, et genre, déjà il a recraché tout le lait, mais pas par la bouche tu vois. pouffe de rire, reposant ce qu'il était en train de piquer dans son bol pour éviter un accident. et ensuite il s'est mis à pleurer on comprenait pas pourquoi, jusqu'à ce qu'il arrive à articuler "je-je- j'ai un corn-flakes dans l'nez"
et là laisse tomber le drame de sa vie.
ricane pour de bon en laissant le dos échouer contre le dossier de la banquette ; ça apprendra à Caprice à jouer les impassibles dédaigneux. avec tout ce qu'on sait sur lui Colline est suffisamment au courant de tout ce qui se cache sous la surface.

et c'était une catharsis de dénigrer sans être trop venimeux ; ça faisait réaliser que malgré la fraternité tumultueuse, on tenait tout de même au chaos qu'on formait. calmé, il se redresse alors pour revenir croiser les bras sur la table et récupérer son verre ; le deuxième ou le troisième, il ne sait plus trop. enfin bon, ça a toujours été bordélique qu'on soit ici ou à la maison, ça changera jamais je crois. haussement d'épaules et soupir désinvolte, une risette tout de même lorsqu'il relève les regards prairie vers Blossom. toi ça va Blossom, t'as une famille du genre paisible, pas vrai ? et tandis qu'il boit une gorgée, sans quitter des yeux il songe
raconte-moi
comment c'était.