J’ai dessiné un mouton.
J’ai dessiné un mouton, mais il n’avait pas de laine.
Parce que, parfois, il y a des gens qui n’ont pas de laine non plus. Des gens différents.

Mia trace les arabesques au fil de son inspiration, laisse son crayon danser sur le papier. Les traits prennent forme, petit à petit. Ils donnent vie à ces personnages imaginaires, à ce mouton étrange, qui n’a pas de laine. Il est là, le corps frêle, gracile, mais il ne ploie pas sous la tempête de pluie qui lui tombe dessus. Il est fort. Parce que même s’il est différent, il n’en est pas moins fort.

Concentrée, Mia continue de raconter son histoire sous forme de divers tracés, sans ajouter de couleurs pour le moment.
C’est l’histoire de son mouton sans laine, son étrange mouton, celui qu’on met de côté parce qu’il est bizarre.
L’histoire de son mouton noir. Mais elle l’aime bien, son mouton noir. Probablement plus que tous les autres moutons.

Un sourire égaye son visage à mesure que les différentes parties de son dessin apparaissent. Sous sa main habile, la feuille se remplit progressivement. Divisée en quatre rectangles, la page est le témoin d’une histoire qui prend vie, qui s’anime.

L’histoire du mouton sans laine.

Elle lève la tête.

Assise dans le foyer, Mia n’a pas daigné mettre le nez dehors. Il pleut à grosses gouttes, non pas que ça lui déplaise, mais c’est le moment idéal pour laisser parler sa créativité. Elle a toujours trouvé le son de la pluie mélodieux. Reposant. Ça fait ploc ploc, plic plic, ça cogne contre les fenêtres. Ça fait du bruit, sans être trop bruyant. C’est étrange, mais agréable.

Ça assombrit le ciel, mais ce n’est pas grave. Après la pluie vient le beau temps.
Comme pour son mouton sans laine.

Mia se remet dans son dessin. Une silhouette sur le côté détonne dans le décor. Elle ne l’avait pas vue, trop absorbée par ses pensées. Elle tourne la tête.

Une fille rose.
Rose ?

Naturellement, Mia lui sourit. Elle laisse son crayon sur le côté de la feuille pour se laisser absorber par la nouvelle venue. Une fille rose, ça court pas les rues. Elle l’a déjà croisée, ou aperçue. Mais elles ne se sont jamais adressé la parole.

« Salut ! Toi aussi, tu viens tuer le temps en attendant que la pluie s’arrête ? »

L’odeur de la brunette s’intensifie légèrement, embaumant le foyer d’un délicat parfum fleuri.

« Moi, c’est Mia ! »

Elle regroupe un peu ses affaires, pour laisser de la place sur la table, comme une invitation à la femme rose.

« Tu veux t’installer ? »

On ne sait jamais, peut-être que cette jeune fille ne veut pas rester seule ? Mieux vaut prévenir que guérir. Parce que personne ne doit rester seul, s’il peut être accompagné.

Comme le mouton sans laine.

Charlie.
Charlie, la fille intriguée par le mouton sans laine. Un mouton qui a froid, parce qu’il n’a pas sa protection naturelle.
Un sourire étire les lèvres de Mia. Elle n’y a pas pensé. Elle voulait seulement un mouton sans laine. Un mouton différent, qui a pourtant une histoire comme les autres.

« Oh. »

La lycéenne ne sait pas quoi dire. Perturbée, elle réfléchit à son récit, cette bande naissant sur son papier. Le mouton sans laine a-t-il froid ?
La voix de Charlie la stoppe dans sa réflexion. Son rire lui rappelle que ce n’est qu’une boutade. Elle n’a pas besoin de se laisser aller à un manque de confiance en soi. Ce n’est pas nécessaire. Ça va aller. Et puis, elle a raison, au fond. Sans laine, peut-être a-t-il réellement froid. Peut-être lui faut-il des amis. D’autres moutons pour lui tenir compagnie, le réchauffer. Atypiques, eux aussi, pour que le tableau soit parfait. Elle a envie de différence.

Mia lève le nez, observe Charlie. Elle dégaine une tablette de chocolat, demande à la brune si elle aime ça. Un sourire gigantesque éclot sur son visage, grand comme un croissant de lune.

« Oh ! Oui ! Merci. »

Ses prunelles topazes reviennent sur son dessin. Oui. À plusieurs, c’est toujours mieux. Aujourd’hui, elles ne seront que deux, mais c’est déjà mieux que d’être seul.

« Je dessinerai d’autres moutons. Trois, pour concorder avec l’histoire ! »

Elle détourne le regard, revient observer Charlie.

« Les autres ont dû profiter du temps pour rester dans leur chambre, ou faire autre chose. J’aime bien le foyer, on y entend bien la pluie. »

Les petits plaisirs de Mia. On pourrait croire qu’elle préfère le Soleil, mais non. La chaleur, la lumière, toutes ces choses la mettent en joie, évidemment, mais la pluie a cette mélodie que les jours ensoleillés n’ont pas.

La brune regarde la demoiselle face à elle. Charlie, Charlie, Charlie. Ce n’est pas une fille du club de dessin. Elles ne s’y sont jamais croisées. Mais elle est quand même intéressée par son dessin. Peut-être y a-t-il une possibilité de la mêler au club ?

« Tu dessines, toi aussi ? Ou tu voulais simplement voir ce que je gribouillais ? »

On ne sait jamais, après tout. Si c’est une dessinatrice, ça leur fait un point commun. Si ce n’en est pas une, ça leur fait un sujet de conversation. Tout est bon à prendre, quelle que soit la situation.

Le chocolat craque sous ses dents, libère une saveur sucrée qui ravit ses papilles. C’est réconfortant.
Doux comme du coton.
Comme la laine que ce mouton n’a plus.

Mia fait la navette entre Charlie et son dessin, toujours aussi souriante. La rose a l’air intriguée par l’histoire du mouton, qui grandit lentement entre les mains habiles de la brune. Une créature atypique, livrée à elle-même, située au milieu d’autres moutons, plus normaux, moins normaux. Tout un équilibre, pour rompre celui déjà créé. L’imagination de Mia, portée à son paroxysme, libérée pour faire parler ses idées les plus fantasques.

Elle sourit. L’histoire de ce mouton …

C’est l’histoire d’une créature solitaire. Un peu comme Charlie. Une créature qui fait sa petite vie, socialise ici et là avec les personnes qui l’intéressent. Une personne étrange, parfois regardée de travers, parfois appréciée à sa juste valeur.

Un mouton sans laine, une fille rose. Les étoiles s’alignent.

Charlie n’est pas une dessinatrice. C’est une sculptrice. Une peintre, aussi. Ça dépend de l’humeur, de l’envie du moment. Charlie est une artiste. Elle n’a pas encore trouvé sa voie, elle aime un peu tout. Mia sourit. C’est bien aussi.

Ses prunelles se reposent sur son mouton.

« Pour mon mouton … Il est né comme ça. Je vais lui faire des amis différents, aussi. Peut-être des moutons blancs comme on en voit partout, aussi. Je sais pas encore. »

Mia réfléchit. Elle soupire, avant de rire doucement.

« En fait, si je fais toute mon histoire, il me faudra plus que quatre pauvres rectangles. J’aurai pas la place, là. »

Du bout des doigts, la lycéenne se saisit de son œuvre, la soulève.

« Oui. Je vais faire un mouton sans laine, qui aura des amis colorés, noirs, blancs, peu importe. Ils auront des laines différentes, des laines basiques. Et ils s’amuseront tous ensemble. »

Instant de réflexion supplémentaire.

« Je n’ai qu’à faire mon mouton sans laine à gauche, puis les colorés, puis les moutons plus habituels … Et la dernière case accueillera tous mes moutons. »

Un large sourire illumine son visage. L’artiste a trouvé sa voie.
Avec son critérium, Mia note ses idées en tout petit, dans le coin droit de chaque case. Elle hoche la tête, satisfaite.

« Voilà. L’histoire te plaît ? Tu vois peut-être quelque chose que je pourrais y ajouter ? »

Après tout, c’est grâce à Charlie que Mia voit comment réaliser son dessin, peut-être pourrait-elle, elle aussi, mettre la main à la pâte ?
Elle lève le regard, pose ses prunelles topazes sur la rose.

« Ou, mieux, tu voudrais dessiner un des moutons ? »

Une œuvre à quatre mains. Le dessin, ce n’est pas trop le truc de Charlie, mais ça pourrait le devenir. Mia est optimiste.
Elle lui tend un crayon, comme une invitation.