Il y a les histoires. Ces petits mots qu’on se raconte, qu’on se murmure. Ces récits qu’on n’assume pas toujours, mais qu’on garde quand même dans un coin de sa tête. Y a-t-il vraiment des fleurs qui dansent, dans la forêt bleue ? Y a-t-il des animaux qui parlent le langage humain ? Et la forêt bleue, qu’a-t-elle de plus que les autres forêts, à part sa couleur ?

Ils disent qu’elle est spéciale, vraiment spéciale, avec toutes ses rumeurs. Il est rare qu’elles soient confirmées, tout le monde se garde d’établir des vérités. Il faut laisser le folklore de la forêt bleue à la forêt bleue. Lever le voile enlèverait toute sa saveur à l’endroit.

Mais même avec ses histoires, même avec ses bizarreries, la forêt bleue reste une forêt basique.

Les narines retroussées, Mia s’y aventure en tentant de capter quelque chose de nouveau. Une fois encore, pas de mystère, pas de surprise. La forêt bleue sent comme toutes les autres forêts. Elle n’a pas cette petite étincelle qui suscite l’âme d’artiste de Mia. Dessiner ce décor est un plaisir, parce qu’il est atypique, mais la brune est toujours triste de ne pas y trouver ce parfum exceptionnel qui achèverait le portrait d’une forêt presque mystique.

Son carnet contre la poitrine, elle s’enfonce un peu plus dans les bois, à la recherche d’un nouveau coin pour dessiner.

Aujourd’hui, pas de cours, pas d’obligation. Le simple plaisir de s’asseoir dans un coin pour y sentir la douce brise caresser sa peau, rapidement rejointe par les quelques rayons de soleil qui filtrent à travers les feuillages.
L’humeur de Mia devient de plus en plus joyeuse, son parfum fleuri s’accentuant doucement. Elle sent un peu comme la forêt, Mia. C’est bizarre, dit comme ça. Mais au moins elle se fond bien dans la masse.

Ses pas finissent par la mener dans un petit coin où les arbres se font moins nombreux. Le chant des oiseaux parvient plus clairement à l’oreille humaine. Non choqués de la voir ici, ils restent paisiblement installés sur leurs branches, ou n’hésitent pas à venir à sa rencontre. La petite brune sent les fleurs, après tout. Il n’y a rien de bien impressionnant en elle. Comme pour la forêt, en somme.

Mia s’assoit tranquillement contre un arbre, le carnet déposé sur ses jambes. Ses prunelles topazes se déposent sur le lointain, pour en saisir tous les détails possibles. La forêt prend forme dans son esprit, peuplée d’innombrables fleurs. Pâquerettes, tulipes, roses, toutes se mêlent pour donner naissance à un formidable jardin. Elle ferme les yeux un instant, laisse sa tête tomber contre le tronc derrière elle.

Les arbres, les oiseaux, les fleurs … Quel autre événement peut venir égayer son dessin du jour ? Une créature ? Un végétal ?

Son nez la pique un peu. Mia ferme les yeux et se concentre sur cette nouvelle arrivée. Alors que son crayon danse doucement sur le papier, elle tourne la tête. Elle ne saurait dire à quelle distance, mais il y a quelqu’un. La brune se concentre pour ne pas faire paniquer la personne qui arrive, faisant ainsi en sorte d’inhiber son pouvoir. Si quelqu’un doit sentir quelque chose, ici, c’est Mia.

Mia, la fille des fleurs. Un truc comme ça.

Elle repose la tête sur son carnet, recommence à gribouiller. Ainsi leurrée, son attention reste focalisée sur le dessin. Il ne vaut mieux pas effrayer la personne qui arrive directement. La forêt se chargera bien de réaliser cette tâche.

Une voix cristalline, qui brise la concentration. Les traits cessent, le crayon retombe. Mia lève le nez. Elle n’a pas le temps de comprendre, ni de répondre, que l’enfant est déjà à ses côtés. Les prunelles topazes suivent le mouvement, observent la nouvelle venue. Un petit bout, une enfant de dix ans, au grand maximum. Probablement moins. Ses longs cheveux tombent en cascade dans son dos. Ils sont soyeux, ont l’air d’une douceur follement agréable.

L’odeur de Mia se fait plus forte. Plus sucrée. Elle est de très bonne humeur.

« Non, non, tu m’embêtes pas ! »

C’est un petit chat, arrivé au milieu d’un univers bien trop grand pour elle, qu’elle observe avec la maturité d’un enfant plus âgé. Savoir qu’elle pourrait ne pas être la bienvenue, s’annoncer avant de faire peur.

Mia penche la tête, laisse ses prunelles dériver sur la petite demoiselle. Elle ne l’a jamais croisée. Ou peut-être, une fois, au détour d’un couloir. Rien de trop marquant. La brune inspire profondément, pour tenter de retrouver une contenance, pour ne pas que son pouvoir atteigne la petite. Ça ne tiendra pas longtemps, mais ça devrait suffire.

« Je suis Mia ! Je viens ici pour dessiner. »

La lycéenne allie les gestes à la parole, en dressant son carnet à croquis. Sur la page actuelle, une esquisse de forêt, où se trouvent des arbres peu détaillés, accompagnés d’un lac à peine formé. Un travail qui n’en est qu’au point d’ébauche, mais qui donnera un des paysages préférés de Mia.

« Tu peux rester avec moi, si tu veux, mais tu risques de t’ennuyer, non ? »

Regarder quelqu’un dessiner, c’est intéressant, certes, mais une petite fille doit bien avoir d’autres choses à faire. De l’énergie à revendre.

La brune lève le nez, regarde la forêt autour d’elles. Peut-être que cette enfant est venue ici pour une autre raison ? Oui, mais laquelle ? Elle dépose les yeux sur la petite demoiselle.

« Et toi, tu faisais quoi dans la forêt ? »

Peut-être qu’il y aura d’autres choses à tirer de cet échange ? Quelque chose de plus intéressant ? Mia réfléchit un instant, reste silencieuse. Son attention, portée sur tous ces raisonnements et ces questionnements, lui permet de ne pas laisser divaguer son pouvoir. En l’oubliant, elle n’augmente pas sa portée. Ainsi, l’odeur de barbe-à-papa de Mia est la seule à sortir du lot. Ce n’est pas la meilleure des situations, mais ce n’est pas la pire non plus.

Eden. Un nom d’une lettre de plus que Mia. Facile à retenir.

La petite brune hoche la tête, tout sourire. Elle imprime l’information, la garde en tête. Eden la petite fille aux sourires adorables. Une maturité trop grande pour un aussi petit bout, mais ce n’est pas pour déranger Mia. À vrai dire, la lycéenne ne se prononce pas sur l’enfant, elle attend simplement de voir comment leur relation évoluera. Mais il y a cette odeur dans ses narines, ce parfum délicat de sucre, qui lui donne un aperçu positif de ce qui va arriver.

Si la brune vient ici pour dessiner, Eden est plutôt là pour chercher des papillons. À l’entendre, la demoiselle a l’air plutôt solitaire, à traîner par elle-même, pour elle-même. Indépendance ou solitude, Mia ne peut pas encore le dire. Mais elle est adorable. Elle a quelque chose qui la fait sourire.

Mia repose doucement son carnet, se concentre sur la jolie Eden.
Indépendance ou solitude.
Cette question lui brûle les lèvres.

Innocence ?

Elle cherchait des papillons, c’en est un bleu qui l’a menée jusque-là. Elles auraient pu ne jamais se croiser, s’esquiver en étant au même endroit. Tout ceci aurait pu ne jamais arriver. Et pourtant, les voilà, installées côte-à-côte, à parler de leurs passions, du bout des lèvres. Des choses qui leur font plaisir, qu’elles font souvent.

Le dessin pour la première, la contemplation de la nature pour la deuxième.

Mia range son carnet, ses crayons. Une idée a germé dans son esprit.

« J’imagine que tu connais bien la forêt, si tu y viens souvent ? »

Elle penche la tête.

« Si tu veux, on peut se balader toutes les deux, on chercherait les papillons, ou peut-être d’autres animaux ? »

Après tout, pourquoi pas ? Remplir son propre bestiaire lui permettrait de développer de nouvelles idées pour les dessins. Des papillons bleus, déjà, mais aussi – peut-être ? – d’autres créatures toutes aussi intéressantes les unes que les autres.

« Quand on aura fini, je terminerai mon dessin et je nous dessinerai toutes les deux, avec les trouvailles qu’on a faites ! Si tu le veux, je te le donnerais, d’accord ? »

Un pacte comme un autre. Peut-être que cette idée la séduira autant que Mia ? Ce sera déjà moins long et rébarbatif que la voir gratter sa feuille encore et encore. Et puis … ça fait des souvenirs.

Et créer des souvenirs ensemble, n’est-ce pas une des bases de l’amitié ?

Le guide miniature de la forêt bleue. La petite fille aux cheveux longs, qui connaît l’endroit comme sa poche.
La chasseuse de papillons.

Mia lui sourit. C’est une adorable demoiselle. L’odeur de sucre qui en émane témoigne d’une grande innocence, pourtant altérée par une maturité supérieure à la normale. Un parfum délicat, qui ne saute pas aux narines comme les autres. Timide. Agréable.

Pour le moment, la petite ne semble pas être gênée. Peut-être intriguée. Mais elle n’en parle pas. Mia se contente de laisser faire.

Eden semble être mise en joie par la proposition de la brune. Elle aimerait trouver des corbeaux, mais ils ne sont pas légion par ici.
Les corbeaux, les corbeaux. Mia fait travailler ses méninges. Peuvent-elles apercevoir ces oiseaux, ici ? Ne faut-il pas un autre endroit, peut-être plus adapté ? Ou simplement des conditions différentes ? La brune n’y connaît pas grand chose, à vrai dire. Peut-être que sa jeune acolyte saura lui en dire davantage.

« Je dois avouer que je connais pas trop les corbeaux ! Tu as essayé de regarder où ils vivent ? Ce qu’ils mangent ? Et les moments de la journée où on les aperçoit le plus ? »

L’enfant souligne enfin un point intrigant. Elle n’a pas eu beaucoup de cadeaux. Mia se souvient que son enfance ici n’a pas été la plus gâtée non plus, pas énormément de présents superflus. Difficile d’évoluer comme un enfant normal quand on n’est … pas normal. Mais ils peuvent s’en faire entre eux ! C’est l’avantage de cette académie, ils sont tous ensemble dans la même situation, alors autant se serrer les coudes.

« Je te le donnerai, alors ! »

Large sourire sur ses lèvres rosées.

La brune se relève doucement, remet ses vêtements en place. Elle balaye les alentours du regard.

« Je te suis ! Si j’ai une idée, ou si je vois quelque chose, je te le dis ! »

Mia réfléchit un instant. Elle sent bon les fleurs. Peut-être que cela pourra les aider ?

« Au fait ! Je pense que tu as remarqué … ça sent pas juste la forêt. »

Elle hausse les épaules. Son sourire revient. Ce sujet de conversation n’est pas son préféré, mais la brune est ce qu’elle est : son pouvoir lui permet de matérialiser les émotions sous formes d’odeurs. Voici les leurs.

« Je sens les fleurs. Tu sens le sucre. C’est mon alice. Je transforme ce que tu ressens en parfum. Là, je suis de bonne humeur, donc je sens comme dans les jardins fleuris. Quand je suis en colère, ça sent le brûlé. Je ne le contrôle pas très bien, malheureusement. Donc ça sent souvent. »

Son raisonnement se précise.

« Peut-être que les papillons viendront plus facilement vers nous grâce à ça ? Et puis, pourquoi pas les corbeaux, aussi ? »

Une hypothèse. Loin d’une certitude, Mia considère plutôt tout ça comme un espoir.
L’espoir de croiser des corbeaux, pour faire plaisir à Eden.

Eden connaît les corbeaux. Elle en connaît même un rayon.
Alors qu’on pourrait considérer que son jeune âge l’empêche de réfléchir au-delà de l’observation, l’enfant a pris le temps de se renseigner. Elle a fait la démarche de s’intéresser, de se documenter au sujet de ces oiseaux qu’elle aime tant. Les barrières linguistiques se dressent sur son chemin, mais ça ne l’empêche pas d’essayer.
Mia l’observe en souriant, aussi amusée que satisfaite. Eden, petite Eden, si jeune, si débrouillarde.

« Les mammifères sont les animaux qui nourrissent leurs petits avec du lait. Techniquement, les humains sont des mammifères, les chats aussi. Et même les dauphins ! »

Mia hausse les épaules. Peut-être que la petite Eden comprendra un peu mieux ce qu’elle lit ? Que ça lui permettra d’avoir de nouvelles informations ? Tout le monde est là pour apprendre, après tout. C’est le principe d’une académie.
Les prunelles topazes se déposent sur l’enfant.

« Bon, je ne pense pas qu’on trouve un jour un corbeau capable de manger une vache, ni même un chat, mais quand même ! »

Elle rit doucement.

Eden se remet en marche, toute sautillante. Apparemment, le fait de recevoir un cadeau la met dans une grande joie. L’odeur sucrée qui en émane se renforce, caresse les narines de son parfum qui s’approche toujours un peu plus de celui des bonbons.

Mia ne tente même plus de contrôler son pouvoir. Quand Eden pointe du doigt la prochaine direction, elle décide simplement de suivre, sans essayer quoi que ce soit de supplémentaire. Les pouvoirs ne sont plus que le cadet de ses soucis, leur nouvel objectif est de trouver des corbeaux !

La brune avance tranquillement, s’enfonce au fur et à mesure dans la forêt, jusqu’à un endroit où la végétation est moins dense.
Eden a l’air enthousiaste, le pouvoir de la lycéenne ne lui fait pas peur, au contraire. Elle l’encourage, lui dit même qu’elle la rendra toujours heureuse, si Mia est d’accord. Des rougeurs éclosent sur ses joues. Elle ne sait plus où se mettre.

Délicatement, la lycéenne pose sa main sur la tête de la petite, pour la caresser légèrement. Elle l’enlève rapidement, perturbée par les mots prononcés.
Magique, Mia ?
Magique, Mia.
Mia, magique.
Pourquoi pas, après tout.

« Je ne suis magique que parce qu’on me rend magique ! J’espère que les corbeaux me trouveront aussi magique que toi, alors ! »

Elle rit doucement.

Leurs pas les mènent jusqu’à un coin de paradis, où les rayons du soleil filtrent à travers les feuillages. La chaleur printanière caresse la peau, donne d’agréables couleurs à l’environnement. Mia observe, prend bonne note de tout ce que ses yeux enregistrent.

Le nouvel objectif ? Trouver des corbeaux.
Mia tourne la tête, observe un peu partout. Sur les branches passent quelques timides animaux, qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Sur les fleurs, des insectes. Abeilles, d’abord, mais aussi et surtout, des papillons. Leurs ailes graciles claquent doucement au rythme de leurs mouvements. Des bleus, des rouges, des multicolores.

« C’est joli … »

Mia reste bouche-bée. Voilà une scène qu’elle adorerait coucher sur le papier.
Ses yeux scrutent tout autour, remarquent quelques flaques, qui sèchent lentement.

« Regarde, il a plu récemment. On va pouvoir trouver des vers. Avec de la chance, un corbeau viendra peut-être nous rendre visite ? »

Elle se tourne vers Eden.

« Tu penses qu’il faut se cacher ? Pour ne pas qu’il ait peur de nous ? »

Mia recule d’un pas, se mêle aux ombres.

« Après tout, vu toutes les odeurs … On paraît pas trop naturelles, on va peut-être les repousser ? »

Elle fait la moue.

« Désolée, mes pouvoirs magiques ne sont pas si magiques, je crois ! »

Il y a des inconvénients à tout. Même en étant la reine de l’optimisme, Mia n’échappe pas à ses propres petits coups de mou. L’humanité dans toute sa splendeur. Et dans toute sa faiblesse.

Est-ce une question de boire du lait ? Ou une question d’en produire ?
La petite ne comprend pas très bien. Mia n’est pas enseignante, le sujet est complexe. C’est forcément particulier, quand elle tente de l’expliquer.
Haussement d’épaules.

« C’est plutôt l’inverse ! Ceux qui font du lait, sont des mammifères. N’importe qui peut en boire. Bon, je ne suis pas sûre que les poissons en boivent, mais on ne sait jamais ! »

Après tout, pourquoi pas ?
L’Homme n’est peut-être pas le seul à s’alimenter de façon particulière, certains êtres peuvent aussi élargir leurs horizons, qui sait ? Mia n’est pas biologiste, difficile pour elle de savoir, mais elle doit avouer être assez intriguée. Il y a tant de choses qu’elle ignore.

La petite Eden est pleine de questions, curieuse de tout. Quand Mia lui explique que sa magie n’est pas fondamentalement personnelle, mais dépend aussi des autres, l’enfant rebondit aussitôt. Au fond, ce n’est pas idiot : Si Mia n’était pas Mia, les autres ne pourraient pas influer sur ses capacités. Elle est magique, par elle-même, pour elle-même.
Ça lui fait bizarre, à vrai dire. Être magique, se penser magique.
Mais ça flatte son ego. Et ça lui fait plaisir.

Eden suscite de plus en plus de sourires sur le visage enfantin. Perspicace, innocente, toujours le mot pour remonter le moral et encourager.
Mia l’aime bien.

Les prunelles topazes suivent la tête de la petite. Les corbeaux viendront probablement chercher les vers émergés, comme elle le pense. L’hypothèse est bonne, la cachette devient alors nécessaire. Eden confirme les doutes de Mia : les corbeaux sont peureux. S’ils les voient ou les sentent, ils risquent de fuir, voire de ne jamais venir.
Planquées dans les fourrés, elles ont tout le loisir d’observer. La brune croise les doigts pour que les oiseaux acceptent de sortir de leur tanière.
Même si Eden aime les pouvoirs de Mia, même si elle préfère les avoir que de voir les corbeaux, l’irlandaise ne peut pas s’empêcher d’appréhender. Elle aimerait que sa camarade ait le loisir de croiser ses oiseaux préférés.

Un sourire. Sa main posée sur l’épaule de la petite.

« Merci. »

Un mot, juste ça. Parfois, c’est bien plus qu’il n’en faut.

Un claquement d’ailes, les papillons déguerpissent. Un premier oiseau apparaît, un pigeon. Il a le plumage presque totalement immaculé, avec seulement quelques taches brunes sur la tête et sur la queue. Il n’est pas magnifique, mais il n’est pas laid non plus. Un pigeon, pas un corbeau. Mais tout de même un oiseau.
Mia continue de scruter.

« Regarde ! C’est peut-être bon signe ! », murmure-t-elle à l’attention d’Eden.

L’animal semble à son aise, se sert dans les vers. Un sacré festin pour une aussi petite bête.
Alors qu’il prend le temps de déguster son repas, un autre claquement d’ailes. Soit d’autres pigeons, soit autre chose.
Mia lève la tête. Difficile de le déterminer, de là où elles sont.

« Un autre, tu crois ? »

Pas de croassement pour le moment. Un silence presque perturbant. La vie forestière qui prend ses droits, avec ses oiseaux, ses papillons fuyants et ses insectes livrés en pâtures aux prédateurs.
Mia reste aussi immobile que possible. Allez … Des espoirs, toujours plus d’espoirs.

L’oiseau se pose. Un autre pigeon. Probablement venu ici de la même manière que le premier.
Pour le moment, pas de corbeau. Mais la journée n’est pas terminée, ils finiront peut-être par se montrer ?

« Tu penses qu’ils viendront ? »

Partager ses doutes, espérer. Après tout, on ne sait jamais. Peut-être que la jeune Eden est plus optimiste encore que Mia ?

Quand un animal ne fait pas de lait, qu’est-ce qu’il est ?
Eden enchaîne les diverses questions qui font ressurgir les souvenirs de Mia. Un sourire sur les lèvres. Comme beaucoup d’enfants, la demoiselle manifeste un intérêt certain pour la plupart des choses. Une curiosité candide, adorable, que la brune ne peut pas laisser sans réponse.

« Ce sont des ovipares ! Plus simplement, des animaux qui pondent des œufs, qu’ils couvent et qui éclosent quand le bébé est assez grand. Les mammifères ne font pas d’œufs, ils portent le bébé dans leur ventre. Et quand le bébé est prêt, il sort du ventre. »

Les cours de biologie les plus élémentaires. Mia tente de censurer au maximum les détails, pour ne laisser que les explications réellement importantes. Elle observe Eden avec un large sourire. Peut-être que ces informations suffiront, finalement. Dans le doute, elle préfère ne rien ajouter pour le moment, pour ne pas trop en dire. Si la petite a d’autres questions, elle saura très bien les formuler.

En attendant, leur contemplation des oiseaux se poursuit dans un calme relatif. Les pigeons se succèdent, viennent chercher les vers pour se nourrir. Ils ont l’air d’avoir trouvé la bonne planque pour la journée, puisqu’ils apparaissent tour à tour. Quand l’un s’en va, un autre apparaît. Leurs battements d’ailes laissent Mia pleine d’espoir, jusqu’à ce que la réalité les rattrape. Frustrante réalité.

Les corbeaux ne viendront-ils jamais, alors ?

Plus terre-à-terre, probablement à cause de l’habitude, Eden voit les pigeons venir sans sourciller. Elle prévoit leur arrivée. Les corbeaux se font très rare à l’académie, malgré le temps passé à les chercher. L’enfant reste tout de même optimiste. Cette manière de s’accrocher à ses rêves fait sourire Mia. C’est adorable, à vrai dire. Les plus jeunes ont cette capacité à ne pas lâcher prise, même lorsqu’ils ne sont vraiment pas certains de l’avenir. Leurs ambitions restent intactes. La force de la jeunesse.

Au fond, c’est dommage de ne pas voir les oiseaux préférés d’Eden. Mais elle marque un point : il y a tant d’autres choses à voir pendant cette contemplation.

La brune suit le doigt tendu. Au bout, un écureuil. Les pattes arquées autour de son repas, il le grignote paisiblement.

La faune semble avoir repris tous ses droits. Elle s’épanouit dans un calme absolu, reposant. Mia comprend pourquoi l’enfant vient souvent par ici.

« Si on cherche un peu, on trouvera sûrement d’autres habitants. »

Son sourire s’élargit.

« Plus on en verra, plus j’aurai d’animaux à dessiner ! »

Mia regarde tout autour. Les pigeons continuent leur danse, le rongeur poursuit son repas. D’autres oiseaux chantent, au loin. Ils animent la forêt à leur manière.
La brune sort son carnet, réalise plusieurs croquis, dispatchés un peu partout sur la page blanche.

Dans le lointain, un chant différent retentit. Pas un pigeon. Pas un corbeau, mais quelque chose d’encore différent. Peut-être un animal spécifique à cette forêt ? Il paraît qu’on y voit des créatures peu ordinaires : c’est peut-être leur chance !

Mia range son équipement et fait signe à Eden de la suivre.
Discrètement, elle s’avance jusqu’à la source du bruit. Les feuillages passent, les troncs disparaissent derrière elles. Se dévoile finalement un couple d’oiseaux multicolores au milieu d’une parade. Ils se tournent autour, claquent des ailes, siffle un air mélodieux.
Mia les observe attentivement.

Les animaux font fi de l’existence des deux demoiselles, poursuivent leur propre histoire. Peu calée sur le sujet, Mia ne saurait déterminer de quel type d’oiseau il s’agit. Les plumes lui donnent l’impression que ce sont des pies, car les formes sont similaires, bien que les couleurs diffèrent.

« Tu sais ce que c’est ? », finit-elle par murmurer à l’attention d’Eden.

L’adolescente ne sait pas si c’est exceptionnel, ou rare, tout simplement. Mais elle espère que la petite fille apprécie le spectacle autant qu’elle.