Maria avait été habituée à dorer chaque jour sous le soleil de Palerme. Elle s’est développée sous photosynthèse, tendant à se caraméliser à tout instant un peu davantage, à se durcir et s’adoucir, à se brunir et se renforcer avec les années. Elle se souvient des doigts infinis de sa mère dans ses cheveux drus, des choses étonnantes qu’elle pouvait faire du bout d’un regard tendre. Mais elle n’a que peu de souvenirs tangibles de la chaleur écrasante, de la terre sèche, de la mer opalescente et des pavés chauffés à blanc. Elle les garde dans un coin de son corps, pliés sous sa peau, dissimulés derrière les ridules de son épiderme. Maria a grandi en Irlande, bien au chaud sous le toit de l’académie, pourtant elle se rêve encore un peu d’Italie. Ses parents savaient, ses parents n’ont rien dit, ses parents ont fait sa valise en y mettant des photos et des vidéos. Elle pensait qu’elle rentrerait pour son anniversaire, peut-être qu’elle rentrera pour son quart de siècle, qui sait. Les premières gouttes d’ennui se sont écrasées sur son front autour de sa septième année, recouvrant sa poitrine d’une couche épaisse et collante de mélancolie. Alors elle lève les yeux, et cherche le soleil. Elle s’est convaincue que la pluie lui a assombri l’esprit ; elle lutte contre ses instincts baudelairiens pour rechercher ses racines épicuriennes. Maria s’occupe, en permanence, Maria volette, Maria s’étourdit de choses multiples, de créations sans fin.

Pour ses amis, Maria, c’est Santi. Celle qui dit oui, pas pourquoi, pas peut-être, toujours oui, toujours viens, toujours c’est parti. Arrivée en primaire, elle dessinait déjà toutes les marelles possibles, organisait des clubs de lecture improvisés qui ne duraient qu’une poignée de jours, si ce n’est de minutes, recréait ses dessins-animés préférés grandeur nature à travers les couloirs des dortoirs. Celle qui se cachait au collège pour qu’on ne l’aperçoive pas pleurer pour rien l’espace d’un instant de débordement existentiel, que l’on retrouvait à l’infirmerie pour s’être cassé une cheville, un bras, un poignet à force de tout escalader, de tout affronter, de tout dévaler. Celle qui projetait des films entiers de ses pensées colorées pour que ses amies puissent embobiner ces garçons qu’elle n’avait même pas le temps de regarder. Maria n’a commencé à prendre le temps de vivre ses émotions que doucement, lentement, comme on se laisse fondre au soleil. Au détour de la lecture d’un livre sans grand intérêt, entre deux morceaux un peu trop courts, devant un film au scénario obscur. Maria apprend à appréhender le creux de la vague, son artiste intérieure, son Italie antique. C’est sa principale occupation, lorsqu’elle ne s’égare pas dans ses milliers de distractions. Lorsqu’elle ne compte pas chaque nuage et ne les nomme pas, lorsqu’elle ne réfléchit pas aux prochaines pensées qu’elle pourrait faire vivre en technicolor, lorsqu’elle ne regarde pas passer les gens en leur inventant des vies toutes plus fabuleuses les unes que les autres, lorsqu’elle ne danse pas d’une salle à l’autre en cherchant qui elle pourrait bien enlacer, qui elle pourrait bien embrasser, pour ne surtout pas vraiment penser.

Longue et délirante existence, délicieuse et longiligne asphyxie, jamais vraiment maria, toujours un peu trop santi.