Le printemps avait déjà bien déployé ses ailes, et pour une fois, j’eus un sommeil sans cauchemar.  Aucune douleur (ou presque), aucune angoisse ne se profilait. Ce fut étrange, mais de courte durée, j’en étais conscient. Rapidement les démons viendraient me hanter, le monde redeviendrait ce calvaire où respirer était un supplice. Mais pour l’instant tout allait bien. Alors, je me pris à me dire qu’il serait bien de dessiner.

J’enfilais un tee-shirt à manches longues clair et j’ajustai mes gants noirs. J’attrapais  mon sac des bons jours -un sac en cuir usée jusqu’à la moelle avec le minimum pour les croquis- que je jetais sur mon épaule non lésée et je vérifiais une dernière fois mes lacets avant de sortir de mon antres. Je voulais dessiner, mais pas n’importe quoi. Quand la peur n’était pas, je me surprenais à vouloir capter les vivants, alors la ferme était l’endroit parfait pour ce genre d’exercice.  Des clôtures et des box qui évitaient tout accident, des gens trop passionné pour un dessinateur en herbe. C’était l’une des rares joies de mon existence, une parenthèse sans contact où je pouvais presque voir l’intérêt d’être.

Ce matin, j’étais arrivé tôt, et même si c’était un jour de repos, il y avait encore peu d’agitation. Comme souvent, je saluais sans un mot les soigneurs et je déguerpissais rapidement pour me concentrer sur mes modèles.  Ce jour-là, les chevaux étaient de sortie dans leur enclos. Je m’installais sur un banc bancal un peu en retrait, surement là pour les spectateurs curieux. Sa vétusté ne tâcherait pas l’instant. J’humais la brise printanière avant de choisir ce que je voulais graver dans ma rétine. Le carnet sorti et crayon en main, la séance pouvait commence.

Un premier trait et je fus lancé.  Je glissais pour retranscrire les muscles de l’équidé, et j’éprouvais une certaine fierté entre mes doigts. Si je détruisais tout ce que je touchais, je ne pouvais que reconstruire ces scènes du quotidien. Il n’y avait rien de plus normal que de voir un animal se mouvoir, rien de plus beau et pur que de voir  le crin virevolter et le son des impacts résonner entre mes côtes.

Ce que je pouvais créer, ce que ne pouvait plus ma mère, était un plaisir coupable, d’une tiédeur agréable aux élans glacials. J’avais tenté d’arrêter maintes et maintes fois, par respect pour elle et par culpabilité aussi. Mais j’y étais toujours revenu, encore et encore. L’art était mon oxygène, sous le crayon, les coups le peinture, la gravure, il y avait un monde à redécouvrir. J’étais un spectre, un spectateur qui n’avait pas le droit à la scène et malgré tout j’avais cette faiblesse de laisser des traces de mon existence. Des croquis sans fin, des œuvres inachevés. Tant que personne ne les découvrait, tout allait bien .

C’était un plaisir si simple que je ne voulais pas perdre.

Même si je dessinais, ce n’était pas pour autant que je baissais la garde. Il semblait que quelqu’un était intéressé par présence. Non loin, dans un fourré sauvage que d’aspect, une petite âme m’observait. J’avais espéré qu’il s’en aille rapidement, mais il commençait  à me perturber. Je relevais la tête dans sa direction, ce qui eut pour effet de se dissimuler davantage. Je fronçais les sourcils, articulant avec froideur :

« Tu veux quoi ? »

Ce bonheur éphémère venait d’être entaché.


@Gael Reid

Je n’avais pas vraiment d’attendre concernant ce voyeur. Que ce soit un curieux de ce que je faisais là ou un effrayé qui cherchait le moment pour m’abattre, j’étais habitué à m’imaginer ce genre de scénarios. Mais voilà, devant un enfant, mon visage se décomposa pour une lassitude qui devenait presque habituel. Avais-je un aimant qui rassemblait les cadets autour de moi ? Je n’avais pas encore avalée la dernière rencontre avec cette gamine qui m’avait enlacé avec ses serres perfides. Rien que d’y penser, cela  me donna des frissons. Il était facile d’envoyer paître quelqu’un de mon âge ou un aîné, mais les garnements c’était tout autre chose.

J’étais faible devant eux.

J’avais remarqué ce détail à force des années, les enfants me mettait mal à l’aise, se confondant avec ma sœur je n’avais jamais vu ou le moi du passé. Ce moi qui n’avais pas de parasites, à la vie bien trop simple et paisible que l’on pourrait se nourrir éternellement. Je n’avais rien contre les enfants et c’était bien ça le problème. Si je saignais déjà avec mes semblables je m’arrachais chaque fois le cœur à leur présence.

Que répondre à une curiosité pure ?

Je restais un moment silencieux, pesant le pour et le contre de telles ou telles réactions. J’avais posé sur mes genoux le carnet à croquis, tapotant la partie arrondie sur les feuilles corrompus au graphite. Le laisser s’approchait était une mauvaise idée, sa condition d’individu le rendait imprévisible par définition, quel que soit sa personnalité. Je ne voulais pas sursauter à chacun de ses mouvements, à son souffle ou même à son inaction. Les humains étaient des êtres effrayants, encore plus quand il n’avait pas la maturité de se rendre compte de leur erreur. Convaincu que c’était la bonne chose à faire, je grondais:

« On t’a jamais dit que c’était mal d’épier ? Va embêter quelqu’un d’autre. »

Clair et net, c’était ce que je pensais. Je soutenais le regard, si j’avais pu le brûler je l’aurais probablement fait. Tant que c’était superficiel bien entendu. J’avais juste espéré un peu de tranquillité, qu’il parte sans faire d’histoire et que je reprenais mon dessin dans la gaité.

Mais cela ne se passait jamais comme prévu. Jamais.


@Gael Reid

Je n’avais désiré qu’une journée sans accro, une de ces journées qui glissaient sur la peau à la différence de l’eau qui s’infiltrait pour le monstre. C’était un vœu pieux, mais sans doute trop pour mes péchés. Face au regard de l’enfant, j’avais espéré la fuite et une petite frousse. C’était ce qui me semblait naturel, je n’avais pas l’air sympathique et le papillonnage de la jeunesse avait pour effet qu’il s’attardait peu sur les éléments agressifs. Mais j’avais oublié que les enfants pouvaient être plus simplement être blessée et se laisser aller dans les torrents de leurs émotions.

Son visage se décomposa et je compris l’erreur. Il tenait son haut comme à sa vie, voulant être fort alors qu’il était prêt à exploser. Il ne voulait pas, et je ne pus qu’être touchée par ce courage. Il semblait que je m’étais trompé, il n’avait que voulu voir les animaux, comme moi. Je peux rajouter bourreaux d’enfants à ma liste de crime.  Les regards se tournèrent vers moi, m’accusant silencieusement de cruauté, mais je n’avais rien pour me défendre. J’avais été injuste il paraissait. Mais comment pouvais-je protéger les autres si je ne pouvais pas m’assurer de cette distance. Je tenais mon carnet fermement, tentant de garder cette conviction que c’était pour le meilleur.

Il n’avait rien fait, et avec cette contestation, je m’adoucis sans m’en rendre compte. Il était innocent, je le savais. Les enfants sont innocents, ils ne choisissent pas leur sort. Loin de sa famille, peut-être que le primaire – je supposais son âge à sa taille- avait juste voulu se réfugier à la ferme comme je le faisais auparavant. Peut-être avait-il un animal favori qui le rassurait, qui avait absolument besoin de voir. Quelque chose à s’accrocher loin de ses racines.

Alors je cédai, piteusement. Je le regretterais sans doute plus tard, mais j’ai trop de poids pour une journée si agréable. Je levais les yeux, priant pour qu’aucun accident ne se produise. Je fermais le carnet alors que j’ouvrais mon visage à plus de compassion. Ma voix prit aussi plus de rondeur :

« J’ai mal compris, allez ne pleures pas. Tu as le droit d’être là. Probablement… »

Mais je ne savais pas quoi ajouter. Je ne savais pas consoler moi, je n’étais que le vestige d’un humain. J’étais un être solitaire qui avait coupé tous les ponts pour rester à jamais dans cette forteresse. Je posais les yeux sur la victime, restant sur mon banc. J’aurais aimé savoir, ne serait-ce un peu comment faire. Alors je tâtonnais avec des excuses maladroites

« Navré, fais ce que tu veux mais ne t’approche pas trop. C’est dangereux. »

Avais-je bien fait ? Je n’avais pas la réponse, il n’y en avait probablement. J’étais nouveau-né en relation sociale. La peur revenait dans mon ombre me murmurant qu’il pourrait trop s’approcher.

Mais il était déjà trop tard. Ce qui avait été dit ne pouvait être effacé.


@Gael Reid

Je fixais l’enfant, me demandant si j’avais été ainsi à son âge. A vu d’œil, il semblait avoir une dizaine d’années, j’avais donc à cette époque choisi la voie de la solitude forcée. Mais sans un tel Alice, aurais-je eu le courage de m’approcher d’un adolescent effrayant ? Probablement pas, je n’avais jamais été quelqu’un d’ultra sociable et dès qu’une pointe de stress se profilait, je me cachais derrière mes parents. C’était une période révolu, mais cela ne m’empêchait de reconnaître le courage relatif du garçonnet.

Même s’il l’avait quand même mal refroidi.

A mon conseil, il se rapprocha, ce qui me tendit un peu. Je fronçais les sourcils, me demandant s’il n’était pas sourd ou inconscient. J’avais était clair pourtant. Il pouvait batifoler où il voulait, même courser les chevaux s’il ne craignait pas la ruée. Pourquoi ne m’écoutait-on jamais quand je ne montrais pas les crocs ? Cela m’apprendrait à me laisser aller à la gentillesse.

On finissait toujours par me demander pourquoi, et je me retrouvais à me rappeler les incidents qui s’accumulaient les premières années. Des épaules insensibles à cause d’un chat perché, des lèvres de pièces pour une bises surprises, des choses que je ne voulais pas me souvenirs. Et puis la main de ma génitrice qui  n’était qu’un lointain souvenir… Je sentais des serres étrangler ma gorge. Devoir le dire me faisait mal, devoir y penser me faisait mal.

Une autre question se suspendait dans l’air et je soupirais. Je levais les deux mains, pour qu’il remarque la paire de gants. Je ne m’en séparais jamais quand je sortais. J’articulais donc, avec un brin d’agacement :

« Je peux faire mal au contact, même avec ça je ne peux pas t’assurer que tu ne sois pas blessé. Tu comprends ? Donc reste à cette distance… »

A vrai dire, cela faisait un petit moment que je n’avais fait du mal à quelqu’un. Mais je sais que les contacts sont dangereux, un moindre moment d’inattention pouvait avoir de gros dégâts. Encore plus quand l’angoisse laissait le parasite aux commandants. Je continuais avec un ton égal :

« Des chevaux. Je trouve ça assez fascinant de les voir courir. Mais rien de transcendant et d’intéressant pour un fouineur. »

Je tentais de garder l’équilibre entre la méchanceté et la sympathie, mais je ne savais pas si je réussissais. Je rouvrais le carnet, mon croquis était vraiment imparfait pour l’instant. Me laisserai-t-il tranquille maintenant que j’avais satisfait son désir ?
Je voulais juste reprendre mon activité pour que l’étau  se desserre.  


@Gael Reid

Je tentais mon cœur plus lourd au fur et à mesure. La tiédeur de l’air n’était plus suffisante pour chasser les démons. Tout était difficile à l’extérieur. Même s’il était loin, je ne pouvais m’empêcher de penser au pire. Est-ce qu’un jour cette peur s’estomperait ? Je n’avais pas confiance en mon contrôle de mon Alice. Si j’étais capable de prendre une douche en me concentrant, il devrait être possible d’éviter d’assécher tout ce qui m’entoure. Pourquoi le vivant était si compliqué ? Je maudissais l’entropie et plus de mes propres peurs.

Que pouvais-je répondre à la curiosité sans fin du garçon ? Pourquoi ? Parce que je ne voulais pas qu’il s’approche, cela devait être évident. Je soupirais et mon regard se fit plus acéré. Mais il était difficile d’être celui qui briserait ce sourire fragile qu’arborait le jeune blond. Mes yeux se perdirent autre part, quelques âmes continuaient à épier la scène, pour voir à quel point j’étais sans cœur probablement. J’abandonnais et rouvrit mon carnet. Il ne me lâcherait pas, et en tant qu’adorateur d’animaux il m’était compliqué de ne pas acquiescer à ses mots. Peut-être que l’étau disparaitrait si je laissais un peu de lest.

[color:16fe=midnightblue« C’est surtout loin d’être terminé… »

Très peu de graphite était déposé sur la feuille. Les courbes étaient encore en construction et on pouvait plus parler d’un spectre que d’un cheval. Je grimaçais légèrement, remarquant que mon modèle c’était pas mal éloigné de la barrière. Il me fallait donc attendre dans de reprendre.

« Il s’est échappé… », Murmurais-je à moi-même.

Je ne pouvais m’empêcher de m’agacer moi-même. Si j’avais fait plus attention, sans doute que je me serais rendu compte que je tentais de protéger ce qui n’était plus. Incapable et inutile, ces mots dansaient dans mon esprit. Je grommelais des paroles incompréhensibles et au final, je me décalais à l’extrémité du banc. C’était un de ces jours où l’envie de me battre contre le monde me paraissait futile. S’il était à côté, il serait plus simple à le surveiller. C’était la mauvaise excuse, je n’avais pas envie de le faire pleurer, surtout pour un adolescent misérable.

« Tu peux t’asseoir au bout, mais pas plus près. »

Quelque fois, je ne me comprenais pas. De cette voix sèche je l’invitais à s’approcher alors que c’était tout ce que je voulais éviter. Les chevaux galopaient. C’était naturel chez eux. Peut-être que moi aussi j’avais quelques fois envie de parler, car j’étais humain autrefois.

@Gael Reid