Asmo quitte à peine Pandora. Ça tourne et ça s'emballe dans sa tête comme jamais auparavant. Une envie de foutre le feu, de hurler, de devenir le monstre qu'ils nous accusent d'être. Qu'ils nous poussent à être. Il serre les dents meurt d'envie de débarquer en rage dans le bureau de ce Voltchenkov dont il a tant entendu parler. Mais quelque chose le retient. C'est cette silhouette qui attend dans l'ombre du couloir. Il se glisse à ses côtés et murmure des mots rassurants, il promet que ça va aller, il est là. Regarde Nessa, lui il est grand, alors il la protègera de tout ce qu'il peut se passer. Et lui, il sait ce qu'il va se passer. Il le sait et ça le révolte. Il se redresse et la petite fille glisse une main dans la sienne.

Il a essuyé ses larmes du bout des doigts et elles paraissent encore le brûler. Elle a onze ans. Onze petites années, l'innocence ne vaut-elle donc rien à leurs yeux ? Asmo garde les yeux vers le plafond, s'attaquer au représentant des dangereux n'est pas une bonne idée. Pas encore. Il est là, froid et insensible derrière son bureau. Asmo raffermit sa prise sur la main de Nessa, son pouce la caresse doucement. Je suis là. N'aie pas peur. Sa voix tremblante lui perce le coeur et le rouge de ses yeux flamboie. La colère est si difficile à contrôler.

Asmo ne dit rien. On annonce la bienvenue, on évoque le secret. Il se tend, déjà les insultes et les imprécations se bousculent à ses lèvres. Alors, quand Voltchenkov lui demande - non affirme - s'il y a un problème. Un sourire étire ses lèvres. Un sourire dur, froid et pourtant brûlant de rage. La voix qui s'échappe de sa gorge n'a plus rien à voir avec la douceur qui a rassuré Nessa quelques minutes plus tôt.

- Oh oui, tout un tas. Mais faisons les choses dans l'ordre puisque vous aimez ça, l'ordre.

On accentue les mots, le venin dans la voix qu'on voudrait mortel.

- Pourquoi nous ? Pourquoi maintenant ?

Il veut savoir, il veut savoir pourquoi, alors que ça fait presque vingt ans qu'il est ici et qu'il martyrise tout le monde du regard quand bon lui semble, pourquoi on le convoque ici. À quel nouveau besoin correspond-il ? Et surtout, ce besoin vaut-il l'innocence d'une enfant terrifiée ?

- Une classe dangereuse pour des alices dangereux, mettons, mais mettre presque deux décennies, dans mon cas, et je ne sais combien d'années dans celui de Nessa pour réaliser que les nôtres peuvent poser problèmes, ça me semble beaucoup. J'ai plutôt la sensation de compléter une collection d'outils secrets, parce qu'il semble y en avoir beaucoup ici, des secrets. Qu'en pensez vous monsieur Voltchenkov ?

La voix moqueuse, narquoise, a l'assurance de la connaissance. Oui, il sait. Pandora lui a dit. Mais il veut l'entendre de sa bouche, savoir comment il va formuler cette horreur. Peut-être aurait-il dû penser à Nessa et à ses peurs mais la colère brouille son jugement et la provocation devient son seul moyen de réaction.

Asmo a les mots pleins de sel. Peut être parce qu'au fond de lui, il y a un instinct qui hurle qu'il doit se montrer prudent. Qui clame que l'homme en face de lui est un prédateur comme il n'en a jamais croisé. Il est arrogant Asmo avec ses yeux rouges et sa force qu'il croit à toutes épreuves. Mais il reste un ado qui vacille, un ado perdu dont la meilleure amie a attenté à sa vie, un ado perdu qui a croisé de trop près le canon d'un fusil. Un ado qui n'a eu personne pour être juste un ado désemparé. Privé de ses soutiens, il a avancé droit devant lui, reconstruisant seul ce que l'académie avait détruit.

Et il réalise, Pandora lui a dit ce qui les attendait. Et il a compris qu'il n'allait plus avoir le droit d'être un ado. Juste le droit d'être un pion au service de puissances qui le dégoutent et l'enragent. Et si lui perd une adolescence déjà bien amochée, Nessa perd toute une enfance. Et il pense à Amaryllis, à Pandora qui n'y ont jamais eu le droit, envoyées sur le champ de bataille dès leur plus jeune âge.

Il voulait des réponses à ses questions et il comprend qu'il n'aura rien, parce qu'il n'a plus le droit à la parole. Parce qu'il n'est qu'un alice que des yeux qui serviront des intérêts trop grands pour lui. Ses yeux flamboient. Ses provocations glissent sur Voltchenkov comme de l'eau sur une vitre.  Mais les siennes, des flèches, des piques précises, acérées par l'âge, se fichent exactement là où il faut. Et la colère ravage tout, on oublie l'instinct, on oublie Nessa tremblante. On lâche sa main, Asmo devenu Asmodée qui braque ses yeux sur son nouveau professeur.

Ils veulent ses yeux, qu'il les essaye. Il voulait croiser ton regard, te lancer son indifférence, qu'il le croise et regrette.

Asmodée bondit, une main sur le bureau, l'autre un poing qui percute une joue qu'on suit du regard, enflammant les nerfs de souffrance.

- C'EST VOUS LE PROBLÈME LE PUTAIN DE PROBLÈME ! VOUS TOUS ! ON EST PAS DES PUTAINS DE PIONS !

Il hurle à s'en déchirer la voix. La fureur anime chacun de ses gestes, la haine, la putain de haine qui l'anime et le rend fou. Il hait l'académie et ce qu'elle a fait de lui, ce qu'elle fait d'eux tous, des pions, des outils.

- Je refuse d'être un de vos putains de soldats et d'aller mener je ne sais quelles missions au dehors !

Mais le problème Asmodée, c'est que tu n'as pas le choix, et que dès lors qu'ils avaient posé les yeux sur ton nom, tu n'avais déjà plus le choix, plus de liberté. Juste un chien à qui il faudra resserrer la laisse.

Les dangereux ne sont pas des loups qu'on a mis à l'écart parce qu'ils font trop peur, ce sont des chiens à la botte de maitre indifférents.

Asmodée est une bête qu'on a réveillée, qu'on a tiré d'un sommeil millénaire et qui hurle toute sa rage. Elle aurait pu rester enfouie, cachée là où elle ne dérangerait personne. Mais ils ont choisi de la libérer parce qu'ils se sont dit qu'elle servirait. Asmodée enfonce son poing dans la joue de Voltchenkov avec fureur. Il le broie du regard avec intensité. Qu'il teste le feu des yeux qu'ils veulent tant recrute, qu'il l'essaye et le déteste.

Aucune pensée pour les conséquences de cet acte, plus aucune pensée pour Nessa, paralysée dans un coin de la pièce, plus rien juste un ras de marée sauvage dirigé en un seul but, te faire payer, Voltchenkov, cette énième atteinte à sa liberté. Mais aussi, vous faire payer la chute d'Amaryllis. Surtout ça.

Il n'a le temps de rien faire, pas plus et il en a déjà sûrement trop fait. Des doigts s'enroulent autour de sa gorge et la serrent avec force. Asmodée grogne, se débat. Sa main vient choper le poignet qui le retient, il y plante ses ongles sales, pleins de peinture et d'encre. Il griffe, se débat. Quand soudain ...

On a pas mis un chien pour garder les lions en cage, on a mis un dragon, une vouivre, une chimère, un monstre.

Les yeux d'Asmodée s'écarquille, il suffoque mais surtout, il sent au fond de lui qu'on l'arrache, qu'on l'arrache à lui-même. Des lambeaux de sa vie, de son énergie qui quitte son corps pour le nourrir lui et déjà, effacer les traces d'une rébellion qu'il assassine à peine sortie de l’œuf. Le cœur bat à mille à l'heure, c'est la panique à bord, on se sent mourir. La peau qui pâlit, ses doigts qui se font de plus en plus faibles autour du poignet qui le retient, doigts qui finissent pas tomber, par s'échouer le long d'un corps tremblant de fatigue, de mort.

Les menaces passent avec la clarté du cristal malgré le sang qui bat furieusement aux tempes, qui achemine un air vicié et inutile. Asmodée, pour la première fois peut-être, se sent pris au piège. Parce que soudain, soudain, il a peur et il réalise à quel point il est une proie. Lui, si fier de sa rébellion est tombé sur plus fort que lui.

La crainte plante ses graines. Elles achèveront de germer plus tard, trop tard pour l'empêcher de provoquer une nouvelle fois l'ire de Voltchenkov.

Mais là, les étoiles dansent devant ses yeux, l'air est sombre et on sent à peine le sol nous heurter, on sent simplement la vie qui recommence à circuler, on sent le cœur qui sert à quelque chose. Mais on reste tremblant, on ne bouge pas. On a l'ego en miettes et surtout, une graine de terreur au coin de la poitrine.

Les ordres claquent. Et, on se redresse. Asmo, on a perdu Asmodée, trop faible, trop flou, vacille, il tangue. Ses cheveux noirs sont détachés et tombent en mèches éparses sur ses épaules. Ses yeux rouges ont perdu leur éclat et fixent un point vague sur le bureau. Il se tait. Il ne dit plus rien mais n'en pense pas moins.

Sa main, tremblante encore, alors qu'on tient à peine debout, alors que la moindre action nous demande trop d'énergie, sa main vient se glisser dans celle de Nessa qu'on sert doucement. Comme une excuse et un soutien. Parce que ce que va dire Voltchenkov, il le sait. Mais Nessa, elle, ne sait pas encore, et ne réalisera sûrement pas qu'on sacrifie son enfance pour engraisser le monde des grands.

Il ne dit rien, serre doucement la main de la fillette. Ses yeux balayent le parquet, mais, alors que la peur creuse son trou, la lueur de défi qu'il espérait sûrement avoir soufflé refait surface. Elle tremble encore, se cache mais ne s'éteindra pas et un jour, un jour oui, elle deviendra brasier et toi, Voltchenkov, tu seras un des premiers à brûler.

La main de Nessa est tremblante dans la sienne, ses mots sont fluets, doux. Ils dissonent tellement ici. Elle n'a rien à faire ici. Trop jeune, trop douce et innocente. Mais la guerre n'a pas de coeur, la politique encore moins. Alors, si on a des enfants qui peuvent se rendre utiles, qu'ils le fassent, même si cela leur coute ce qui fait d'eux des enfants justement.

Les mots de Voltchenkov glissent sur lui. Il les connait déjà, Pandora lui a dit. Elle n'a pas expliqué les détails mais finalement, il a compris. Il a compris qu'on allait le façonner, qu'on allait faire de lui une machine de guerre, qu'on allait l'utiliser comme un objet. Ils sont spéciaux, des outils sur mesure, des enfants soldats envoyés en pâture au monde.

Mais Asmo est de ceux qui enfouissent mal leurs émotions, trop habitué à ce que personne ne voit ses yeux, son corps trahit sa tension. Voltchenkov n'est pas un idiot - bien qu'on l'espérait au fond, il serait moins terrifiant - et il voit. Il voit tout et devine tout, comme s'il connaissait déjà son nouvel élève par cœur. Asmo garde le silence. Pas un son ne filtre de sa bouche et l'étincelle de défi, de rébellion danse de plus belle dans ses yeux. Oui, il sait tout ça et non, jamais il ne vous dira qui l'a prévenu. Et il l'en remercie, il ne préfère pas penser à comment il aurait réagi si c'était Voltchenkov qui lui avait tout appris de sa nouvelle condition. Il ne serait sûrement pas là pour en parler.

Voltchenkov renonce, un répit. Bref, Asmo en a désormais conscience mais sa décision est prise. Jamais il ne parlera de Pandora, surtout pas à lui, surtout après ce qu'il vient de subir.

Il serre doucement la main de Nessa alors que peu à peu la laisse se referme sur leur cou. L'annonce est tombée, on les envoie au dehors pour faire le sale boulot.

Asmo sent peu à peu les forces revenir en lui, doucement, sa vision s'éclaircit et ses jambes tremblent moins. Un souffle le ferait chuter à nouveau mais pour le moment, il peut se permettre de redresser un peu les épaules, d'avoir moins l'air de courber l'échine. En parlant de courber, celui qui débarque semble en être le roi. Et il est accompagné d'un autre, plus méfiant qu'Asmo a déjà aperçu de loin.

Ace salue Voltchenkov avec une déférence qui ferait ricaner Asmo en temps normal, là, l'étincelle de moquerie se contente de danser dans ses yeux. Et le roi des cons s'en donne à cœur joie, la moquerie devient fureur. Il grince des dents, irrité qu'on lui rappelle cette fichue étoile. Avant, il aurait pu laisser couler, laisser glisser, il est trop habitué aux remarques quand elles le concernent pour réagir, mais ses nerfs sont à fleur de peau et à peine les mots tombent de la bouche d'Ace qu'il a déjà envie de lui faire bouffer ses dents.

- Si faut passer sous le bureau pour être vivant, plutôt crever. Qu'il siffle entre ses dents serrées. Ça le débecte autant de mépris et de regards obséquieux, qu'il aille remuer la queue ailleurs.

À côté, Robin se présente joyeusement et au fond, Asmo est soulagé, Nessa est entre de bonnes mains. Il lâche d'ailleurs la sienne pour qu'elle puisse prendre celle de Robin, le jeune homme serait sûrement plus chaleureux et rassurant qu'un démon furibond.

Les quelques paroles que s'échangent Nessa et Robin réchauffent doucement le coeur d'Asmo. Il s'accroche à ces quelques phrases et la lumière qu'elles dégagent. Parce qu'il a besoin de croire, il a besoin de chaleur pour affronter ce qui va suivre. Ça le rassure de savoir que la fillette sera entre de bonnes mains, que celui qui se chargera de répondre à ses questions sur le monde qui s'ouvre à elle soit quelqu'un comme Robin.

Lui tombe sur Ace. Choix logique, qui de mieux que le plus fidèle, le plus docile, le plus rampant des chiens pour s'occuper de celui qui jappe dans le vide, qui hurle son droit à la liberté. Voltchenkov a bien compris à qui il avait à faire et déjà autorise Ace à sévir. On donne des droits à ceux qui tiennent le rang, comme d'habitude. Au fond d'Asmo, ça rugit profondément, ça voudrait hurler, se débattre encore et encore, mais il n'en a pas la force. Il est encore abruti par la vie qu'on lui a arrachée quelques instants plus tôt. Sa respiration est lourde, ses jambes tremblantes et sa vision vacille trop pour qu'il puisse prétendre à quoique ce soit.

Alors il se tait. Il se tait et digère l'information. Ace a désormais tous les droits sur lui et vu la comment il a réagi aux piques d'Asmo un peu plus tôt, il ne va pas s'en priver. Et Asmo lui rendra bien, il y a trop entre eux, trop de différence, trop de mépris. Et il n'y a plus la présence d'Amaryllis entre eux pour les pousser à se calmer, à se tenir éloigné l'un de l'autre. Il n'y a maintenant qu'un vide, une rancœur absolue qu'Asmo n'est pas prêt d'oublier. Il savait, il était là, dans cette foutue classe avec elle depuis le début, il savait et n'avait rien fait. Et il lèche avec adoration les bottes de ses tortionnaires. Quel genre d'ami tu es Ace ? Quel genre d'humain tu es ? Es-tu humain ou juste un chien ?

La porte se referme, emportant Nessa et Robin hors de cet enfer. Enfin. Asmo au fond, est soulagé, sans toutefois ignorer ce qui va lui tomber dessus. Le battant claque et immédiatement Voltchenkov révèle sa vraie nature, plus profonde encore. La colère qui envahit la pièce arrache un frisson à Asmo et la crainte qu'il lui inspire s'ancre un peu plus en lui.

En temps normal, Asmo aurait réagi, un peu, il se serait préparé à ce que quelque chose arrive - mal sûrement mais il l'aurait fait. Alors, il n'est pas surpris quand le sol se dérobe à ses pieds, il n'est pas surpris quand une main ferme vient agripper son bras, écraser son crâne sur le sol. Il ne se débat pas mais le feu brûle dans ses yeux, la colère gronde. Et le grognement qui lui échappe est autant dû au choc qu'à la rage.

Le sang siffle à ses oreilles et il n'entend pas - ou choisit d'ignorer les menaces de Voltchenkov. Il se tend en revanche quand il mentionne la faiblesse de celle qui lui a tout raconté. Pandora n'est pas faible, jamais, de tous c'est la plus forte, bien plus qu'Ace, bien plus que lui. Mais s'il peut la protéger de Voltchenkov, alors il le fera, il ne la trahira pas, jamais. Jamais.

S'il n'a pas vu le sourire jubilatoire d'Ace, il le devine et ça le fait grincer des dents. Les mots tombent et on tente de lui dicter une nouvelle loyauté, on tente de lui faire comprendre qu'il doit désormais se mettre au service de ceux qu'il hait. Face contre le sol, un sourire mauvais étire ses lèvres. Asmo est une bête en cage et même s'il aime de tout son corps, de toute son âme des gens comme Caprice, Pandora ou Anaël. La seule qui aura jamais sa totale loyauté, sa totale dévotion, c'est la liberté. Il sacrifierait tout pour elle.

Ace s'approche et s'abaisse à son niveau dégoulinant de mépris et de haine. Ses mots le dégoutent, la bouche d'Asmo se tord dans un rictus malsain, mauvais. Ses yeux affaiblis cherchent Ace, même si, maintenant, ils ne peuvent lui infliger que de vagues brûlures plus gênantes que vraiment douloureuses.

Qu'il s'éloigne, qu'il parte ce chien. Ils sont tous trop près de lui, trop présents. Asmo tire sur ses bras, tente de relever la tête.

- Jamais vous n'aurez une seule once de mon respect, jamais je ne vous donnerais ma loyauté. Il prend une inspiration difficile, le genou de Voltchenkov au creux de ses reins lui fait de plus en plus mal. Allez-y utilisez votre alice, vos alices, j'en ai plus rien à foutre, je ne vous dirai rien.

Asmo ne sera pas un chien en laisse, qu'ils le croient, qu'ils l'espèrent si ça leur fait plaisir, il sera ce loup à qui on a mis un collier et une muselière dans l'espoir de faire taire son instinct sauvage.

Tout ce qu'il espère, c'est sortir en vie de ce bureau.

Le nom de Pandora dans sa bouche sonne comme un blasphème. Son autorité - non, leur autorité - prétendue sur elle lui donne envie de gerber. Asmodée gronde, menaçant, ses yeux foudroient aux alentours mais ils sont prudents et évitent leur feu vengeur.

Asmo sait qu'il a échoué à la protéger, tout en sachant que c'était une évidence, personne d'autre n'aurait pu lui parler de ça, n'aurait pu lui expliquer. Personne d'autre n'aurait été capable de lui avouer tout cela sans qu'il explose, qu'il se déchaine. Elle a entrouvert la porte de sa nouvelle cage avec amour et douceur. Il ne sait pas ce que Voltchenkov lui fera et ça le mine encore plus. Il tend ses muscles, tire désespérément sur les mains qui le retiennent, en vain.

Il ne peut rien faire.

N'a jamais été maitre de quoique ce soit.

Le genoux qui appuie, qui broie ses reins pour souligner le mot confiance. À son opposé, il y a méfiance, défiance et dégout. Jamais il ne leur accordera une seule miette de sa confiance, jamais jamais jamais. À aucun prix. Asmo ne dit rien, il se tait, il sait qu'il a perdu. La pression sur son dos se relâche mais le feu qui brûle dans ses yeux ne s'apaise pas. Il exige l'impossible, il exige ce qu'Asmo n'offrira jamais. Jamais à quelqu'un comme lui, à quelqu'un comme eux. Des chiens serviles, des bêtes de combats, des monstres aux visages vaguement humain.

Il ne répond pas, parce qu'il n'y a rien à répondre. La lenteur dans ses gestes, son visage fermé et ses yeux encore rougeoyants, tout en lui clame son rejet de ce qu'il entend. Il en rirait presque mais il n'a pas le temps. Ace est soudainement là. Et ses mots à lui, on les entend, on les entend. Voltchenkov parlait dans le vide, exigeant une loyauté et une obéissance qu'il n'aurait jamais, tentant d'asseoir par la peur une emprise durable. Ace ... Ace lui, parle au coeur, parle d'elle.

Et il n'aurait jamais dû.

Asmo se fige un instant, le temps de comprendre, le temps de réaliser. Puis, Asmodée - aucun autre nom ne correspond à l'ampleur de ce qui vient de se réveiller - se redresse, toisant Ace de toute sa hauteur. Voltchenkov et son alice monstrueux, ses menaces, la classe danger ... plus rien n'a d'importance.

Seul compte le poing qu'on écrase sur la joue de l'autre - le deuxième de la journée, joli score. Asmodée est encore vacillant, encore faible mais la rage donne des ailes et décuple la violence. Les mots qui lui échappent sont lourds, bas, emplis d'une haine pure.

- Comment tu peux oser parler d'elle ? Alors que tu savais ! T'as toujours su ce qui lui arrivait, ce que vous, geste accusateur vers Voltchenkov qu'on oublierait presque, la forciez à faire. Tu savais et tu n'as rien fait, tu l'as regardée sombrer et tu n'as rien fait. Tu es un lâche Ace. Plutôt que de remettre en question ta dévotion servile à cette classe malsaine, tu as préféré laisser ta meilleure amie s'enfoncer seule avec ses démons. Toi seul, qui savait ce qu'elle endurait aurait pu trouver les bons, les vrais mots.

Le regard d'Asmodée se fixe sur lui, enflammant ses nerfs - peu, il est faible mais la colère rend courageux. Il admet, à demi mot qu'il n'aurait pas pu trouver quoi lui, comment l'aider, mais que toi Ace, tu aurai pu. Et ça rend sa haine encore plus forte.

- Mais tu ne l'as pas fait. Tu l'as abandonnée, tu es un lâche, le pire de tous.

Et le dégout qui dégouline de sa voix témoigne de toute la haine qu'il lui porte désormais. Il est tremblant, vacillant sur ses jambes, la rage au corps. Il s'en faudrait d'une pichenette pour qu'il tombe. Et ça serait sûrement la meilleure chose à faire, qu'il s'évanouisse pour éviter Voltchenkov qui ne manquera pas de lui faire payer une nouvelle fois ses accès de violence.

La peur qu'il a ancrée dans le cœur d'Asmo n'a pas résisté à sa haine. Comment peut-il espérer avoir loyauté et obéissance ?

Chien galeux des dangers, chien galeux de l'académie.

Prêt à tout bouffer pour sortir.