Le goût de la révolte, Gina l'avait touché du bout des doigts. Elle l'avait goûté et savouré avant de se décider à l’abandonner. Le confort et l'égocentrisme firent pencher la balance et petit à petit, ce fut au dépend de ses valeurs qu'elle gagna ce confort.
Voilà plusieurs semaines que l'étudiante parcourait l'Académie, son badge filant contre la poitrine, la tête haute et une pointe de culpabilité piquant son cœur, là, derrière la fierté.

Ce jour-là, il n'était point question de sortir ses griffes cruelles, point de désir cruel, juste une fierté mal placée, l'extase du pouvoir qui grandissait quand elle portait sa punition ridicule. Du moins, il était dans l'ordre logique des choses que Gina ressente cette foule d'émotions. Mais cette fois-ci, il n'en fut rien. Il n'y eut que l'aigreur dans la bouche, les sourcils froncés et une pointe plus grande, là, dans sa poitrine. La badge lui pesait pour la première fois. Pour la première fois, le badge Nova était lourd alors qu'elle passait la porte de la salle du conseil avec Orion.

Les pas lourds avaient guidé l'étudiante jusqu'au bureau où Orion trônait, là, derrière ses papiers. Gina avait laissé son long corps fatigué se reposer sur le coin du meuble et en quelques regards derrière ses lunettes, un mail arrivait sur le portable du président du conseil. Fin sourire, soupir, Gina était sceptique.

- Je te l'ai envoyée. .. Tu trouves pas qu'elle était exagérée cette punition..?

La question avait été dite avec trop d'hésitation, les mots plein de doutes, plein de craintes. Parce qu'avec Orion, Gina pouvait poser ces questions, elle pouvait lui demander de faire la lumière dans ses zones d'ombre depuis tout ce temps.

Les yeux se plantent dans le regard du coéquipier. Gina ne dit rien de plus, elle reste fixe, là, sur le bord du bureau, le coeur au bord des yeux alors qu'ils sont là, complices du crime d'un ordre désuet. Rien n'a de sens et ils continuent, comme deux pantins, à suivre la loi illogique de cet institut. Et pour quelle raison ? Simplement pour leur égoïste souhait, leur égoïste vœu, celui secret du roi et celui d'une sotte en quête de contrôle.

C'est surprenant d'entendre Orion approuver, d'entendre Orion en opposition, même si légère. Orion n'était pas des révolutionnaires, il était de ceux qui suivaient, il gardait la tête haute dans sa dévotion pour l'ordre. Et Gina pensait que rien ne pourrait l'opposer au système.
Et pourtant.
Orion s'agite, Orion s'éveille et s'exclame de colère, d'une lassitude surprenante, laissant l'adolescente bouche bée un court instant. Enfin, Orion répond, enfin il se joint à ses mots et ils peuvent converser.

Alors Gina a un sourire abasourdi, elle soupire et s'avachit sous le poids trop lourd des responsabilités.

- C'est rare que tu parles autant. Ca fait plaisir de savoir que toi non plus ça t'enchante pas, genre, toi.

Silence encore. Elle fixe le vide, pense encore, pense trop encore, Gina avec sa tête trop agitée. Et encore, elle soupire. Elle soupire parce qu'elle ne sait pas ce qu'ils peuvent faire, elle soupire et elle parle elle-aussi.

- Ca a aucun sens oui.. Je.. Je sais pas ! C'est.. Ah je sais pas !

Elle gesticule elle-aussi, elle tape une main fatiguée sur le bureau, jure en italien, cherche un sens qu'il n'y a pas dans ces règles dépassées, envahissantes.

- Jte jure Orion je capte rien. En quoi ça va aider l'Académie de fliquer les élèves ? Alors que le danger est venu de l'extérieur ? Je capte pas.

Elle hésite, tripote un stylo entre ses doigts, l'observe comme s'il allait soudainement lui apporter une réponse. Et c'est dans un murmure seulement qu'elle avoue.

- Orion, je peux te dire un secret ? Bien sûr que je peux, question bête. Si je suis entrée chez les Novas... Bon c'est aussi par égoïsme hein jte le cache pas, l'égo, pouvoir être.. au dessus.. Mais c'est aussi pour les infos. Après la nuit, là. L'Académie nous cache trop de choses. Si on risquait rien.. Ca passerait ! Mais on s'est fait attaqués et.. Je sais pas Orion bordel, c'est n'importe quoi.

Elle se tait, murmure plus doucement encore, bouffant cette lèvre abîmée.

- Maintenant je sais pas si ça en valait la peine. D'entrer dans les Novas. Ca peut être plaisant parfois mais là....

La colère boue, la douleur d'être un pion fuse. Ne rien comprendre est la pire des choses quand on doit se faire bourreau.
Gina, elle poursuit sa route sur la pointe des pieds, tremblante, derrière l'ordre. Il le fallait. Pour elle, pour sa conscience, pour les autres. Comment pourrait-elle se regarder dans une glace si elle ne suivait même plus ses valeurs ? Gina veut la vérité, ça n'a pas changé. Elle veut la liberté et retrouver la sécurité qu'ils ont perdu cette nuit là.

Immobile, droite, elle a planté ses yeux sombres dans ceux de son complice. Elle le jauge, les lèvres pincées, les sourcils froncés, les ongles plantés dans les paumes. Gina trépigne aussi. Elle trépigne de curiosité, c'est certain mais surtout, elle trépigne de crainte. La vérité. Gina a besoin de la vérité pour vivre en paix. Elle a besoin de savoir, d'avidement tout savoir pour dormir quand vient la nuit.

Elle hoche la tête aux propos de son ami, se questionne sur les raisons d'Orion, sur les raisons de tous, même. Avaient-ils tous été attirés par le pouvoir ? Par un semblant de contrôle dans ce monde défaillant ? Tout s'était écroulé cette nuit-là et tous cherchaient un équilibre dans cet univers désormais branlant. Mais Gina, elle ne l'avait pas trouvé. Elle ne l'a pas trouvé. Elle reste figée dans l'incompréhension, dans la peur et l'angoisse. Et être Nova ne lui avait apporté aucune réponse pour l'instant. Elle soupire, pose une main sur la tête d'Orion, réconfortant son ami comme elle le peut.

- Pourquoi t'as accepté toi ..? 'Fin si tu veux en parler..

Orion n'est pas bavard c'est sûr. Il écoute, encore et encore, mais aucun mot. Entendre sa frustration est déjà un miracle.
Nouveau soupir, Gina pense, encore et encore, elle se triture la cervelle, retourne chaque événement sans comprendre la moindre chose. Et ça la frustre, ça l'énerve, ça l'attriste. Gina, elle ne comprend plus son monde et tout s'écroule petit à petit.

- J'en sais rien.. C'est juste dégueulasse de nous utiliser. Et.. Je sais pas Orion y'a tout qui est flou c'est putain de chiant !

Elle aussi, elle s'écroule, elle aussi, elle perd tout repère et ça la rend folle. La tête tombe entre les mains, elle soupire encore et elle se tourne un peu pour regarder le major.

- J'ai essayé de hacker les bases de données de l'Académie et ils ont même renforcé la sécurité de ce côté, j'peux même pas espérer y arriver easy. Et pour Alvin et Melchior.. Je sais pas. Peut-être Alvin mais Melchior j'ai l'impression que c'est une tombe.

Elle se laisse tomber sur le bureau, s'étire, observe le plafond et son ami toujours assis à côté, dans son champ de vision. Il a réellement l'air perturbé. Plus d'air de marionnette, plus de petit soldat. Ils sont tout deux des machines cassés par cette faille dans leur monde.  

Gina, elle écoute Orion sans ciller. Elle l'écoute et lui sourit doucement parce qu'Orion, elle commence à le connaître sous le bout des doigts et le simple fait qu'il admette une raison, aussi secrète soit-elle, est un exploit qu'elle apprécie. Et elle apprécie encore plus de savoir qu'il a assez confiance pour un jour lui révéler ce secret.

- T'inquiète, prends ton temps, c'est rare que tu en dises autant, déjà.

Un autre sourire. Avec Orion, c'est une amitié sans brusquerie, si ce n'est pour plaisanter. Alors elle glisse une main dans les cheveux sombres, les secoue en ricanant.

- Roh, j'aime bien quand t'es moins tendu en tout cas, ton secret a l'air de te rendre souriant, c'est bien.

Et elle le pense sincèrement Gina. Car Orion, il est trop sérieux, depuis trop d'années. Même si elle admire ce sérieux, cette dévotion, elle ne peut que penser que ce rapport au travail est malsain, oui, elle qui se noyait dans son travail disait ces mots d'Orion. Parce que le major était bien pire encore à ses yeux. Il a retrouvé son sérieux très vite, après cet air doux, après le vent de rébellion. Et pourtant, la flamme reste là, brûlante, et Gina sait qu'il se battra pour connaître la vérité. Elle hoche la tête à chacun de ses propos. Gina, malgré ses airs de grande soeur, elle suit Orion depuis longtemps et même maintenant, elle est prête à la suivre au bout du monde, l'accompagner dans la victoire ou la déchéance tant qu'ils luttent pour ce qui leur semble juste.

Alors quand il lui fait ce remerciement si doux, si sincère, elle ne peut qu'être touchée. Lui qui ne parle jamais, lui qui garde tout pour lui au point qu'elle ne sache jamais s'il l'apprécie ou la supporte à peine.
Ça a le don de la laisser sans voix, un court instant. Et elle rit, sourit, un peu gênée, surprise par la sincérité. Et elle se relève, elle pose une main chaleureuse sur l'épaule, la tapote, doucement.

- Tu es bien bavard aujourd'hui. Que d'émotions ! .. Mais t'inquiète. Y'a pas de quoi, je.. Je serai toujours là, même si tu fais de la merde, comptes sur moi pour te tirer les oreilles. Tu peux vraiment compter sur moi, ok ? Je te dois bien ça.

Il y a un sourire, un clin d'oeil présent pour détendre la solennité des propos pourtant bien vrais. Parce que l'aide d'Orion, son oreille toujours attentive et la droiture qu'il a, Gina ne l'oublie pas et elle est bien décidée à le suivre telle l'amie dévouée qu'elle est devenue au fil des ans enfermée à ses côtés.