Cinnamon viens danser ça ne fait rien
que les autres voient que les autres sentent
ça ne fait rien lorsque tu prends la main
on n'a pas mal alors viens.

on devine que ce n'est pas du venin sous ta peau
que ça hurle sous les os - Liu entend la rumeur
de ce qui court dans ton cœur
ce n'est pas la première fois
parfois au détour d'un couloir
ou bien au milieu des fleurs
on te voit - ce n'est plus tituber
c'est presque des pas
(de danse).

de ceux qui chancèlent entre rire aux éclats et éclats de sanglots de peur d'entailler le monde tu retournes les la(r)mes contre toi
Liu avait dit viens désarmé et tu verras
comme on peut tendre les bras
dans la salle aux miroirs
tu réponds pas encore
pas maintenant.

alors
aujourd'hui encore
on n'a fait que tendre les doigts
à peine effleurer Cinnamon éthéré on sait ce que c'est
tu sais souvent on tremble pareil en voyant approcher
si tu ne viens pas ça ne fait rien
on dira une prochaine fois
quand tu voudras

quand il fera meilleur
des éclaircies sur les humeurs
chasse les nuages et tout ce qui sépare
et tend la main et dit
viens

emmène loin des reflets loin dans la forêt car dans la pièce aveugle tu ne veux pas tu préfères à l'abri des regards et Liu suit titubant les feuilles crissants sous les pas rythment le cœur qui bat
fort.
ici c'est terrifiant mais il n'y a pas plus confortant que vos mouvements au creux des bois car
aujourd'hui enfin
on s'est pris la main (enfuis)
et on mêle touche mélange
les couleurs et on danse
seul(ement)
avec toi.

tourne tourne tourne sur soi-même
une dernière fois
avant de lâcher prise
et tomber là

le sol tendre accueille tout le corps qui repose
épouse les omoplates saillantes - on n'a pas mal
allongé à même la forêt après avoir dansé.

et les cils papillonnent
car dans les yeux c'est débordant de lumière
le ciel à l'orée des feuillages là-haut
au dessus de Liu essoufflé - inspire
expire, respire - ça sent la vie.

... tu devrais vraiment venir au club de danse avec moi la prochaine fois.

c'est si dommage de cacher ça
de te cacher toi
Cinnamon.

souffle des secrets aux charmes Cinnamon
ce sont des arbres qui gardent toutes les confidences
et l'on a rien gravé dans l'écorce alors
tes aveux on garde précieusement.
tes envies Liu regarde
comme elles éclairent tes yeux
cachés sous ton bras on devine -
ça brille sûrement de briller assuré
tu aimerais bien.

déployer les corolles et révéler les fleurs c'est si tentant Cinnamon tu sais Liu comprend, l'urgence d'exister à cœur ouvert on aimerait bien aussi
danser à vie et suivre ses propres métronomes
sans redouter qu'ils ne s'accordent jamais aux autres.
effrayé de battre seul des tempos qui ne feront jamais écho
ou bien que l'on refuserait d'écouter - on a peur
de dégoûter le monde avec ses mélodies-là.

alors elles résonnent étouffées bien à l'abri dans les bois là où rien ne peut nous arriver, au creux de l'herbe les pensées tendent l'oreille et les frênes oscillent au gré du vent mais ils semblent tanguer comme ceux qui valsent doucement.
et la rumeur de la tête se tourne vers toi et t'observe
avant que tout le corps ne bascule
de coté d'abord et puis Liu
plante les coudes dans les sols meubles
surplombe allongé sur le ventre
pour mieux te voir à coté de lui.

j'ai peur aussi.

qu'il dit presque la tête haute, elle s'abaisse

tout l'temps.

on est au diapason Cinnamon -
et les regards roulent sur ses mains où les doigts s'entremêlent.
rideaux des cils sur les pupilles graciles
battent comme des ailes de papillon.

... mais là-bas c'est fait pour ça -
c'est sans danger.

c'est avoir des prises auxquelles se raccrocher au moment de sauter dans le vide et jamais de chutes mortelles - on ne risque rien
toujours quelqu'un pour rattraper
(d'autres danseurs ou bien
nos propres reflets).
mais Liu comprend bien que les œillades terrifient et puis
dans une salle couverte de miroir
il n'y a nulle part où se cacher.

pour le moment ce sont rien que les siennes, Cinnamon
qui t'observent volatiles, barrées de mèches charbon.

si tu veux la première fois on peut y aller rien que toi et moi.

si c'est le regard des autres qui te gênent
alors on ira aux heures où ils n'existent pas -
Liu aime bien danser la nuit aussi.

rien que toi et moi et après - on ne danse pas comme il faut les yeux fermés et viendra l'heure d'exister au grand jour - tu redoutes ce moment-là, Cinnamon,
à l'abris de tous
à l'ombre des merisiers
tu préfères.
la brise d'après-midi a des mains graciles - elle vient les passer dans vos cheveux, le geste tendre rassurant pour souffler
qu'il ne fallait pas s'en faire (tout bas)
alors Liu dit tout hautcompte déjà les temps un deux trois quatre
tout en sachant très bien qu'il n'y a pas que la valse
qu'il n'y a pas que nous mais eux aussi
et dans la foule pas que des badauds bienveillants.

des regards acérés parfois
on les connait par cœur (comme les pas)
s'y est déjà coupé le cœur à vif
Liu en porte les cicatrices et puis
il n'y a pas que les yeux
il y a la voix aussi
les mots durs
et les doigts
changés en griffes
ou bien en poings.
coupant des phalanges, tranchent
ce que l'on est - on a fini en lambeaux par le passé
toi aussi Cinnamon, pas vrai ?
Liu le sent
ça se devine facilement car
les estropiés se demandent toujours
comment tenir debout
demain encore.vaporeuse, la tête s'incline, comme pour te voir sous un autre angle - mais même comme ça on ne trouve rien à en redire. mais il comprend
bien sûr qu'il comprend ton inquiétude Cinnamon,
lui qui aurait voulu vivre sans se soucier des étiquettes
il a compris de la manière forte -
le monde n'aime pas le désordre,
fait rentrer dans les cases à vos places
quitte à bousculer quitte à ce que ça casse.
sur ton cœur ils ont marqué "danger"
sur le sien, c'est moins visible
ils ont gravé "à filer la nausée".
on a appris à lire avec eux.

alors qu'il n'y a pas plus doux
plus doux que toi
plus doux que vous.

doucement Liu tend la main, vient saisir le tissus rouge qui orne ton cou et observe - c'est une couleur comme une autre. et ce morceau d'étoffe ne voudra plus rien dire
c'est ce que Liu pense fort tandis qu'il relève les yeux vers toi
les yeux qui répètent viens avec moi,
et après
ça ira.

à la manière des flammes frôlées Cinnamon
tu tressailles alors qu'on aurait pu tenir
l'étoffe carmin quelques secondes encore
sans se brûler - froissement distinct
lorsque le tissus et puis toi
lui échappent des doigts.

vertige au milieu des bois on est pourtant au plus près de la terre  mais Cinnamon c'est comme s'il l'on t'avait doucement invité au bord de grands ravins, apeuré tu fais un pas en arrière,
émerge de l'océan vert tendre et te redresse
Liu a levé les yeux, toujours allongé là
et ne répètera pas viens
c'est promis.sait ce que c'est d'être forcé à éclore,
à révéler les corolles frêles de force.et les paumes au creux des brins d'herbe, Liu les y a plongé et puis les quitte, s'appuyant sur ses bras pour revenir en tailleurs comme toi - c'est un peu comme si l'on dansait encore Cinnamon, fais un pas et puis à son tour
ses doigts se nouent autour de ses chevilles maigres, entourent les angles effrayants des os sous la peau.il y en a déjà quelques uns ici
et où qu'on aille on en rencontrera d'autres
Liu songe parfois qu'il vaudrait mieux
plus jamais sortir
plus jamais se montrer
se tapir pour de bon au fond des abris
et se faire oublier jusqu'à la fin de sa vie.

et on ne veut pas que tu connaisses ça Cinnamon - non ce qu'on voudrait c'est t'emmener hors des ombres à des endroits où il y a de quoi raviver la lumière
faire revenir les rayons de soleil
on ne t'obligera pas à te brûler les ailes, tu vois bien
que les mains de Liu ne saisiront jamais
tes épaules pour provoquer la chute -
il vient seulement en poser une sur la tienne. ce n'est pas pour autant qu'on lâchera prise -
Liu aurait bien voulu, lui,
que quelqu'un le tienne -
il est tombé, c'est trop tard.