Assigné femme à la naissance, Billie a passé le plus clair de sa vie à se battre pour faire valoir ses droits en tant qu’homme (parfois littéralement quand les autres enfants le faisait chier). Encore heureux pour la politique de prévention du harcèlement de l’académie et des soins gratuits; il n’avait aucune idée d’où il aurait pu obtenir les fonds pour les bloqueurs d’hormone qu’il prend religieusement depuis ses onze ans. Et ses parents? Comme dans toutes les histoires bien tragiques qu’on voit à la télé, il n’avait tout simplement pas de parents qu’il pouvait contacter. Dans son dossier scolaire il y a bien le nom de sa mère, mais elle est un peu en prison vous voyez (c’est d’ailleurs là que Billie est né). Quant au père, bien… logiquement il devait bien en avoir un, quelque part.

Sa mère étant Alice, on avait placé Billie en famille d’accueil en s’assurant de bien le monitorer, comme de pratique. C’est lors d’un de ses crises de colère habituelle que son alice se déclencha, puis qu’on l’envoya à l’académie. Malheureusement pour lui, son alice ne le protégeait pas lui-même des dégâts potentiel causés par le volume excessif et on se rendit bien vite compte qu’il souffrait d’une surdité partielle en plus de casser les couilles à tout le monde quand il pleurait. On lui refila quand même bien vite un petit bijou de contrôle pour pas que tout le monde, enfants et membres du personnel confondus, ne se retrouve avec des tympans perforés et des cillements à vie.

Donc on l’a dit; le petit Billie était un enfant colérique de nature, et cette nouvelle condition qui l’affligeait n’arrangeait en rien son comportement. Il détestait ne rien comprendre quand on lui parlait, il détestait quand les gens s’acharnaient à lui raconter des trucs, et il détestait devoir suivre des cours de diction pour les autres le comprennent. L’autre gros problème c’est que les neurones de Billie aiment être en vacances et ça rendait tout d’autant plus difficile. Il avait du mal à apprendre le langage des signes, il avait du mal à apprendre à lire sur les lèvres, il avait du mal à tempérer le son de sa voix pour qu’on l’entende assez fort mais pas trop.

S’il y avait bien une chose positive (et bien une seule) dans toute cette histoire, c’était la paix intérieure que le semi-silence lui apporta. Pour lui, pas de professeur trop pressé, pas de gens qui lui coupent la parole. Si quelqu’un voulait lui parler et qu’il comprenne quelque chose (idéalement c’est le cas), il fallait se mettre bien en vue, parler clairement et un seul à la fois. S’il voulait être seul au monde, il n’avait qu’à fermer les yeux et le reste se perdait en des sons étouffés.

Les cours magistraux, pour lui, ça a toujours été l’enfer sur terre. Déjà, pas capable de suivre ce que le professeur dit et de prendre des notes dans ses cahiers; puis après il fallait bien se l’avouer, Billie avait à peine deux neurones qui fonctionnaient, si bien qu’il se retrouvait immanquablement dernier de classe. Sa vie lui aurait d’ailleurs parue bien meilleure s’il s’était contenté d’être le cancre de son année, mais non; il se débattait comme un poisson hors de son aquarium, persuadé que s’il y travaillait plus, comme les autres, il y arriverait. Après tout, il les regardait, les autres, et il ne voyait pas vraiment ce qu’ils avaient de plus que lui, alors pourquoi pas? On lui avait longtemps rabattu que les efforts constants donnaient des résultats (mais dans ce cas-là, c’était pour ses exercices avec l’orthophoniste), aussi était-il persuadé que s’il ne réussissait pas, c’était parce qu’il n’y travaillait pas assez.

Tant et si bien, d’ailleurs, qu’il se fit recaller d’un an. S’il n’avait pas déjà assez honte d’être dernier de classe, il allait sans dire qu’il broyait du noir. Dernier de classe, et plus vieux de la classe, aussi. On le laissa tranquille après quelques nez cassés, mais au fond celui qui lui manquait le plus de respect, c’était lui. ‘fin tout ça pour dire, il a 19 ans et est en train de finir sa dernière année (on l’espère) de Lycée. On vous le dira, s’il passait plus de temps à étudier au lieu de se prendre le bec avec ses camarades, peut-être qu’il pourrait réussir dans la vie.

Mais vous savez tout aussi bien que moi que ça ne peut être si simple.