Aline était une nouvelle fois plongée dans son monde. Comme à son habitude, elle s'était dirigée vers la forêt bleue après ses cours pour y rechercher des pierres précieuses. Fredonnant des airs qu'elle avait sûrement dû entendre dans le hall sans trop y faire attention, elle arpentait les petits chemins à l'affût du moindre minerai. Pour tous ceux qui ne la connaissaient pas, à savoir la quasi-totalité des personnes à l'académie, elle devait sûrement paraître bizarre ainsi courbée à ramasser des cailloux quotidiennement. Cependant pour elle, chaque roche récoltée était synonyme d'un service rendu, d'un mal soulagé ou encore d'un doux sourire engendré.

L'adolescente était fière de son alice, car il lui permettait de faire le bien autour d'elle. Ça pouvait sonner un peu niais, mais la jeune fille était faite de cette manière. Douce et bienveillante, elle ne désirait qu'une chose : rendre la vie des autres un peu plus facile à vivre. Elle donnait sans attendre en retour. D'ailleurs même les remerciements étaient optionnels. Il lui était déjà arrivé de faire des cadeaux à des personnes agressives qu'elle avait malencontreusement bousculées, avant de s'éclipser sans demander son reste. Évidemment ces cas étaient rares, mais bel et bien présents.

En contrepartie de son don, on l'avait affublée d'une maladresse sans précédent. Du moins, elle en était convaincue... il fallait bien rééquilibrer la balance non ? Dans un premier temps, elle a très mal vécu le fait de ne pas pouvoir faire deux pas sans provoquer de catastrophe. Elle s'était isolée du reste des enfants, et avait commencé à vivre par procuration. Au moins, dans sa chambre elle ne pouvait rien casser à part ses affaires. Toutefois à l'entrée du lycée, un déclic s'était déclenché en elle. Certes sa vie était paisible et tranquille à souhait, mais elle ne profitait plus de grand chose. Très vite, l'envie d'aller de l'avant s'était fait ressentir et elle a commencé à réaliser plus d'efforts pour sortir de sa coquille. Elle avait déjà un peu plus évolué, mais il restait encore pas mal de travail à accomplir.

C'est donc dans cet état d'esprit qu'Aline était actuellement. Essayer de ne pas penser au pire, et saisir de temps à autre les opportunités que le destin lui présentait. En l'occurrence en ce moment, cette jolie labradorite facilement reconnaissable avec son bleu hypnotisant. Juste en dessous d'un grand arbre, elle était arrivée là par on ne sait quelle manière. Tant mieux pour la blondinette, ce bloc allait faire de merveilleux galets.

Sautillant joyeusement, elle se dirigea vers ce trésor couleur azure s'imaginant déjà tout ce qu'elle pouvait en tirer. Est-ce qu'il y en aurait assez pour créer son premier bracelet ? Ça lui demanderait beaucoup de travail, mais le résultat en vaudrait vraiment la chandelle. Elle pourrait aller demander de l'aide à un des étudiants d'art en université. La maladroite n'avait jamais encore osé, mais ce n'était qu'une question de temps. Un jour, elle aura assez de courage pour aborder n'importe qui naturellement, et pas seulement via ses accidents trop fréquents.

Elle n'était plus qu'à quelques pas lorsqu'une chose atterrit soudainement à côté du cristal. Surprise, elle sursauta en émettant un petit cri qu'elle n'était pas parvenue à retenir. Ayant placé par réflexe ses bras devant son visage, elle les écarta petit à petit se rendant compte qu'en fait ce n'était pas une météorite géante venue l'écraser, mais plutôt un jeune garçon aux cheveux blancs tendant vers le rose. Quelle jolie couleur !

Gênée, elle lui fit un petit sourire pour lui signaler que tout allait bien. Puis d'innombrables questions se bousculèrent dans sa tête. D'où est-ce qu'il venait ? Est-ce que c'est une manière de s'amuser à faire peur à ses semblables ? S'est-il fait mal lors de sa chute ? EST-CE QU'IL PEUT VOLER ET L'EMMENER FAIRE UN TOUR DANS LE CIEL ?

L'experte en lithothérapie n'était pas du genre à s'énerver. Après tout chacun essaie de s'occuper comme il peut...  De ce fait comme première approche, elle opta pour une simple phrase destinée à chasser tout embarras. S'il y avait une seule chose bénéfique que son isolement lui avait apporté, c'était bien de trouver quoi dire en toute circonstance. Il fallait bien être créatif quand on imaginait les discussions entre les élèves depuis sa fenêtre !

« Tu m'as vraiment fait peur ! déclara une Aline à la mine sympathique. J'espère que tu ne t'es pas fait mal en essayant de me surprendre, ce serait dommage... »

Quel curieux personnage ! Elle s'était trompé sur les intentions du garçon, chose qui n'avait pas vraiment plu à ce dernier. En fait il était à la recherche de matériaux, tout comme elle. En le voyant essayer de se redonner une contenance, Aline ne put s'empêcher de sourire. Il était recouvert d'épines vertes et on aurait dit qu'il avait passé la journée perché sur une branche. Ce qu'il cueillait devait vraiment être important pour lui.

Alors que la blondinette s'apprêtait à s'excuser de sa méprise, celui qu'elle surnomma intérieurement l'enfant des bois la précéda. D'un coup, il semblait beaucoup plus modéré, et son indignation passée n'était plus qu'un lointain souvenir. D'habitude c'était la maladroite qui s'enquerrait de l'état de ceux qu'elle avait bousculé. Aujourd'hui c'était une toute autre affaire, ce qui l'amusa encore plus.

« Non non, ne t'en fais pas ! J'avais aussi les yeux rivés au sol plutôt qu'à... surveiller si quelqu'un pouvait me tomber dessus d'un arbre. »

La plaisanterie était toujours un moyen pour l'adolescente de détendre l'atmosphère et de la rendre moins embarrassante. Elle rigola doucement à la fin de sa phrase tout en baissant les yeux, puis fixa de nouveau l'enfant qui était en train de ranger ses affaires dans un sac. Combien de fois il lui a fallu redoubler d'efforts pour apaiser les tensions engendrées après une de ses maladresses... à présent ça lui venait naturellement.

Ne vous y trompez pas, il y avait bien eu des fois où ça ne faisait qu'empirer les choses voir rendait la situation encore plus déconcertante qu'à la base. Dans ces cas-là, Aline faisait tout pour s'éclipser et se terrer dans sa chambre pour la soirée. Il n'y avait plus qu'à croiser les doigts pour que ce ne soit pas le cas ici...

De plus, la jeune fille aurait très bien pu s'arrêter là, mais plusieurs questions lui brûlaient les lèvres. Le garçon hirsute avait l'air rigolo et ne paraissait pas non plus agacé de sa présence. Peut-être pouvait-elle s'autoriser à rester encore un peu ?

« Qu'est-ce que tu cherchais là haut ? Tu collectionnes les végétaux ? »

Après tout l'experte en lithothérapie collectait bien des pierres, donc pourquoi pas les plantes. Elle lui adressa un sourire et leva les sourcils pour lui montrer son intérêt. Elle espérait ne pas le gêner en étant aussi intrusive. Si ça se trouve c'est un solitaire qui l'enverrait balader dès qu'une occasion se présenterait, ce ne serait pas la première fois.

La première phrase du garçon fit rire la blondinette un peu plus franchement cette fois-ci. S'il avait surenchéri à sa blague, c'était forcément quelqu'un d'amusant ! Il enchaîna ensuite en lui expliquant qu'il était à la recherche d'ingrédients pour ses remèdes. Est-ce que ça voulait dire qu'il pouvait aussi créer des potions magiques ? La jeune fille voyait déjà en cet adolescent un Panoramix en herbe prêt à concocter moult filtres aux effets divers. Il fallait qu'elle en sache plus à ce sujet !

Avant de lui répondre au tout début, il l'avait longuement dévisagée et semblait perdu dans ses pensées. Ce ne fut que quelques instants plus tard où, comme quand on allume une ampoule, son expression s'était illuminée. Où avait-il voyagé comme ça ? Peu importait... L'égayement qu'il avait affiché ensuite s'était chargé de balayer tous les doutes sur une exaspération éventuelle, ce qui réjouit encore plus l'anglaise.

« Enchantée Eyrik, moi c'est Aline et je suis en classe E ! fit-elle après que son interlocuteur se soit présenté. »

La demoiselle était si heureuse de pouvoir faire la connaissance d'une nouvelle personne qu'il lui était difficile de ne pas ôter le sourire qui ornait son visage. Pourvu qu'il ne pense pas qu'elle soit légèrement... limitée. De toute façon il était trop occupé à se retirer les épines des cheveux. Avec un peu de chance, il ne remarquerait rien. C'était quand même un drôle d'élève.

« Et non, je n'ai rien perdu ! En fait je suis aussi à la recherche de pierres précieuses pour mes futurs cadeaux ! »

Certes, c'étaient plutôt des pierres SEMI-précieuses, mais qui faisait la différence ? Dans tous les livres qu'elle avait lu, ils ne faisaient pas la distinction.

Pour donner du poids à ses mots, elle ouvrit son petit sac et en piocha trois gemmes de couleurs différentes. Celles-ci avaient déjà été polies, et même si elles n'étaient pas uniformément lisses, aux yeux d'Aline elles paraissaient parfaites. Étant fascinée par leur éclat, elle ne pouvait plus en détourner le regard. Eyrik devait absolument profiter de cette vue. Ni une ni deux, elle s'avança pour approcher sa main de l'enfant des bois, mais trébucha avant d'arriver jusqu'à lui. Les galets s'envolèrent et la blondinette se retrouva par terre en un quart de seconde.

Embarrassée, elle se releva tant bien que mal avant qu'on ait le temps de lui venir en aide. Elle n'avait heurté personne, c'était l'essentiel. Rouge comme une pivoine, elle adressa une risette à celui qui se tenait devant elle pour lui montrer que tout était sous contrôle puis dirigea son attention par terre. Elle venait d'égarer ses roches dans le gazon mouillé. Avec le soleil d'aujourd'hui, la neige avait définitivement laissé place à une espèce de gadoue peu attirante.

« Pardon... Je suis un peu maladroite. Elle fit une petite pause avant de continuer. On dirait que maintenant j'ai bel et bien perdu quelque chose. »

Toujours garder bonne mine, même dans l'adversité. Par le passé, elle avait demeuré bien trop longtemps dans les ténèbres de l'apitoiement, maintenant c'était terminé. Elle se baissa pour mieux inspecter l'herbe et tâcha de vite changer de sujet. Elle ne voulait en aucun cas que le garçon se moque d'elle ou ne la prenne en pitié.

« Ça veut dire que tu crées des potions magiques ? C'est grâce à ton alice ? »

Aline n'en croyait pas ses oreilles. Plus le garçon parlait, plus elle était intriguée par lui. Il avait commencé par un nouveau trait d'humour qui détendit la maladroite quelque peu gênée par sa chute, puis s'était mis à chercher les galets perdus dans l'herbe. Décidément, Eyrik avait l'air d'être vraiment quelqu'un de spécial... de gentil. Est-ce que ses cheveux à la teinte rosée étaient de couleur naturelle ? Il avait ensuite répondu à sa question en lui expliquant un peu plus son alice, et c'est à ce moment-là que la blondinette s'immobilisa relevant la tête vers son interlocuteur. Les problèmes des gens ?! Ses yeux s'agrandirent au fur et à mesure qu'une idée se construisait dans son esprit.

S'il effaçait les maux... est-ce qu'il pouvait... guérir ma maladresse ?

Il fallait absolument lui demander. Si c'était le cas, la jeune fille n'aurait plus aucun tracas. Elle se voyait déjà se permettre de courir dans tous les sens, esquivant délicatement les autres et sautant par dessus les objets sans craindre de les heurter. Elle deviendrait beaucoup plus forte en danse, et pourrait toucher du doigt l'espoir d'enfin dépasser son amie Moïra ! Telle une ballerine, son agilité n'aurait d'égal et elle s'autoriserait à prendre n'importe quel risque comme... aller au restaurant sans avoir peur de tirer deux ou trois nappes ! Les possibilités qui s'offraient à elle étaient innombrables et l'adolescente en aurait pleuré de joie. Cependant il ne fallait pas mettre la charrue avant les boeufs, elle devait d'abord demander à son potentiel sauveur s'il en avait la capacité et s'il voulait bien l'aider. Elle ferait absolument n'importe quoi pour lui en échange.

Trop perdue dans ses pensées, elle ne revint à elle que lorsqu'Eyrik parla de nouveau. Il ne semblait pas avoir remarqué qu'elle le fixait de ses yeux de merlan frit depuis tout ce temps. De plus, ce qu'il avait prononcé fit de nouveau manquer à la demoiselle quelques battements de coeur. Une collection de pierres ? Lui aussi en possédait une ?! Non seulement c'était le cas, mais le garçon connaissait également leur nom ! L'experte en lithothérapie en resta sans voix.

Inconsciemment, celui qui avait bien failli lui tomber dessus tout à l'heure venait de grandement l'impressionner. Peu s'intéressait à ce domaine-là, après tout sans son don, ça restait des roches sans réel pouvoir. Elle devait absolument passer plus de temps avec lui. Alors qu'elle essayait de rassembler ses pensées, l'adolescent lui sourit de toutes ses dents. Inutile de dire que cela déstabilisa encore plus la blondinette. Ces immenses yeux bleus possédaient quelque chose de vraiment touchant, surtout lorsqu'ils étaient accompagnés d'un merveilleux sourire.

« Euh... Je... euh... ressaissis toi Aline ! Un mot après l'autre. Mon alice me permet de leur donner des vertus. Tu as peut-être dû entendre parler de la lithothérapie ? Ce serait vraiment INOUÏ, se dit-elle. Je peux créer et amplifier les effets des gemmes sur leur porteur. Ça peut aller du simple apaisement à la mémorisation parfaite d'une leçon d'Histoire complète en quelques minutes. C'est pour ça que j'en ai toujours sur moi, on ne sait jamais qui en aura besoin. Je mets volontiers mes capacités au service des autres. »

Elle espérait avoir été claire avec ses explications. Son esprit allait dans tous les sens et si elle avait pu envoyer plusieurs phrases en même temps, elle l'aurait fait. Elle tenta de se redonner une certaine prestance, mais l'excitation était trop forte. Elle avait l'impression d'être sur la même longueur d'onde qu'Eyrik ! Elle s'approcha de lui les mains jointes, et enchaîna de manière plus qu'enjouée :

« Il faut absolument que tu me montres ce que tu as ! J'ai vraiment envie de toutes les voir et si tu veux, je pourrais même te les charger pour que tu puisses bénéficier de leur plein potentiel. »

Elle voulut ajouter qu'en contrepartie elle aimerait bien qu'il lui rendre un petit service, mais n'osa pas. Ils ne se connaissaient que depuis quelques instants, qu'est-ce qui lui dit qu'Eyrik voudrait bien l'aider ? Même si Aline en mourrait d'envie, elle prit la décision d'attendre un peu avant de lui soumettre sa demande.

Lorsqu'elle se rendit compte que le garçon avait trouvé une gemme, Aline applaudit en souriant. Peu importe qu'il l'ait coupée, l'énergie qu'Eyrik avait mis dans son exclamation lorsqu'il était tombé sur l'une des pierres l'avait atteinte. On aurait vraiment dit qu'il faisait de sa recherche une affaire très sérieuse, ce qui toucha la blondinette. Après tout il ne lui devait absolument rien.

L'adolescent continua en complimentant son don, chose qui fit rougir un peu la jeune fille, puis fit référence à sa spécialité. Apparemment il savait ce que c'était et le domaine lui était familier ! D'où sortait cet énergumène et où s'était-il caché tout ce temps ? Elle avait probablement déjà dû le croiser sans s'en rendre compte... Alors qu'elle avait le nez au sol, lui devait être perché dans les arbres. Dommage que cette rencontre ne se soit pas faite plus tôt, mais quelle chance qu'elle se soit réalisée tout court. Comblée, son visage rayonnait de plaisir. Peut-être que devant elle se tenait quelqu'un qu'elle serait amenée à côtoyer souvent ? D'autant plus que lui aussi aime beaucoup aider leurs semblables. À eux deux, ils pouvaient sûrement faire des miracles !

Rendre le sourire aux autres élèves, les soigner de toutes maladies et chasser leur tare comme... comme LA MALADRESSE, leur équipe pourrait tout faire. Ils seraient un peu les nouveaux Pierre et Marie Curie de la santé ! Il testera d'abord sur elle ses remèdes jusqu'à trouver celui qui la rendra moins malhabile. Ensuite elle pourra l'aider du mieux qu'elle puisse pour ses décoctions afin de lui faciliter son travail ! Elle ornerait également les fioles de petits cristaux chargés et....

« ... je... préfère qu'elles restent comme ça. »

Les rêves de la demoiselle fanèrent puis se désintégrèrent d'un coup. Le garçon était d'accord pour lui montrer ses galets, mais pas qu'elle y touche. La déception envahit peu à peu Aline et sans s'en rendre compte elle laissa retomber ses bras le long de son corps. Ce n'était pas tant la décision du jeune homme qui la peinait, cela elle respectait totalement, mais plutôt le fait que sa seule monnaie d'échange contre une éventuelle potion venait de s'envoler. Quand bien même il le ferait de bon coeur, comment trouverait-elle le courage de lui demander alors qu'elle ne lui a rien apporté ?

Au final elle resterait le cyclone qu'elle aura toujours été. Pas de glissade entre les autres enfants, pas d'évolution fulgurante en danse, pas de... restaurent. Il n'y aurait pas non plus de collaboration vu qu'elle casserait sûrement la moitié des bouteilles avant même qu'elles ne soient remplies. Eyrik finirait par la chasser, lui hurlant qu'elle est inutile.

Eh bien tant pis. Tu peux toujours regarder ses roches, qui sait quelles surprises t'attends ? Puis il a l'air gentil... Même si vous ne pouvez pas vous associer pour guérir le monde, tu pourras toujours boire le thé ou te promener avec lui. Ça te changera de tes discussions imaginaires !

Le relativisme. Une autre spécialité d'Aline. Cette dernière a été forcée de passer maître dans cet art à cause de toutes les bêtises qu'elle avait pu engendrer sans le faire exprès durant sa courte vie. Passer à autre chose, minimiser les dégâts, voir les bons côtés... tout ça elle connaissait bien, et n'avait pas peur de le faire.

Se forçant à chasser tous ses espoirs inaccessibles, elle inspira un grand coup avant de se reprendre. Au diable ses désirs de changement. Pour le moment, il y avait un jeune homme très intéressant qui se tenait debout devant elle et qui parvenait à peine à soutenir son regard. Le pauvre, il devait penser qu'elle s'était vexée lors de son refus alors que pas du tout ! Elle lui décocha un doux sourire histoire de le rassurer avant de prendre la parole.

« Pas de souci ! Je comprends tout à fait, déclara la blondinette en agitant ses mains. J'ai aussi une pierre qui me vient de ma maman et pour rien au monde je ne la soumettrai à l'alice de quiconque. J'aurais trop l'impression de salir son cadeau si je décidais de le faire. C'est aussi pour ça que c'est la seule que je m'autorise à garder. Toutes les autres de ma collection sont toujours en mouvement et aucune ne reste bien longtemps. »

Jamais, Ô GRAND JAMAIS, elle ne permettrait à quiconque de toucher son quartz rose. Il s'agissait de son trésor à elle que personne n'aurait le droit d'altérer. Si c'était pareil pour Eyrik, alors c'est évident qu'elle ne puisse pas utiliser ses capacités dessus.

« Par contre c'est vraiment génial de me laisser les observer ! Peut-être que tu en as des supers rares ? demanda-t-elle en reprenant son entrain habituel. Rien que de les voir, ce serait vraiment trop trop chouette ! »

La gentillesse d'Eyrik était si désarmante qu'Aline ne pouvait se résoudre à garder son idée pour elle-même. Il semblait si perdu, si triste de l'avoir affectée... Quand ce dernier lui demanda pourquoi elle avait paru si déçue, le coeur de la blondinette se serra. Elle comprit qu'un énorme quiproquo était à l'oeuvre et que ce dernier peinait le garçon au plus haut point. Le malheureux devait être à des années-lumières de la vérité, il fallait donc qu'elle la rétablisse sans attendre.

Cependant avant qu'elle ne puisse tout dévoiler, l'enfant des bois lui posa une question. Une chose à laquelle elle ne s'attendait vraiment pas et qui fit naître en elle un puissant sentiment de joie. Sur la tête de la jeune fille, on put d'abord lire la stupeur puis l'incompréhension. Le temps qu'elle réalise ce qu'il venait de formuler à demi-mot, le visage d'Aline s'était déjà éclairé et ses yeux brillaient de fébrilité.

« Oui... enfin je pense... l'excitation lui enlevait tous les mots de la bouche, et elle hochait vivement la tête. Je veux dire, on peut essayer ! Ça pourrait faire comme une super potion de soin ! »

On lui aurait donné un chèque d'un million de rabbits qu'elle n'aurait pas réagit autrement. Si ses pierres pouvaient correctement s'associer aux remèdes de l'adolescent, alors ce serait le début d'une grande collaboration, c'était certain !

« Je pourrais décorer tes fioles de petites gemmes et du coup non seulement le contenu mais aussi le contenant guérirait. »

Au moment où elle ajouta cette dernière phrase, une pensée vint entacher sa vision idyllique. Certes il voudrait probablement bien essayer, mais si elle cassait toutes ses bouteilles, qu'est-ce qu'il dirait ? Elle était à l'aise dans la sculpture de gemme parce qu'il ne fallait pas spécialement être tendre, mais manipuler des récipients fragiles constituaient une autre paire de manche. Résignée, elle comprit que le moment fatidique était arrivé.

Ce n'est qu'en croisant les bras et regardant par terre que l'Anglaise trouva le courage de lancer sa tirade.

« Je préfère te prévenir, ça pourrait peut-être pas marcher ni la première, ni la deuxième, ni la troisième fois à cause de moi. Je risque de gaspiller tes mélanges sans le faire exprès. Elle fit une pause avant de continuer, sa voix devenait de plus en plus petite. En fait, quand tu m'as parlé de ta collection, j'ai proposé de te la recharger pour pouvoir te demander un service en échange. Je me disais que tu... nouveau moment d'hésitation, mais il fallait bien terminer, avait peut-être un antidote contre ma maladresse. C'est pour ça que j'ai fait une tête bizarre quand tu as refusé que je touche à tes minerais. Je n'avais plus rien à t'offrir. »

Voilà, le sparadrap était retiré et sa requête expédiée. Qui aurait cru que rassembler ces quelques mots allait être aussi dur ? En y repensant, il y avait bien des élèves qui n'hésitaient pas à venir voir l'experte en lithothérapie pour lui commander des pierres. Même si celle-ci était heureuse de les aider, il ne fallait pas se leurrer. Beaucoup n'avaient aucune considération envers Aline, ils ne venaient que par intérêt. Eyrik devait sûrement subir le même sort. Comment trouvaient-ils le coura... OH MON DIEU !

« Ne pense pas que j'ai juste envie que tu me donnes un remède hein ! Ce serait super chouette qu'on essaie de créer des potions magiques plus fortes et qu'on devienne amis ! Elle agitait sans cesse les mains et son débit de parole était incroyablement rapide. C'est juste que comme je suis moi, je risque de vite t'agacer avec mes bêtises. En me soignant d'abord, nos essais seraient plus faciles à vivre pour toi ! Tu as l'air d'être quelqu'un de cool et j'adorerai passer plus de temps en ta compagnie ! »

Mais qu'est-ce qu'elle venait de dire ? Avec horreur, la blondinette saisissait peu à peu l'ampleur de toutes ses paroles. Les pensées étaient sorties beaucoup trop précipitamment quand l'éventualité que le garçon puisse se sentir utilisé avait fait irruption dans son esprit. Pourquoi était-elle allée aussi loin ?! Écarlate, Aline ne pouvait plus décoller son regard du sol.

Aline éclata de rire lorsqu'Eyrik lança sa dernière phrase. Un rire joyeux, sincère et... de profond soulagement. Comme d'habitude, elle s'était laissée emporter par ses pensées et n'avait pas songé que tout pouvait très bien se terminer. À présent, elle était en train d'observer le garçon chercher ses pierres et une douce chaleur s'empara de son corps. Il ne lui voulait que du bien, et finira probablement très rapidement à devenir quelqu'un de très important pour elle.

Quand l'adolescent s'était assis par terre afin de capter son regard, la blondinette avait paniqué l'espace d'un instant. Personne ne s'aventurait généralement aussi proche d'elle... Avait-il des idées suicidaires ? A tout moment une main divine pouvait la faire tomber, et par la même occasion donner sans le vouloir un coup de pied à son interlocuteur. Cependant ses craintes furent vite chassées lorsque ce dernier avait rassuré la jeune fille. Un petit sourire s'était dessiné sur le visage de celle-ci. Par ailleurs ayant également pleine vue sur les cheveux roses du garçon, elle fut malgré elle une nouvelle fois subjuguée par leur couleur insolite.

« Merci Eyrik, parvint-elle à dire lorsque les rires furent calmés. À présent, elle affichait une mine affectueuse et accueillante, loin de sa gêne d'il y a quelques minutes. Vraiment... merci beaucoup. »

Ce coup-ci, pas de saut ni d'applaudissement. Ces paroles venaient tout droit du coeur. Non seulement il l'avait complimentée, mais il semblait déterminé à l'aider. Jamais personne n'avait utilisé ce qu'elle considère comme étant son plus gros défaut pour la flatter et alors que certains auraient pu le prendre mal, l'adolescente en fut sincèrement touchée. Comment Eyrik pouvait-il être aussi mature ? À croire que c'était elle qui était en classe C et lui E !

Trouvant inutile de rajouter quoi que ce soit d'autre, elle se pencha pour chercher ses galets perdus, embellie par ce large sourire de bonheur qui ne la quitterait plus de l'après-midi. Non seulement elle venait de faire une merveilleuse rencontre, mais il y a des chance que sa maladresse finisse par disparaître grâce à elle. Toutefois pour la première fois, elle commença à douter. Est-ce vraiment la peine ? Décidément, ce garçon aura fait sensation auprès de la blondinette.

« J'en ai une ! s'écria t-elle avec force en saisissant une pierre verte. Celui qui trouve la dernière gagne ! »

Son enthousiasme revenait petit à petit accompagné de son côté enfantin. Il ne restait plus que la Calcite jaune, il fallait donc bien ouvrir l'oeil.

« Je vais te donner mon numéro, comme ça on pourra se revoir quand tu seras prêt à tester tes remèdes sur moi. C'était rigolo dit ainsi, elle avait l'impression de s'inscrire en tant que cobaye à de multiples expériences. Du moment que ça ne la transformait par en crapaud, ça ne la dérangeait pas. Ou si jamais tu as envie qu'on se revoie pour faire autre chose comme... casser tes fioles sans le faire exprès ou boire le thé ! termina la jeune fille malicieusement. »

Même si elle savait que l'après-midi était loin d'être terminée, Aline voulait être sûre qu'ils ne se perdraient pas de vue. Ainsi, elle attendrait avec impatience son SMS d'invitation... ou alors, trop impatiente, ce serait-elle qui le ferait ? Quelque chose lui disait qu'Eyrik allait vraiment être une source de positivité et de perspectives. Ce jeune garçon à la tignasse remplie d'épines et à la gentilesse sans borne était vraiment la surprise du jour. Intérieurement, la maladroite se félicita d'avoir pris la décision de sortir de sa bulle à l'entrée du lycée pour enfin commencer à vivre normalement.

En le voyant bafouiller une réponse quand elle lui avait proposé son numéro de téléphone, Aline ne put s'empêcher de sourire. Ils avaient davantage de choses en commun qu'elle ne l'aurait pensé, et cela rendait l'idée de faire mieux connaissances encore plus excitante. Qui sait ce qu'Eyrik pouvait bien cacher d'autre ?

Lorsque celui-ci se reprit, son expression était si adorable qu'elle fit fondre le coeur de la jeune fille. On aurait dit un petit garçon à qui on venait de donner la meilleure des voitures téléguidées. Heureux mais pas encore certain qu'il ne s'agit pas d'un rêve. N'avait-il donc pas d'autres amis ? À cet âge-là, on s'en fait à la pelle non ? Enfin... elle pouvait bien parler, elle qui s'était enfermée dans sa tour d'ivoire quasiment pendant toute sa jeunesse.

Ce regard aussi touchant que satisfaisant confirma à la blondinette qu'ils avaient autant envie l'un que l'autre de continuer à se côtoyer. C'est donc avec la certitude de bientôt lui envoyer un message qu'elle enregistra Eyrik dans son répertoire. Afin qu'il puisse la contacter également, elle l'appela sur-le-champs. Il pourra ainsi mettre à jour le sien un peu plus tard.

Décidée à trouver en première la gemme finale, Aline s'accroupit à peine son mobile rangé. Elle avait un avantage non-négligeable qui lui permettra peut-être de gagner : elle connaissait la couleur du galet ! Est-ce que son concurrent s'en souvenait toujours lui ? Ce serait étonnant... Il ne l'a aperçu qu'un instant.

« Après ça, tu me montreras ce que tu as trouvé aujourd'hui ? Je suis curieuse de savoir quelle sorte de remède tu peux créer avec les arbres qui entourent l'académie ! Elle s'arrêta quelques secondes, avant de poursuivre. Bon, c'est vrai que je fais un peu la même chose avec mes pierres, mais... ça fait bizarre de se dire qu'on peut peut-être soigner une plaie avec... ça ! »

Elle montra du doigt une plante grasse au hasard puis repris ses recherches.

« Tu penses que celle-ci peut m'aider à guérir de ma maladresse ? T'imagines si la solution avait été là depuis toujours ? Je n'aurais qu'à la mâcher et ... préférant arrêter sa phrase, la blondinette émit un petit rire en haussant les épaules. S'imaginer brouter de l'herbe était assez drôle. »

La jeune fille avait bien conscience de sa capacité à parler beaucoup et espérait que ça ne dérangerait pas son nouvel ami. Ayant passé tellement de temps seule à se représenter les discussions des autres, elle s'était transformée en vrai moulin à paroles. Est-ce qu'Eryik oserait lui dire de se taire si elle l'agaçait ? Ça ne la dérangerait pas, ce ne serait pas le premier. Par ailleurs, elle aurait adoré lui demandé si sa couleur de cheveux était naturelle, mais peut-être qu'il fallait encore attendre d'être plus familier. Il s'agissait quand même d'une question assez bizarre, bien que totalement justifiée pour la maladroite.

Prête à enchaîner sur d'autres sujets, elle se stoppa net en apercevant l'objet de sa convoitise. Sans attendre, elle dirigea sa main vers la roche en jubilant d'avance. Elle allait gagner !

À ce moment-là, une partie d'elle-même savait que le reste de la journée passerait beaucoup trop rapidement. En étant avec le garçon aux cheveux roses, elle ne s'ennuiera sûrement pas. Mieux que ça, elle fera par la même occasion un petit pas vers son ouverture au monde extérieur. Mine de rien, les fissures dessinées sur sa coquille se faisaient de plus en plus nombreuses, et bientôt elles le seront assez pour lui permettre d'enfin se libérer. Aujourd'hui, l'estafilade naissante s'appelle Eyrik, quelqu'un de fondamentalement bon qu'elle accueille avec plaisir dans sa modeste vie. Grâce à lui, de nouvelles activités s'offrent à présent à la blondinette et plusieurs perspectives sont en vue. Rien que l'idée de pouvoir aider l'adolescent à créer de supers potions la grisait.

Ce sera peut-être lui, mon ultime sauveur ?