ça fait des lustres qu’il a cessé de ronchonner parce qu’un matin sur deux ses yeux s’ouvrent à l’aube. c’est pas grave, non
c’est pas grave si ça carbure dès cinq heures, sept heures.
pas grave si la nuit précédente anaël s’est tapé toute la série des halloween en hiver, avec le froid du grenier et la couverture sur les épaules.

s’étire, fait craquer son cou, secoue les boucles pour qu’elles s’écartent du visage ; paresse de faire le mouvement de main approprié. c’est bon, on est jeune, la vie c’est aléatoire, on a l’énergie des dix-sept ans, la belle époque youpi.

manches retroussées, converses lacées, anaël quitte le grenier sans porter attention à son espace, salue du menton les copains – peu nombreux levés si tôt un dimanche matin. bienvenue chez les fainéants.

tranquille.

ça entre dans le réfectoire, démarche coulante, va chercher son pain et son beurre. plateau qu’il tape – nonchalant – le long de sa cuisse. une main dans la poche de son pantalon. jambe qui bouge. attente.

il ne l’a pas vue venir, anaël, pourtant arrivé⸱e⸱s au même moment. lui, peut-être un peu avant.

mais il l’entend, anaël, se retourne – comme un mécanisme rouillé, il se sent tellement concerné – dévisage juno et on le sent, dans son regard, que le cerveau process l’information. traitement en cours.

juno.
la dernière fois, dans une chambre des étoiles doubles, on a dit même nono ma meilleure amie.
juno. nono.
AH.

alors les sourcils se froncent et la tête recule, mouvement bref. ça fait longtemps, right.

ouais un peu quand même. attends, j’vais combler pour toi. (offre un sourire exagéré) good morning !!

puis tend la main vers un jus d’orange. boisson de luxe pour le grenier.

the fuck you’re talkin’ ‘bout. laë ? j’bande dessus ? et pourquoi tu l’sais avant moi, is it some christmas trick ?

un tour de magie en avance.
jusqu'à maintenant, de son côté, tout va bien.
les yeux par contre dévisagent juno, questionnent. ok, really ? rien que le manque de sommeil, ouais.

ça fait une petite révérence en guise de remerciement. à fuckboy on dit y’a pas d’quoi, joyeux noël, beautiful hoe. et puis on prend, tranquille, le pain. on observe juno dans ses émotions, manque bâiller. mais on sourit.

d’jà slow down sis’. j’joue pas l’con, paraît que j’le suis. (main devant la bouche, quel scoop) et t’monte pas la tête ; elle m’a kissed, j’l’ai kissed, mais pas pour rigoler. être heartbreaker, not my kink.

et le ton, anaël ne saura dire pourquoi il se termine sans ironie. ton sérieux, regard sérieux. l’idée qu’il puisse se moquer de laëstiel ne l’enchante pas davantage. c’est bien, entre meilleure amie et petit con, ils ont un point commun.

ça se tait au soupir – un sourcil levé en contrepartie
juno reprend, pas le temps de s’expliquer.
alors anaël avance un bras vers le beurre – pour compléter la richesse du déjeuner
alors elle tend un bras vers on-ne-sait-quoi, mais l’univers s’en fout

parce qu’anaël d’un coup lâche tout.

attiré par une attraction incontrôlée, imprévue. pas le temps de réfléchir, réagir. et juno contre sa nuque contre ses lèvres et puis un flash on ne peut s’empêcher d’y voir celles de laëstiel et puis

brusquement. la force des bras et la clarté de l'esprit pour la repousser. tenter. prendre ses poignets et vouloir l'éloigner – tenter de libérer ses lèvres, sa nuque, c'est un bon début. anaël, avec ses yeux qui la dévisagent, choqué.

WOOOH. WHAT THE FUCK ?? d’où ça m’juge et après ça m’saute dessus ???

il y a le pain, le beurre, le jus d’orange au sol. anaël, la parfaite incompréhension affichée sur son visage.
la voix forte, sans crier ; des têtes qui se retournent, intriguées. anaël, grand inconnu des désirs (ou presque), essaie de capter le regard de juno.

mais qu'est-ce t'as pris ??

euh, GENRE ? ‘scuse me

caricaturer l’expression de juno. dépassé par les accusations portées contre lui. anaël, la bouche ouverte sur une protestation suspendue, sourcils froncés ; insulté de se retrouver – encore – être le méchant dans l’histoire. bras écartés en signe d’injustice. wtf.

j’te r’tourne la question, for fuck sake.

effet miroir de s’essuyer la bouche en même temps qu’elle. effacer ainsi le geste de sa mémoire. définitive envie d’oublier. anaël, comme n’importe quel matin, levé habillé, descendu au réfectoire pour bouffer. contrairement à juno, n’a pas encore expérimenté la surprise d’aujourd’hui, et ça pense fort dans l’esprit. les points d’interrogation multiples au fond du regard.

c’est ça, clean shit, s’est absolument rien passé sis’.

recule de trois pas, comme si celui de juno ne creusait pas un écart assez sécuritaire.

surtout pas toi qui m’agresses en mode berserk who wants to fuck. sérieux j’sais pas c’qui t’as pris, but holly shit on aurait dit t’étais possédée par

anaël se tait. par quoi ? peut-être parce que juno est sa meilleure amie, parce qu’elle l’a abordé sans détour en amenant son nom dans la conversation, mais il a voulu dire possédée par l’alice de laëstiel. mais ça ne semble pas faire sens

parce qu’il y a tout de même l’évidence qu’il n’est pas laëstiel. bah oui. qu’on n’a pas envie de lui sauter dessus au moindre contact. l’exception à la règle vient de se produire et anaël dévisage juno, ça ne sait pas choisir entre le trouble et l’horreur.

j’comprends pas.

et on dit bravo pour le statement.