Le froid nocturne transforme chacune de ses expirations en une vapeur éphémère qui disparaît dans l'obscurité naissante. Le soleil se couche bien tôt à présent, dès la fin de l'après-midi. Léo aime les journées d'été qui s'étirent, où le soleil refuse de disparaître avant 22 heures et où on peut rester dehors dans l'air doux sans craindre de tomber malade. En hiver, il n'est pas question qu'il sorte sans son manteau et son écharpe blanche. Cette dernière, il l'a depuis bien longtemps, mais ne se préoccupe pas de renouveler ce genre de choses.
La nuit a beau tomber vite, le marché n'en perd pas moins ses visiteurs. De nombreux élèves sont encore présents pour acheter des pâtisseries et des décorations, regarder des films ou tenter leur chance à la patinoire. Il jette un regard amusé aux démarches peu gracieuses des débutants en passant devant. Lui-même était loin d'être doué la première fois qu'il avait essayé, mais il avait fini par prendre le coup, après beaucoup d'entraînement -et de nombreux rabbits en moins-.
Le vent lui apporte l'odeur sucrée des pâtisseries dont il est à la recherche, et lui rappelle qu'il n'a pas encore regardé s'il a l'argent nécessaire pour s'en acheter. La brioche nuage est sa sucrerie préférée, la raison pour laquelle il attend avec impatience le marché de Noël. C'est comme manger un nuage en sucre: c'est si léger qu'on ne le sent presque pas fondre dans la bouche.
Il plonge la main dans la poche de son manteau pour y attraper les quelques rabbits qu'il détient. Léo n'est pas très dépensier et sait parfaitement qu'il pourra s'en acheter, mais n'est pas sûr s'il en a pris assez. Et il n'a aucune envie de faire un aller-retour jusqu'à sa chambre dans la nuit. Le système d'étoiles de l'académie qu'il exècre tant lui permet pourtant de vivre mieux que certains. Ironique, non? Avançant tout en comptant les pièces dans le creux de sa main, il ne voit pas la grande silhouette qui apparaît devant lui et la percute. Sa monnaie se retrouve par terre en un clin d'oeil. Et avec l'obscurité, il n'allait pas être facile de les retrouver. Le jeune aux cheveux noirs de jais bafouille quelques excuses, confus.
"Pardon, je regardais pas où j'allais."
Puis il se baisse pour ramasser sa monnaie, tâtant le sol sombre pour la trouver. Il espère que l'individu qu'il a bousculé va passer son chemin et qu'il ne lui en veut pas. Maudissant sa maladresse, Léo se dit qu'il n'avait même pas vu dans qui il était rentré. Après tout, quelle importance? Les deux sont embêtés à présent.
il a si froid que ses doigts sont gourds, et son corps est lourd, sclérosé. encore une fois il ne s'est pas assez couvert. c'est le deuxième hiver qu'il connaît sans le fuir. pourtant il n'est toujours pas habitué à sa morsure. la température a chuté comme les derniers fruits de saison, les couleurs ont déserté les peaux qu'un soleil disparu avait un jour bruni. à présent il éclaire de plus lointaines contrées, sur un plus lointain plan du globe.
toussaint avait observé les hivers à l'abri de leur gel, derrière les hublots des classe affaire, sans les éprouver. chez les teibel on s'était toujours préservé du frimas dès ses premiers signes ; c'est ce que sa mère appelait la migration saisonnière. il invoquait les anciennes transhumances aux maldives, la thaïlande, le mexique, qu'ils prisaient de décembre à la tombée de février. maintenant qu'il ne montait plus dans les avions d'esquive, toussaint devait connaître les manteaux doublés et les grosses fourrures, inévitablement. cette perspective ne le rebute ni ne le réjouit. il va la vivre avec la même torpeur que le reste de l'existence.
toussaint soupire. il se tient au milieu des stands et leur mille festons. il souffle l'air chaud de ses poumons sur le bout de ses doigts. il ne regarde personne ; à son alentour tout est allumé. les guirlandes des toitures, les jeux des devantures, les yeux des élèves qui cheminent, commercent de bonbons et de choses empapillotées dans des papiers luisants. le rythme tapageur des comptines que l'on scande, les parfums, les chaleurs - noël a toujours été l'une de ces performances dont le sens lui échappe, et le laisse perplexe, peut-être un peu vide ; sans opinion à former. le chahut général des préparatifs soulève l'école, soulève le temps. mais toussaint est hors champ. il observe avec patience, reste de ceux qui errent.
il va un peu hagard, et il reconnaît le fumet du vin chaud. loin de l'exalter, cela le rend triste. pourtant il sait qu'il en achètera. il fait semblant d'observer des objets qui ne l'intéressent pas, des friandises et des babioles qui ne dupent personne. il ferme un instant les yeux pour dissiper sa rêverie sombre. un instant qui suffit pour qu'il heurte quelqu'un. le son des écus dispersés percent la clameur du marché.
ses excuses murmurées croisent celles de l'autre, et il va les répéter - mais c'est léo. il le voit s'affairer à terre et comme il le reconnaît, son visage s'illumine. il se penche à son tour et ramasse de concert les rabbits perdus. il ne parle pas tout de suite, rassemble les pièces dispersées et les confie aux mains de leur propriétaire.
- attention à ta fortune, léo.
il se remet debout et attends que son comparse l'imite. son sourire rayonnant montre qu'il est heureux d'avoir été distrait.
- bonsoir léo ! il est plein d'enthousiasme. qu'est-ce que tu vas t'offrir ?
Le malheureux qui se trouvait sur son chemin au mauvais moment se baisse pour l'aider à ramasser ses pièces. Il est rare de trouver quelqu'un d'aussi gentil et serviable de nos jours, et c'est avec gratitude que Léo relève la tête pour le remercier -mais c'est un visage connu que ses yeux rencontrent, et un sourire apparaît aux coins de ses lèvres.
Ce dernier lui remet sa monnaie dans les mains (ses doigts sont gelés) et la première phrase qu'il prononce a pour but de le taquiner. Il se relève, et Léo l'imite -il ne sert à rien de rester à terre. Tant pis pour le temps perdu qu'il a passé à essayer de compter ses rabbits ; Toussaint passe en premier.
Le plus âgé lui adresse un sourire chaleureux, et il oublie alors son souci d'argent. Ravi de constater que son aîné soit heureux de le voir, il sourit de plus belle. Peu de personnes lâchaient un aussi grand sourire lorsqu'ils le rencontraient.
L'objet de son petit bonheur de la soirée lui demande ce qu'il est venu s'acheter. En effet, cela peut être difficile à deviner au premier coup d'oeil; il y a tellement de magasins et de lieux de plaisir différents que les client eux-mêmes oublient leur but premier. Nombre d'entre eux se mettent à flâner dans l'allée, respirant les odeurs sucrées des pâtisseries, remettant leurs problèmes de cadeaux à acheter pour plus tard. Au final, on va à la patinoire au lieu de s'offrir des bougies, on se goinfre de bonbons et on rate la séance de cinéma, on met de côté les décorations de Noël et on passe la soirée avec tel ami qu'on a rencontré par hasard.
"Des brioches nuage."
Depuis le temps qu'il attend cette période du marché, il en a terriblement envie. Mais il sait pertinemment que les fameuses pâtisseries ne vont pas disparaître du jour au lendemain, contrairement à Toussaint qu'il n'avait pas croisé depuis un certain temps. Une distance les séparant tout à fait naturelle, vu qu'il n'allait jamais au lycée. Peut-être que l'année prochaine -si aucun événement ne vient troubler leur train-train quotidien- Léo pourrait voir le grand blond un peu plus souvent.
"Et toi? Tu te promènes?"
Il a l'impression qu'il avait marché parmi la foule de clients excités par les fêtes de fin d'année sans aucun but, pour passer le temps, par ennui. Il le trouve bien courageux, car il n'est pas bien couvert. Alors que lui-même frissonne sous son manteau et son écharpe, il craint que son ami ne finisse par tomber malade. Jamais il ne serait sorti par ce froid si peu protégé de sa morsure glacée.
"Tu n'as pas froid?"
Et l'inquiétude finit par reprendre le dessus sur le reste ; mais c'est une phrase que les parents prononcent à l'intention de leurs enfants, soucieux de leur santé, et cette pensée le fait rougir. Il préfère accuser le froid sur ce coup-là. Cette question lui paraît étrange, car à chaque fois qu'il croise le regard de son ami, il se souvient qu'une seule année les sépare. Mais cette année est ressentie comme un gouffre infranchissable pour le plus jeune. Le blond a l'air si tempéré, si mature, si mélancolique -personne ne lui avait fait ressentir de tels sentiments, mitigés entre l'admiration, l'inquiétude et la compassion.
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Sujet: sugar cloud ♦ Toussaint 
