« Cet enfant s’appelle Robin Evans, merci d’en prendre soin. »

Je me souviens que les pleurs m’avaient tiré du lit au milieu de la nuit ce soir là.
Une petite carte ; c’était tout ce qu’on avait laissé dans le berceau abandonné au seuil de ma porte. Un nom, un lapin en peluche trop abîmé pour avoir été acheté pour la naissance, et bien entendu, un petit bout d’homme d’à peine six mois qui braillait dans le froid. Plutôt cliché le coup de l’abandon au pas de la porte, fut ma première pensée, et puis je me suis penché sur le berceau.
Il a toujours eu une bonne bouille ce gosse. Je l’aurais pris sous mon aile peu importe son état, mais j’admet avoir eu un véritable pincement au cœur pour ce sale môme dès le premier regard.
Robin Seth Evans –c’est moi qui lui ai donné son second prénom– était désormais sous la responsabilité de l’orphelinat, et si j’avais su ce que je ne savais pas à cette époque là, j’aurais fait les choses autrement pour mieux le protéger.


Un couple s’est enfin proposé pour adopter la terreur –comme on s’est tous mis à l’appeler après la fois où cet idiot a manqué de se tordre le cou en grimpant sur le toit. Un véritable couple de magazine ; pavillon à palissade blanche, un jardin, un chien et un premier enfant d’un an plus jeune que lui –j’les sens pas ces gens là, peut-être parce que les gens trop normaux me paraissent toujours louches, du genre trop parfaits pour être honnêtes, et j’aurais voulu le garder avec moi ce p’tit gars mais on m’a ramené sur terre : « on est pas assez riches pour les garder jusqu’à l’âge adulte, sinon il n’aurait pas été le premier » ; « il a droit à une vraie famille qui s’occupera de lui comme il faut, ça ira tu verras » ; « c’est les aléas du métier, mon gars ».
Et ils avaient raison quelque part. N’empêche, ça me fendit le cœur de le voir me saluer de sa petite main à travers le pare-brise arrière de la voiture familiale rutilante qui l’emmenait loin de moi.
Si j’avais su, putain, si j’avais su.


J’ai haït Robin de tout mon être dès que je l’ai vu passer la porte d’entrée. C’était plus fort que moi, haine viscérale et jalousie d’enfant irascible –j’avais l’impression que Papa et Maman me remplaçaient, et j’avais beau être le plus horrible des frères, il revenait toujours vers moi avec un grand sourire, comme un chien qui attends qu’on lui lance le bâton pour courir après.
Moi j’ai toujours préféré les chats.
Alors on se disputait, tout le temps. Et plus les mois passaient, plus il devenait instable –à cause de moi ? Ou de cette saloperie d’alice qui l’agitait d’en dedans sans qu’on en sache quoi que ce soit ? J’en sais rien, mais je ne me souviens pas de douleur plus intense que cette fois là, quand tout a dérapé.
Il s’est mis en colère, plus fort que jamais.
Sa main m’a attrapé le poignet.
C’était comme si mon corps tout entier s’était mis à bouillir de l’intérieur –brûlure au millième degré dans mes veines.

Sale monstre.
Va-t-en d’ici.


Il est parti pendant la nuit.
Papa et Maman n’arrêtaient pas de se disputer depuis qu’on est rentrés de l’hôpital, incapables de se décider sur le sort de l’autre affreux. Maman voulait le rendre à l’orphelinat, Papa disait que c’était bien trop tard pour faire ça, et que de toute façon, un tel évènement allait attirer l’attention, et qu’ils allaient bientôt sonner chez eux pour le récupérer, et que ça les arrangera bien.

J’ai vu dans son regard que quelque chose avait changé, et depuis la fenêtre de ma chambre, je l’ai vu fuguer passé minuit.


Il ne s’était pas attendu à ce que la nuit dehors soit si froide ; on lui avait vanté les été à la belle étoile, pas les automnes humides sous les ponts. Revenir à la maison –pas pour rien qu'on appelait ça un foyer pour enfants– c’était son but, mais comment quand tout un océan l'en séparait ? Et après ? Il était un monstre désormais. Est-ce que le vieux allait toujours autant l’aimer ? Est-ce que ses copains n’allaient pas le rejeter ?
Est-qu’il ne risquait pas de tout gâcher, de les blesser, eux aussi ?
Robin ne pouvait pas rentrer, plus maintenant, c’était raté.

Il ne connaissait qu’un seul endroit où aller désormais.

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