chaque année la même chose les néons l’effusion de joie le bonheur sincère – à croire que les gens oublient que cet endroit n’est qu’une cage que les lumières ont beau scintiller elles n’en sont pas moins artificielles
ont-ils tous oubliés ce qu’est d’être chez soi de danser avec sa famille, dans les bras de leur père, sous le regard bienveillant de leur mère ; de raconter comment était la journée à l’école d’avoir le droit de rentrer
non, tous se réjouissent et dansent, certains rougissent et d’autres rient
c’est chaque année la même chose, seule la parure change ; aujourd’hui elle est vêtue de blanc, la robe longue et souple mais le cœur toujours plus rigide et insatisfait à mesure que le temps passe
gwen a des haut-le-cœur, sa tête tourne – trop de bruits trop de gens trop de joie
sa colère bouillonne et ses yeux se perdent dans les flammes ; (bientôt) bientôt tout sera fini, elle quittera ces murs, libre d’aller où elle veut quand elle veut
((mais où))
elle s’éloigne du feu et du buffet, s’enfonce dans l’obscurité du bosquet, enfin elle se sent à l’aise la honte de l’académie la sans-étoile – gwen
à l’abri des regards si ce n’est quelques solitaires, jusqu’à ce qu’elle croise –
le sien
les yeux et cheveux d’ébènes le regard droit, perçant, l’indifférence suintant de tout son être et cette flamme toute légère au fond de ses iris
une flamme qui engouffre tout pourvu que cela nourrisse son ambition la supernova
Stelian.
La voix de gwendoline tremble légèrement mais elle n’en montrera rien, pas devant lui elle doit être de marbre elle doit être forte
((une fois de plus))
prétendre que voir le brun ne lui fait pas d’effet, si ce n’est un maigre pincement ; elle doit oublier la froideur de ses yeux les souvenirs des moments plus heureux
il sait faire semblant alors elle aussi, plaquera sur ses lèvres son plus beau sourire et s’approchera de lui – la lueur du feu se reflétant doucement sur le visage des deux
feu qu’autrefois, ils s’étaient promis d’attiser si l’autre venait à l’oublier
ma haine ton ambition

…

T’es pas en train de danser ?
((voudrais-tu danser))
tu changes de pied d’appui, ta robe accompagnant le mouvement de jolis plis – il ne fait pas si froid ce soir mais tes mains sont gelées
ton regard se perd sur le costume de Stelian  ses cheveux qui ont l’air d’avoir poussés son regard
et te voilà
paralysée

son cœur bat fort au rythme de la musique à quelques pas d’eux – des échos échos échos
d’une danse que jamais ils ne se sont accordées d’une époque lointaine et tristement fanée
des échos
des sentiments de gwen du frisson qui la parcourt alors que la main de stelian replace sa mèche et
derrière ses paupières closes la blonde revoit les draps défaits les vêtements oubliés des promesses –
Tu es magnifique.
le souffle coupé –
Toi aussi, ta cavalière doit être ravie.
les mots filent de ses lèvres, hésitants, avec une pointe d’amertume mais le sourire reste juste ; elle peut le faire elle peut prétendre ne pas vouloir reprendre cette danse là
ici et maintenant
en oubliant tout le reste en oubliant la maladresse
Tu sais ce que j’en pense de ces fêtes.
((as-tu déjà oublié))
elle détourne enfin le regard perd ses pupilles bleues dans le feu
Je n’en ai cherché aucun.
elle se raisonne, se dit qu’elle n’avait pas le temps pas la patience rien –
gwen n’a rien et elle serre le poing
les mots lui brûlent les lèvres
échos, échos échos
mais elle ne veut rien céder, pas la première ; elle continue d’observer le feu comme si de rien n’était, elle joue avec ses mains pour cacher sa nervosité – ou sa colère, car la blonde est une spirale de rage qui ne cesse de brûler

mais ce soir
ce soir au moins
je veux danser me laisser emporter loin loin des flammes
telle une vague
pour une fois s’il-te-plaît
alors qu’elle se sait mille étincelles qui jamais ne s’éteignent non
gwen n’est pas de ceux qui s’assagissent
((hélas))

et elle se demande, sans réelle conviction, si c’est pourquoi aujourd’hui
il ne s’agit plus de nous
mais toi et moi

…

s'il-te-plaît
dansons.

des souvenirs qui pigmentent leurs doigts quand sa main se saisit de celle de gwen
((arrête))
stelian ouvre la danse et c’est trop facile ; le même rythme les mêmes habitudes, à croire que jamais le brun n’est parti
le corps de la blonde se love naturellement contre le sien comme avant comme souvent comme des faux ama –
((arrête))
lui revient ce moment où stelian lui a tourné le dos, le jour où, seul, il prit la décision de l’abandonner à ses flammes ;
double peine, la tristesse du jeu fini et la détresse cruelle d’avoir perdu bien plus qu’un ami
gwen se vautre dans le chagrin – sans oublier de danser, jamais, après tout elle est celle qui l’a souhaité
mais
du venin qui se répand dans les veines, de sa voix suave stelian s’insinue en elle
si tu n’étais pas parti –
((si tu n’avais pas abandonné si j’avais encore le droit de faire partie de ton monde si tu m’avais laissé le temps))
mais
tu saurais que ça me débecte toujours de voir leurs gueules d’ahuris s’émerveiller de petites lumières. on croirait voir des moustiques.
Et elle n’ajoute rien car cette année, elle avait envie d’y assister, à cette démonstration de naïveté – pas parce qu’elle apprécie, non
pour alimenter sa colère se rappeler qu’elle méprise cet endroit ces gens
qu’il est quelques rares personnes qu’elle apprécie réellement
((tu sais, comme toi stelian avant))

…


enivrée par la danse, elle livre son cœur du bout des lèvres ;
le sabotage, c’est plutôt toi non ?
sans filtre et brusque gwen du poison dans les artères –
pourquoi ?
pourquoi ce froid alors qu’elle danse dans tes bras, qu’il y a un feu à deux pas et des tas de gens qui rient aux éclats
pourquoi on en est arrivé là ?

sa main se crispe sur l’épaule de stelian elle hésite –
lui casser les dents ou les côtes d’un crochet bien placé –

…

la colère boue de plus en plus fort ça s’agite dans son corps gwen expire lourdement ; il le sait pourtant qu’elle tait les éruptions, que leur violence l’effraie et qu’elle ne veut pas s’emporter
((pas ce soir, pitié))
trop tard
elle lève ses yeux bleu ciel – ciel tumultueux où naissent des ouragans
et
de ses lèvres carmins s’écoulent des torrents
alors c’est ça ? c’est pour ça que t’es parti ? tu t’es assagi
ce mot lui brûle la bouche – écœurant faux mensonger
elle s’emballe la voix monte la haine
me prends pas pour ces gens qui voient rien derrière ton sourire narquois stelian, putain
elle se mord la lèvre le regard toujours plongé dans ses iris d’ébène ; les pensées s’embrouillent dans le tumulte, trop, trop, sa tête tourne son corps se crispe – rigide dans les bras du beau brun

t’étais censé nourrir ma colère
((pourquoi))
pas la justifier.
et au fond de sa gorge, un arrière-goût de défaite, gwen déglutit, amère
sa tenue lui paraît soudainement bien ridicule – probablement car elle attendait quelque chose de ce soir que quelque part elle espérait le voir
son oiseau de funestes présages
c’est dingue, j’avais oublié ce talent que t’as : tenir les gens dans tes bras mais leur donner l’impression qu’il y a un monde entre eux et toi
gwen se fait Psyché, rapprochant son corps du prince à quelques centimètres à peine d’un baiser et reste là, à le fixer, de son joli sourire qui cache de sinistres intempéries –
j’te mets au défi d’avoir des couilles stelian,
le souffle court, happée malgré elle par la beauté du garçon –
dis-moi la vérité.

elle ferme les yeux par crainte – crainte qu'il ne la perce à jour que le jeu finisse qu'il comprenne
la peur de dévoiler
ce que gwen s'évertue depuis si longtemps à cacher

les mots d'un père qu'elle n'oubliera jamais et le souvenir de stelian ;
du dos tourné
un bref instant seulement gwen a peur

puis elle resserre ses mains sur le costume et pose son regard dans le sien
elle n'est pas de celles qui perdent bataille, et le brun doit le savoir

– reprend une légère respiration pour adoucir le tranchant de ses paroles avant de contre-attaquer
du flot qui quitte ses lèvres sans qu'elle ait le temps d'y penser
tu me connais tu le savais !
qu'elle bouillit de rage pour tout ce qui est hors de sa portée; que la tendresse n'est pas arme à son arsenal et qu'elle réplique par des piques acérées
je suis en colère contre toi parce que –
elle le saisit par le col pour mieux l'observer, pour avoir l'impression ne serait-ce qu'une fois d'être celle qui mène la danse
si t'avais tenté d'expliquer peut-être que j'aurais compris, mais rien. t'as déserté et –
un bref tremblement
nos ambitions méritaient mieux que ça.
elle trébuche sur les mots car enfin ((enfin)) elle le tient, le corbeau volatile aux discours incertains
c'est quoi que tu veux entendre, stelian ?
et elle le pense d'une sincérité terrible, car l'espace d'un instant le bleu de ses yeux vacille – elle l'a aperçu, ce qu'autrefois, elle appelait tout bas son stelian, sans jamais le dire à haute voix
car au fond elle ne sait pas, elle ne sait pas d'où vient cette colère qui s'accroît à chaque fois qu'elle le voit – cette douleur au cœur depuis qu'il est parti et elle déteste ça, le voir filer entre ses doigts alors qu'elle  – –

...

gwen relâche son col et se dresse droite
des mots coincés dans la gorge qu'elle ne prononcera pas
((j'aurais tout fait pour toi))

au fin fond de son cœur, une alarme sonne
((c'est fini))
il n'y a plus de danse plus de nous plus rien –
l'âme sait se méfie est blessée

mais gwen, elle, ne doute pas assez
elle se laisse séduire par les mots mensonges doux parce qu'elle est fatiguée d'avoir à détester et c'est ce qu'elle voulait entendre
((non ?))
les excuses les explications la confession

pourtant c'est trop beau trop parfait trop lui
et gwen se rappelle l'ambition, l'aise, les discours et elle
chute

elle sourit mais le sourire des gens fatigués qui ont trop dansé, trop marché,
non effectivement, il n'y a plus de confiance entre nous.
et de la main qu'il ne tient pas, elle se frotte le bras parce qu'elle n'est pas de la même trempe que le brun
– parce qu'elle est de ceux qui montrent tout sur leur visage, qui glissent tout dans leur voix
voilà pourquoi, pleine de détresse, gwen entremêle ses doigts avec ceux de stelian
est-ce que tu penses la moitié de ce que tu dis ? ou ça y est, t'utilises tes beaux discours sur moi aussi ?
toujours un peu plus ténébreux, les abîmes de l'océan ; ses yeux ne trahissent rien et elle ne sait pas sur quel pied danser
est-ce elle qui est devenue trop aigrie trop rêche, la corrosion de son cœur par les murs de l'académie
ou –

tu me manques.

et de nouveau dans ses tripes, une poignante sensation de défaite
mais j'arrive pas à croire que tu penses ce que tu dis.
pour mieux nourrir sa rancœur et sa haine
c'est beaucoup trop beau, et tu le sais.
((prouve-le moi))
malgré tout, gwen ne défait pas sa main – effrayée de perdre sa seule ancre dans les ténèbres que sont le brun; une vaine tentative de le retenir, qu'il lui dise crois-moi, c'est la vérité

...

rien n'y fait, la belle est attirée, sombrant lentement dans le rôle qu'elle s'était toujours refusé
les faux amants mais

ton cœur dit vrai.

et gwen se laisse guider, pas à pas, dans la pénombre dans les manigances dans l’univers du brun – qu’elle ne se savait pas prête à affronter
mais la voilà, avançant sans peur
((ou presque))
emportée ; après tout, c’est elle qui a voulu danser

sans même réaliser le traquenard dans lequel elle est tombée
elle veut y croire, aux belles excuses, aux tu me manques aussi
et les gestes, traîtres, la bercent dans l’illusion que stelian pense ce qu’il dit

et elle s’y voit déjà de nouveau dans ses draps à murmurer tout bas, au creux de son cou, les mains aveugles caressant chaque parcelle de peau – traçant des constellations du bout des doigts
le tableau parfait de ce qu’ils ont été,
des phrases fiévreuses et promesses enflammées
parce qu’elle n’ignore rien de la noirceur du brun ;
et qu’elle se voulait la lumière incandescente à ses côtés
((mais))
s’insinue le doute, des phrases si joliment tournées et les gestes trop bien orchestrés
((et pourtant))
si moi je ne te pardonne pas, qui le fera ?
des mots qui deviendront son tombeau
elle s’enlise lentement
une dernière tentative toutefois d’éclaircir la pénombre
si je te connaissais vraiment bien, en revanche, j’aurais compris pourquoi tu m’as fui. j’aurais pas eu à te confronter comme ça.
pas qu’elle se plaigne de ce moment, non,
ses yeux se perdent juste sur les gens autour et elle se sent soudainement sage, pas assez moi
comme ci stelian et gwen étaient de simples élèves
((arrête))
et cette pensée lui donne la nausée, si violemment qu’elle caresse la joue du corbeau aimé et chuchote contre ses lèvres
cela dit, je ne compte pas rester une minute de plus ici. je vais finir par vomir devant tant de niaiseries, et j’ose espérer que toi aussi. Si tu veux continuer cette discussion…
s’éloigne sans même un baiser, laissant ses hanches parler

…

tu sais où me trouver.