Les yeux encore à demi clos, il s’étire de tout son long dans un craquement sonore, lui arrachant un « oh » de surprise, brisant le silence encore endormi. Réveillé par les grondements incessants de son estomac, il s’étonne de faire face au plafond de sa chambre. Il a chaud dans son cocon ; il se sent bien, reposé.

Il a dormi. Samson a dormi.

Putain, il a dormi ?

La panique le gagne ; il s’agite dans son lit, envoie valser son tas de couvertures, ses draps, son oreiller au sol en grognant, gigotant, marmonnant. Oui, putain, il a roupillé comme un sac. Et qu’est-ce que ça fait du bien bordel.
Mais il grimace. Il s’agace. Qui a-t-il pourri, cette nuit ? (Est-ce que j’ai encore vu un type en slip se ridiculiser sur la place publique ?) Cette question l’anime chaque jour qu’il ne voit pas se lever, le hante chaque nuit qu’il n’a pas pu contrôler. Ca le fait chier. Il ne s’en souvient pas, et son corps malmené l’empêche d’y penser.

Il a encore oublié de bouffer la veille, parti courir pour éviter de réfléchir. Comme si ça lui arrivait souvent. Un peu comme maintenant.

Il attrape la dose de boisson sucrée qui lui tiendra probablement la matinée, planquée dans sa table de chevet, et enfile son jogging, zippé jusqu’au nez. Les mains dans les poches, les doigts collés par une gourmandise sûrement gâtée qu’il a laissé un peu trop traîner, Samson laisse ses jambes le porter.

L’esprit encore embrumé, il ne se voit arriver au niveau de la rivière que lorsque le bruit du courant contre les rochers vient lui chatouiller les oreilles. C’est pas un coin qu’il a l’habitude de fréquenter, mais aujourd’hui son instinct semble l’y avoir guidé.
Assez peu confiant pourtant, il enlève ses baskets, qu’il balance sans considération quelque part alentour, retrousse ses manches et son pantalon et décide de faire quelques pas dans l’eau. Un peu froide, mais pas insurmontable.

Il remarque du coin de l’œil une silhouette quelques mètres plus loin, un brin filiforme, installée là, paisiblement. Un mot que Samson ne connaît vraisemblablement pas.
Il l’observe, peut-être avec tant d’attention (d’intention), qu’il se surprend à croiser un regard, furtif, l’espace d’un bref instant. C’est marrant, ces yeux lui parlent. Lui disent. Quelque chose. Que cette bouche, entravée, refuse sûrement de lui avouer.

Il s’approche, éclabousse. L’autre culmine vers le ciel, lui s’ancre au sol.

« Hé l’asperge ! » Il l’interpelle, d’une voix assurée pense-t-il ; peut-être intimidante réalise-t-il, trop tard.

Il a surtout l’air d’un idiot qui traîne les pieds dans l’eau.

Pas très avenant le géant. Samson et sa manie d’aller voir les gens, qui lui portera préjudice un jour sûrement.

Samson se sent tout petit à côté de lui, planté sur ses deux petits pieds. Il n’est pas forcément intimidant, mais ce masque qui lui mange une partie du visage le rend particulièrement intéressant. L’originalité, ça l’a toujours titillé.

« Il est grave cool ton masque ! C’est toi qui l’a fait ? J’en cherchais un comme ça y a pas longtemps pour un déguisement, et j’suis vraiment trop nul de mes dix doigts pour essayer moi-même de faire quoi que ce soit. »

Il marque un instant, sourire apparent, remuant ses orteils qui comment à s’engourdir avec le courant.

« On s’est pas déjà croisés ? » ajoute-t-il en pointant vainement entre l’espace qui les sépare, cherchant une confirmation du regard.
Une évidence pourtant, dans cette école qu’ils fréquentent depuis qu’ils sont enfants. Mais Samson papillonne, de personne en personne. Il sait, sans connaître, il parle, sans dévoiler. Jamais vraiment posé, jamais vraiment lié.

Et soudain, ses yeux lui parlent, lui disent, lui crient au visage. D’oublier, de le laisser. De ne pas l’oublier, de l’aider. Et Samson se souvient, des fragments d’une détresse qu’il a amplifiée, d’une ombre recroquevillée qu’il a esseulée, de sa présence qui n’était pas désirée. Du rêve dans lequel il n’aurait pas dû s’immiscer.

Vraiment, Samson, son instinct, des fois il s’en passerait bien.