Une trentaine de minutes avant de jouer aux empêcheurs de tourner en rond. Les soirs ne se ressemblent pas, mais les prénoms des abonnés aux conneries varient peu. Si seulement, certains appliquaient cette constance à leur apprentissage, à la maitrise de leur Alice… Enfin, on sait comment ça se passe. Tout se résume aux priorités qu’on a.

Qui sait ? Peut-être serait-il agréablement surpris, ce soir ?

Plus que par l’intrigue du livre qu’il a commencé. Protagonistes unidimensionnels, intrigue fade. La quatrième de couverture pare l’histoire d’un bel emballage. Après ouverture, la déception est bien réelle. C’est ça quand on fait des choix par défaut. Et en même temps, la succession de coups de cœurs est improbable. Et en même temps, s’il tenait le coupable qui a emprunté le livre qu’il convoitait… Ça l’étonne un peu d’ailleurs. Qui peut bien lire La maison près du cimetière de Sheridan le Fanu ?

Lawrence pose le livre de poche sur un second pas encore commencé, à côté de lui. Fourrant une main dans une poche, il en sort un élastique. Pas ceux faits pour les cheveux. Non, un élastique beige qui se trouvait autour d’un objet oublié depuis bien longtemps. Une fois, les cheveux attachés, il garde une main à proximité de la queue-de-cheval basse. L’accessoire de fortune n’éclate pas. Pas pour le moment. C’est comme le reste, ça. Ça arrive toujours au pire moment. À celui auquel on ne s’y attend pas.

Mais c’est le bon moment pour changer de place.

S’emparant de ses deux distractions, il se plante au début d’un couloir. Les élèves les plus studieux se dirigent vers leurs chambres. D’autres discutent dans le couloir. Sans s’éloigner de leur antre pour autant.

Son regard erre sur les portes de ceux et celles qui essaieront de la lui faire à l’envers. Il a des noms. La présomption d’innocence pour ces individus. Récidiviste est leur second prénom. Ils ont ça dans le sang, et ils en sont conscients.

Il aperçoit une silhouette. Son expression s’adoucit. Oui, il a des favoris. Hey, à chacun, ses délits.

— Gabin ! Comment ça va ? On te laisse tranquille en ce moment ?

En observant l’adolescent, Lawrence ne peut s’empêcher de garder son sourire. Certains lui feront avoir des cheveux blancs avant l’heure, mais il y a des élèves qui illuminent les journées. Gabin est de ceux-là. En silence, il étudie le jeune homme. Ecoute ses paroles. La surprise et l’embarras filent tour à tour sur le visage du surveillant. Un mot l’interpelle bien plus que la lecture. Ignorer ou poser la question qui enfle dans son esprit ? Les adolescents veillent souvent sur les secrets tels des gardiens protégeant un trésor. C’est encore plus délicat lorsqu’il s’agit d’un coffre où s’amassent aussi les trésors des autres.

— J’espère que ce n’est trop de grave et que tu réussiras, mais ne sois pas trop dur avec toi-même en fonction des bêtises. Enfin, le plus important est d’être en paix avec ses décisions, peu importe celle qu’on prend.

Les choix les plus évidents sont parfois aussi les plus difficiles. Admettre ses fautes, accepter la fin d’une amitié, réussir à apaiser une situation, ou s’éloigner d’une personne toxique qu’on chérit tant. En dépit des années, faire le deuil d’une relation reste le plus douloureux à ses yeux. L’aigreur et le chagrin pourrissent les bons souvenirs. Il faut apprendre à vivre avec, mais ici, les échappatoires au passé n’existent pas.

— Je dois avoir ça…

Les syllabes traînent alors qu’il prend l’ouvrage. Ah ! Dire qu’il le croyait entre les mains de quelqu’un d’autre. Souffre-t-il de trous de mémoire ? Ou n’arrive-t-il pas à suivre le flux de livres circulant entre les élèves et sa chambre ?

— Je suis désolé, ce n’était pas un roman à lire si la période ne s’y prêtait pas en plus…

En fonction des périodes, certains ouvrages assombrissent le moral ou au contraire, exaltent les sentiments. Et quelque part, Lawrence s’en veut un peu. Manque d’inattention. Mais avec du recul, il espère que son attention ne se posera pas sur autre chose.

Non, il va faire confiance à Gabin. Et espérer que personne ne l’attire hors du droit chemin.

— Ne m’en parle pas. C’est à croire que certains se sont passé le mot… Mais je suppose que tout le monde éprouve le besoin de se défouler.

Quelque part, il comprend. Les enfants errent dans l’enceinte de l’académie le plus clair de leur temps. Certains ont coupé les ponts avec leur famille ; d’autres n’en avaient plus ou n’étaient pas en très bon terme avec cette dernière. Les règles à suivre.

Une série de détails qui est le terreau propice d’un désir viscéral de liberté.