⁂ Cadet d'une fratrie de deux, la famille Lasserre c'est maman anglaise, papa français une histoire d'amour qui a démarré sur les bancs de l'académie et qui s'est concrétisé par l'arrivée de deux gueules de con.
⁂ Gueule de con numéro 1 c'est Fidèle, l'aîné. Gueule de con numéro 2 c'est Judas.
⁂ Ils ont gambadés dans l'herbe très tôt ensemble, 1 ans d’écart, c’est tout et rien à la fois. Ils se sont toujours suivit de près, mais voilà, même avec une distance aussi courte que la leur il y a un fossé, un premier et un dernier. Judas on lui a tout de suite appris qui était le grand et qui était le petit.
⁂ Son premier mot ça n’a, d’ailleurs, jamais été maman ou papa, ça a été « Fid ». Ça désignait du doigt le frangin à coup de « Fid ! Fid ! », ça rampait en couche culotte parce que même à cet âge on avait compris que c’était l’un avec l’autre et pas autrement. Puis ça amusait papa, ça plaisait à maman. Un petit frère c’est bon pour suivre le plus grand aveuglement, des étoiles dans les yeux.
⁂ Mais quand Fidèle (aka Zephyr) est parti sous le coup des trois ans, ça a été la fin du monde. Papa et maman contents de le voir partir, Judas incapable de comprendre. Il n’en garde aucun souvenir mais heureusement il y a maman la bavarde pour lui raconter. C’était terrible selon elle, inconsolable il avait été le Judas, à voir son frangin partir et les parents souriants. Il aura fallu attendre les quelques mois qui les séparent pour que Judas s’embarque lui aussi dans cette grande voiture noire. Papa et maman toujours aussi souriant, la différence c’est que Judas ne pleurait pas ce jour-là.
⁂ Il a beaucoup pleuré, par contre, quand il a compris qu’on ne reverrait pas papa et maman avant longtemps. Gros chagrin que ça a été, du haut de ses trois ans, de découvrir qu’il n’y aurait plus de câlin, qu’on ne sentirait plus l’odeur fleurie du shampoing de maman, qu’on n’aurait plus le droit aux chatouilles de papa. Mais ce n’est pas grave, parce qu’il y avait le frangin. On a fini, comme tout, par s’habituer. On n’était pas seul, et on a trouvé des amis, une nouvelle maison, une nouvelle famille. Puis on venait souvent lui lire les lettres, il a fait ses armes avec un crayon en gribouillant des mots pour ses parents. C’est un contact régulier, maintenant, de lire et écrire des lettres aux parents. Même si aujourd’hui c’est un peu plus gênant qu’avant.
⁂ Il a l’alice de sa mère, il prend la souffrance des autres pour la faire sienne. Il en a usé une fois sur Zephyr et ça s’est mal finit. A se tordre dans la maladie, à retirer une migraine qu’il n’était pas prêt à recevoir, à faire de sa nausée son histoire. Ça lui a fait tout drôle la première fois qu’il a failli tourner de l’œil tant ça pouvait être surprenant la douleur. Petit Judas, il avait promis de ne plus jamais recommencer, ça ne l’a pourtant pas empêché d’aller jouer les fées à droite à gauche, parce que même si c’était douloureux, il y avait toujours un merci derrière la souffrance et Judas aimait avoir ces mercis.
⁂ Pendant longtemps il a couru derrière son frère, puis arrivé à l’adolescence les choses ont changées. Il s’est rendu compte d’à quel point il pouvait être anonyme. Zephyr, Fidèle, ça pleuvait sur les lettres des parents, dans les bouches des filles. Jalousie, Judas. Mais en même temps comment lui en vouloir ? Zephyr c’est le plus beau et le plus fort après tout.
⁂ Compense sa seconde place en s’acharnant sur ses cours, en faisant du sport, en étant le bon gars un peu taciturne dans le fond de la classe.