Asmo regarde son téléphone avec un pincement au cœur.

Il le sent. Juste là, au creux de sa poitrine, le début de la fin.

Putain ça lui fait mal - étrange pour une fois qu'il est celui qui souffre. Mais, il n'a pas envie d'y croire, il se dit, optimiste qu'il est, que tout est encore possible et qu'il suffit de parler pour tout régler. Alors oui, allons parler.

Il range la brique téléphonique dans la poche de son sweat - ou est-ce celui de Pryam qu'il a dérobé un soir ? Il enroule autour de son cou une immense écharpe noire et sort dans le froid de décembre.

Ses pas se rapprochent de plus en plus du café, et là, au dedans, il sent que ça se serre, que ça devient fragile. Pryam le rend fragile, parce qu'il l'aime et qu'il y croit. C'est rien six mois dans une vie mais dans cette vie, où l'on est enfermés dans une cage, chaque étoile filante, chaque moment de bonheur devient plus intense. Asmo aime se sentir vivant entre les bras, sous les lèvres de Pryam.

Il arrive devant le café. Il s'arrête doucement, hésite, rentre. Ses yeux étranges parcourent le café et tombent sur son petit-ami seul face à sa boisson à peine arrivée.

Un café noir sans sucre.

Amer. Comme lui, comme eux.

Pilote automatique, il s'avance, tire sa chaise et s'assoit. Son écharpe humide s'échoue sur le dossier alors qu'il se penche pour déposer un baiser délicat sur les lèvres de Pryam.

Un sourire en coin, le même que d'habitude, affleure sur le visage d'Asmo.

- Une éternité que tu m'avais pas invité à boire un verre. C'est chouette.

Il a commandé un chocolat chaud, feint de ne pas voir, de ne pas comprendre qu'on en est à un stade critique. Il veut continuer à se sentir vivant l'Asmodée et pourtant, il sait, il sent que Pryam n'a jamais vraiment été à lui, avec lui.

Triste contradiction. Triste vie.

Asmo pourra fermer les yeux autant qu'il veut. Il y a des regards qui ne trompent pas.

Celui que lui lance Pryam lui déchire le cœur un peu plus.

Alors c'est ça la fin. C'est ça la douleur, c'est ça avoir un chagrin d'amour.

Non Asmo, c'est rien ça, rien du tout.

Le chocolat chaud arrive, fumant doucement. Le serveur fuit d'un pas rapide en apercevant les yeux de son client. Il feint de ne pas voir, entièrement concentré sur lui et sa bouche qui s'ouvre prête à déverser un venin trop longtemps retenu. Cette bouche qui, il n'y a pas si longtemps, le faisait rire, faisait frémir sa peau et lui arrachait les plus douces confidences.

Sa poitrine se serre. Le ton est si dur, si froid. À l'image de ces yeux qui le toisent. Ses doigts se crispent sur la tasse. Sa peau rougit à cause de la chaleur.

L'accusation le surprend. L'indignation se peint sur son visage. La colère flambe soudain dans ses yeux. Il serre les dents.

- T'as pas le droit de dire ça Pryam. Tu sais très bien qu'il n'y a que toi pour moi. Par contre, je sais pas si c'est réciproque.

Tu attaques, il défend. T'as des choses à reprocher. Lui aussi. Six mois d'amour qui ne valent rien. Car Asmo n'est qu'un passe-temps, un substitut pour mieux, pour différent. Pas lui, d'autres. Asmo s'en doutait mais il a tout donné, et avec tellement d'énergie et d'espoir.

- Il n'y a qu'avec toi que ça a déraillé ces huit derniers mois. Et ça a pas eu l'air de te déplaire tant que ça hein ?

Sa voix ne monte mais l'irritation s'y fait sentir, elle transparait à travers le calme. Il se fissure. Comme ton cœur, Asmo.