Elle s'est à peine rendu compte qu'on s'adressait à elle, encore moins eu le temps de percevoir qui. Elle est déjà prise dans son étreinte, un peu décontenancée, un peu surprise mais ravie, mais touchée.
Car Daphne sait que c'est Anaël.

Elle avait assisté à ses cours en prenant soin de se tenir à l'écart.
Seule assise à sa table, le visage tourné vers la fenêtre, elle n'avait adressé la parole à personne de la journée. En sortant de la classe, elle n'avait pas plus fait attention à ses camarades avant de rejoindre le grand parc.
Alors lorsqu'elle sent une présence, une interpellation, elle sait que c'est lui. Car ce ne peut être personne d'autre ; elle ne voudrait personne d'autre.

Aux côtés d'Anaël, Daphne est invulnérable. La compagnie d'Anaël est une force qui la dérobe enfin à l'ennui. L'impulsion qui l'extirpe à son vague à l'âme.

– yo daph ! how luck i am, c’toi que j’voulais voir ! fallait que j’te show mon doodle d’anglais. on parlait de peter pan parce qu’on avait ça comme lecture, jor syndrome je sais plus, c’était d’la piss comme cours, mais on a dérivé sur captain hook et… look.

Elle prend le papier, plisse les yeux, fait une moue d'incompréhension avant de se rendre compte qu'elle le regarde à l'envers.
Tenant alors correctement le croquis entre ses doigts, elle éclate de rire.

– Ana ! Mais tu gères ! dit elle en s'émerveillant.

Evidemment, ils ne se rendent pas compte que c'est eux le syndrome de Peter Pan. Evidemment que ce sont eux les gamins qui rient fort dans les couloirs. Ceux qui s'échangent des doodles, des cocottes, qui lancent des boulettes de papiers sur leurs camarades, qui se rasent mutuellement les cheveux ou les aisselles. Ceux qui résistent. Qui ont refusé de grandir.

– Putain mais ça fait chier en fait. Qu'est ce que je vais devenir quand tu dessineras mieux que moi ?