Le firmament étoilé aurait pu affrioler l'intérêt de Jade s'il n'avait pas décidé de vagabonder à travers les couloirs réservés à ceux fébrilement étoilés. Unique estampille qui pourtant ne pouvait ricaner de la déception générée. Inexistante au contraire, outrageusement éclipsée de cette plénitude presque dérangeante. Les difficultés toujours adulées. Cette nuit-là, ce ne fut guère ses pas qui résonnèrent mais le délicat martèlement de ses sabots grandiloquents. Effleurant tendrement le sol, cavaleurs et fervents, Jade semblait valser, ses équines esquisses caressées du voile lunaire. Son sillage était peu à peu saupoudré de cette myriade de paillettes. Scintillante poussière suintée de ses crins et de sa robe éthérés se pavanant.
Le voilà médusé pour contempler quelques instants la lunaire splendeur, son éclat réfléchi du cendré de ses iris. Le trot déferla à nouveau plus tard, l'emportant au loin à travers les entrailles de l'académie, nullement inquiet de ruiner les ensommeillées odyssées des élèves. La pesanteur de sa cadence était trop doucereuse pour écorcher leur tympans reposés. Une masse ombragée parsema soudainement le panorama de la licorne. Surprise dont elle ne s'en effraya point, ses arabesques se cambrant et ses pattes antérieures balbutiant à l'égard de cette inconnue curiosité. Ephémère démonstration de puissance agrémentée d'un hennissement et destinée à l'intimider qui se sertit de quelques grattements du sol de son sabot gauche.
Cloitré dans le noir de sa chambre, bizarrement assis au bord de sa fenêtre légèrement ouverte, Klaus tire lentement sur sa cigarette. Il en expire très doucement la fumée, histoire de ne pas trop attirer l’attention. Dur équilibre à trouver entre ne pas se faire remarquer de l’extérieur et ne pas infester l’intérieur de l’odeur du tabac. Des années d’expériences. Et quelques ratés au compteur. Mais il ne peut se passer de ce court moment de sérénité où il apprécie seul le noir de la nuit, sans aucun bruit environnant.
Jusqu’à ce qu’il soit pris d’une fulgurante envie de pisser. Alors il prend ses dernières bouffés de nicotine, écrase rageusement son mégot contre le rebord, puis le jette dans sa petite boite en fer qu’il videra discrètement le lendemain dans une quelconque poubelle.
Il se relève et traine du pied jusqu’à l’extérieur de sa chambre. Discrètement, et à pas de velours, il se dirige vers les sanitaires. A cette heure-ci, son chemin ne croise personne. Tout le monde est sagement enfermé dans sa chambre, à pioncer ou à pianoter inutilement sur son téléphone. Ca lui donnerait presque de mauvaises idées, de mettre un terme à ce calme trop parfait. Mais il se ravise et une fois ses affaires de vessie réglées, il est bien obligé à son tour de retourner dans sa cage dorée.
Toutes ces règles l’emmerdent. Et le fait qu’il s’y plie l’emmerde encore plus. Mais face à ça, il se sent totalement impuissant. Une vulgaire pièce d’un échiquier dont il ne mesure même pas la véritable ampleur. D’ici quelques mois, il espère simplement pouvoir envoyer chier tout ça. Ne plus se taper les mêmes tronches tous les jours. Et surtout, pouvoir aller pisser quand il veut sans avoir de compte à rendre.
Tout ça, sans avoir à croiser de licorne sur le chemin du retour.
Wait…
Quoi ?
Putain !
Y a vraiment une licorne qui se trouve à quelques mètres ? Ce truc brillant avec quatre pattes et une crinière ? Bordel. Il en reste pétrifié. Ce machin scintille trop, ce machin est trop gros, et puis qu’est-ce que ça fout là au milieu de la nuit ? Ca chasse une licorne ? Comme un chat qui chasse les souris ?! Et lui, Klaus, qu’est-ce qu’il peut faire ? Qu’est-ce qu’il peut lui dire ? Ca se trouve, c’est un truc enragé qui va lui foncer dessus et le piétiner sans vergogne. Mais merde, il est trop jeune pour mourir.
« Putain t’approche pas ou j’te jure tu finis en steak chez Charal ! »
La menace aurait certainement eu plus de crédibilité si elle n'avait pas été étranglée dans sa gorge pour finir en un chuchotement fébrile.
La silhouette fut pétrifiée, encore incapable de s'accommoder à la noctulescente présence de Jade. Un murmure épousa subitement ses lippes. Chétif écho qui s'essouffla trop fugacement. Soupir qui effleura l'équine oreille qui se fit brièvement frémissante. Micro-mimique sensible à ces manifestations indécemment délicates. L'effroi semblait corroder le malheureux. Inconfort qui embrasa les méandres de cette malice flamboyant au creux des entrailles de la licorne. C'est alors que son museau balbutia à la rencontre du crâne de l'élève et que ses naseaux assujettirent le charbon de sa chevelure d'une erratique expiration. Curiosité entremêlant son espièglerie, qui, ensuite, de quelques reniflements de la fragrance exsudée de ses mèches fut assouvie. Intérêt bien trop ineffable qui se sertit d'une indésirable toux, générée de cette nicotinique fragrance encore arrimée à la carne de l'autre être. Poignante gêne qui catapulta la mythique créature vers l'arrière et qui s'empressa de lénifier ce tourment de quelques vifs balancements de tête.
La torpeur effritée, la voilà qui cadença à nouveau, rejoignant les côtés du jeune homme pour s'emparer de quelques unes de ses mèches du bout de sa dentition et les estropier, tirant éphémèrement sur leur pointes. Son sabot gauche, énième fois fiévreux, accabla le sol de ses redondants assauts et lorsque Jade abandonna la soie capillaire, il fracassa tendrement sa joue droite contre le tronc de l'inconnu. Proximité qui l'embrumerait de sa fragrance, ornementant au passage ses accoutrements d'une poussiéreuse et scintillante parure éthérée.
N’importe quel gosse aurait été émerveillé devant pareil spectacle. N’importe quelle personne se serait exclamée devant la vision de cette créature mythique. Mais Klaus lui, il ressent qu’un profond malaise. Et pourquoi donc ? Il n’en sait rien. Et il ne veut pas savoir. Il veut juste que l’animal dégage de là, qu’il lui redonne l’air qu’il doit respirer. Et que toute cette brillance aille embêter quelqu’un d’autre dans l’obscurité de la nuit. Ca lui ferait presque mal aux yeux de regarder cette foutue licorne.
Et ses jambes sont pétrifiées dans le sol. Putain quel loser. Comment peut-il donc être apeuré par cette chose à quatre pattes ?
Mais le pire reste encore à venir. Car il aurait pu espérer que l’animal fasse demi-tour, le snobe et retourne à ses occupations nocturnes. Mais non, celui-ci semble curieux de sa carcasse apeurée.
Et il le renifle.
Il. Le. Renifle.
Bordel de merde.
Le karma a au moins ça de bon : son odeur fait tousser la licorne. Prend toi ça dans la gueule. Et Klaus aurait bien profité de ce moment de flottement pour prendre ses jambes à son cou. Mais il se plante royalement s’il pense sincèrement que la chose en restera là.
« Putain mes cheveux enfoiré !! »
Le voilà qui semble se réveiller. Parce que sa masse brune est certainement l’aspect physique sur lequel il prend le plus grand soin. Ou du tout moins, auquel il accorde une certaine attention. Son premier signe de rébellion lorsqu’il s’est décidé dès son plus jeune âge de ne plus les couper. Pour finalement les raser presque entièrement sans préavis.
« Mais bordel qu’est-ce que - ?! »
Parce que voilà désormais que la tête de l’animal se blottit contre son torse. Et ça lui coupe la parole au pauvre Klaus.
Et il finit par bondir en arrière, époussetant au passage son t-shirt désormais pailleté. Mais quelle merde. Il regarde furieusement son vis-à-vis dont il ne comprend pas les intentions. Après tout, il s’agit d’une licorne. Peut-être qu’elle n’en a aucune et se montre simplement curieuse.
Sauf qu’enfin le brun réagit. Enfin, il se rappelle d’un détail. D’un détail insignifiant. A l’importance capitale.
« Me dis pas… Jade c’est toi ?! »
Jade et sa corne sur le front. Jade et sa fierté de porter son alice sur le visage. Jade et les moqueries de Klaus sur le ridicule de cette excroissance visible aux yeux du monde entier. Et tout s’expliquerait. Il lui a simplement fallu qu’il reconnecte ses deux pauvres neurones. Et Jade doit bien se marrer de lui avoir foutu une frousse pareille. Mais même en ayant en tête son identité, Klaus ne peut pas s’empêcher de craindre l’animal indompté…
« J’te jure, si c’est toi, tu vas le regretter ! »
Menaces en l’air pour se redonner consistance. Paroles futiles pour retrouver un semblant de courage.
La nicotinique fragrance ayant meurtri les narines et écorché à vif les poumons de la licorne ne pouvait embaumer qu'une poignée de ses connaissances. Ce faciès distordu d'effroi agrémentait l'existence de Klaus. Jadis il était embrasé de cet amusement à accabler Jade de la désobligeance de ses remarques reniant la magnificence de la torsadée excroissance trônant sur sa frontale étendue. Jeu de la malice ironiquement renvoyé à l'agresseur, l'éthéré hypnotisé de chacune de ses réactions engorgées de stupeur, le bout de ses phalanges balbutiant d'ailleurs, châtiant la pailletée nuée éprise de ses accoutrements. Voilà que la véritable révélation fracassa finalement l'esprit du ténébreux et lorsque le prénom du petit prince ruissela d'entre ses lippes, l'apothéose transcenda ses équines arabesques. Un fervent hennissement teinté de délectation se pavana fugacement à travers les airs, ses sabots estropiant à maintes reprises les pierreuses dalles de leurs martèlements. Une menace ne tarda pas à être proférée. Mise en garde qui ne médusa nullement l'ambulant mythe qui eut l'indécence de pourfendre les habits de son compagnon. Une traction si féroce que voilà la silhouette de l'être catapultée sur son dos.
Le sibyllin de Jade jaillit, la courbure de ses sabots martyrisa le sol, le raclant furtivement durant un bref instant. Sa musculature détonna finalement imprévisiblement, s'élançant vers l'horizon. Anarchique cavale à travers les couloirs de l'académie, la rythmique symphonie de sa cadence faisant frissonner ses tréfonds, égayée de l'argenté d'une lunaire parure. La destination inconnue cependant, la licorne déambulant au gré de ses instincts, galvanisée d'une vitesse faisant pâlir les autres montures dénuées de cette légendaire essence affriolant sa fierté.
Plus de doute possible. La fierté qui suinte à travers le hennissement poussé finit de convaincre Klaus. Et puis, des licornes, ça court pas les rues. Enfin, les couloirs de l’académie.
Et putain, l’écossais s’en veut de s’être fait avoir ainsi, d’avoir été effrayé par l’animal. Jade risque de ne pas oublier. Et de lui retourner à présent la plaisanterie entre les dents. Comment Klaus pourra-t-il continuer à prendre un malin plaisir à se moquer allégrement de cette corne maintenant qu’il a vu le véritable aspect de son alice et que celui-ci lui a bien foutu les jetons ? Sa crédibilité en prend un coup.
C’est même plus que sa crédibilité, c’est son corps tout entier. Car le voilà qui se fait projeter au sol, sans qu’il ne puisse faire quoique ce soit. C’est à peine s’il a le temps d’exprimer sa surprise que le voilà jeté par terre. Le choc le chamboule un instant, lui fait perdre ses repères. Avant qu’il n’arrive à se redresser, endolori par l’impact, et regard noir chargé d’une rage sourde.
« Espèce de putain d’enfoiré… »
Les insultes sont gardées pour lui. Car la créature s’est déjà éloignée en quelques foulées élégantes. Et il ne peut dignement pas le suivre. Il aurait tout simplement l’air d’un attardé à lui courir après. Alors doucement, il se relève. Et ses pas le guident lentement vers une chambre de l’étage. Il ne sait pas encore ce qu’il va faire mais il sait simplement qu’il va ouvrir la porte, entrer et faire la première connerie qui lui passera par l’esprit.
Son regard glisse dans la pénombre et observe l’antre de Jade. Sur son passage, ses doigts maladroits font malencontreusement tomber quelques objets de son bureau. Et attrapent finalement une paire de lunettes de soleil qu’il regarde un instant avant de les poser sur son crâne.
Il s’affale lourdement sur le lit dont il prend grand soin de froisser les draps. Son attention finit par se porter sur un livre posé sur la table de chevet. De l’astronomie. Et fait tourner vaguement les pages. Dans l’obscurité, à la seule lumière de la lune, il ne peut pas lire grand-chose. Alors il se contente de déchirer lentement chacune des pages et de les balancer dans un geste las.
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