behind blue eyes (kendall)

Invité

si c'est cela l'amour

Elle avait émis un énième soupir, avant de réaliser l’ampleur de la situation - ses sentiments entremêlés de ceux des autres enflaient en son sein, tant bien que Blanche avait fini par ronger ses sangs d’autres démons, dans le creux de ses nuits juste assez claires pour être qualifiées de blanches. A la fatigue qui striait ses yeux s’était mêlé la ride sévère de l’inquiétude, et sa mine faisait peine à voir lorsqu’elle faisait face au miroir.

Confronter son adolescence à la sagesse d’un adulte ne lui était pas naturellement venu ; elle avait d’abord tâtonner jusqu’entre les jupes d’une autre élève, avait déversé sur elles les mêmes tourments que Gabrielle quelques jours auparavant, et son impuissance était aujourd’hui une bête, un répugnant animal qui se repaissait de sa vulnérabilité. Même Ulysse n’eût su délier ses nerfs, et c’était à cet instant détestable qu’elle avait fait sonner le glas.
Blanche avait besoin d’assistance.

Et c’était tout naturellement qu’elle avait attendu la fin d’un cours d’une exécrable lenteur - pas qu’elle n’eût été fascinée par les sujets, mais l’appréhension amputait son égard d’un sabre damocléen. Érodée par l’attente, c’était sous couvert de tremblements piteux qu’elle se hissa jusqu’à votre bureau, les lippes pincées d’une angoisse à peine camouflée. Monsieur Lambeth, j’aimerais vous parler. En privé, si possible.
Plutôt que de quitter la salle, elle attendit qu’elle se vidât d’elle-même, les élèves éparpillés d’activités dont elle n’avait cure.

Sitôt seuls, elle noua nerveusement ses doigts derrière son dos, et laissa ses talons rouler sur le sol. Il me semble avoir besoin d’appui et, étant mon professeur principal, vous m’avez paru être le choix le plus avisé. Cependant, je tiens à vous mettre en garde : ça n’en sera pas moins difficile, puisque d’ordre sentimental. Je peine encore à démêler les miens, et l’embarras dans lequel je me trouve à ce jour n’est qu’en partie influencé par ceux-ci. Sa langue fourchait sur quelques mots, l’anglais pâteux sur le fond de sa bouche. Même après tant d’années, elle préférait le français et s’y enfermait à tout instant.

Certains de mes camarades les plus proches souffrent de tourments romantiques, et je me sens douloureusement impuissante. J’éprouve moi-même des sentiments tabous envers mon plus vieil ami, et j’ai peur que leur pureté n’ait été entachée par la peine d’une autre de ces amis. Pour éviter tout conflit d’intérêt, l’idéal serait qu’ils restent anonymes, voyez. Elle humecta ses lèvres d’une lichette anxieuse, de moins en moins confiante. Je suis consciente que ce type de problème s’écarte largement de votre devoir en tant que professeur, mais je désespère. Je crains de souffrir d’un handicap émotionnel - pourquoi ne suis-je pas plus jalouse de voir deux de mes plus chers amis ensemble, alors même que je les ai aimé plus que de raison ? Et ses sourcils se froncèrent d’une incompréhension désespérée, le croc s’attaquant sans plus de cérémonie à la pulpe tendre de sa bouche. C’est impensable. J’ai été triste, certes, mais pas pour les bonnes raisons. Je craignais qu’ils ne m’oublient, mais pas un instant ai-je pensé à ce qu’ils réciproquent mon amour. Et cet amour me tue, pas pour ce qu’il est mais précisément pour ce qu’il n’est pas.

Finalement, un soupir. Navrée, je comprendrais si vous n’aviez nulle réponse à me fournir. J’aimerais simplement saisir ce qui m’habite, et pourquoi est-ce si laid. Je n’ai guère le temps de me préoccuper d’aussi futiles troubles, et pourtant ils empoisonnent mon esprit et amputent ma concentration. Ah - peut-être qu’elle ne désirait que d’être exempte de tout amour.