lle l'avait eue son étoile en plus, enfin ! Après cinq ans ici, ses efforts étaient enfin reconnus. C'était un bonheur sans nom, entaché tout de même par sa rancœur puérile. Mais cette noirceur au tableau était moindre parce que Garance se sentait fière. Personne ne la féliciterait vraiment parce qu'elle ne s'accrochait pas encore trop aux gens par peur de blesser l'une des deux parties. Elle ou eux. Fourbe et compatissante pourtant. Sa famille lui avait envoyé une lettre dans le courant de sa première année, lui expliquant qu'elle n'avait plus d'Harcourt que le nom et une menue mitraille que le chef de famille avait consenti de lui laisser, dans sa grande mansuétude. Ce jour-là, Garance n'avait pas su si elle devait rire ou pleurer, alors elle avait fait les deux. C'était une liberté gagnée tristement mais une étape tout de même vers l'envol complet de la petite colombe. Personne ne la féliciterait vraiment, alors elle se félicitait toute seule et irait célébrer seule.

En ce jour d'heureux auspices, elle rayonnait, la petite blondinette. Elle qui ne se voulait que tournesol dans la lumière du soleil, elle était devenue ce dernier, sautillant dans les couloirs en évitant tout de même de chanter sa fierté. Elle se savait affreux rossignol et ne voulait pas menacer les élèves avec sa voix en plus de son pouvoir.

Ils la classifiaient comme dangereuse… Là était la pire tâche sur la toile de sa scolarité. On lui fermait les portes pour s'émanciper et l'engouffrait dans un carcan encore plus étroit que l'Académie elle-même.

Non, il ne fallait pas y penser. Pas à ce moment là, petit moment hors du temps et de ses pensées parfois obscures.

Obscures comme la petite ombre qui passa sous son nez. Rapide comme l'éclair, Garance n'avait eu le temps de distinguer qu'une couleur jaunâtre passée et des oreilles pointues.

« Que… »

Encore surprise, la demoiselle fronça les sourcils et se laissa emporter par sa curiosité, s'engageant dans les pas de l'étrange petite chose.

Ce n'était pas difficile d'en retrouver la trace puisque Garance n'avait qu'à suivre les expressions figées et apeurées de certains. Une nouvelle espèce d'insecte aussi énorme ? Même en étant dans la classe Danger, si elle découvrait une nouvelle créature, la blondinette deviendrait célèbre. Elle se précipita donc un peu plus, louvoyant entre les élèves qui bouchaient le passage. Mais c'était déjà trop tard, elle l'avait perdue de vue au croisement de deux couloirs.

« C'est quoi ce truc sérieux ?
- Je sais pas mais c'est moche et flippant. »

Non loin, Garance surprit cet échange et s'approcha des trois garçons qui observaient quelque chose pendouillant au bout de deux doigts pincés. Celui qui tenait ce "truc" était de dos aussi dut-elle les contourner et s'avancer pour épancher sa curiosité. Ce qu'elle vit lui fit écarquiller les yeux. Une marionnette Pokémon à l'allure grotesque se dandinait dans la main de son prédateur, à la merci des index des deux autres hyènes. L'un ricanait bêtement en jouant avec un briquet pendant que les autres haussaient les sourcils de façon entendue. Garance comprit bien vite ce qu'ils voulaient faire alors elle s'interposa.

« C'est à moi ! Ce truc moche est à moi. Je peux l'avoir avant que vous le brûliez ?
- T'es sérieuse gamine ? T'as plutôt l'air d'aimer les licornes.
- Oui, cette marionnette est à moi, on me l'a offerte. D'ailleurs, je préfère les dynastes Hercule aux licornes, ils ont une corne eux aussi et sont plus forts que les chevaux à pénis frontal. »

Les garçons la regardèrent avec stupeur, tant elle avait dit ça de manière calme et sérieuse, avec son petit sourire adorable. Garance s'attendait à les voir détaler avec la petite chose qui continuait de gigoter mais à la place, ils lui balancèrent sans ménagement. La jeune fille et l'agilité faisant deux, elle laissa choir la petite boule de tissu à terre dans un « Oups » maladroit et désolé.

Sans demander son reste avant de subir des représailles, la demoiselle ramassa la peluche-marionnette qui voulait fuir et l'épousseta en lui parlant doucement, ne sachant trop si celle-ci entendait ou comprenait.

« Je ne te veux pas de mal moi, contrairement aux andouilles d'avant, tu peux te calmer. »

Garance releva le nez en tenant le Pikachu raté contre elle afin de trouver un endroit calme et se rendit vite compte que tout le monde la regardait comme si elle était la pièce maîtresse d'un freak show. Ou plutôt, si la marionnette en était la reine. La jeune fille fronça le nez et hâta le pas en caressant la tête de la poupée. Elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi tout le monde la retrouvait aussi repoussante. Certes, elle était bien ratée mais elle avait un petit charme. Comme toutes les autres créatures qui ne trouvaient que rarement grâce aux yeux des autres…

Trouvant un petit coin tranquille, la dangereuse s'assit à même le sol en laissant s'échapper un soupir soulagé. Pas de représailles, pas de tissu brûlé. Ouf !

« Ce n'est pas passé loin pour toi, joli coeur. Mais j'aimerais bien savoir qui tire tes ficelles en temps normal… »

Ne s'intéressant pas forcément à l'alice des autres mais plutôt à leur caractère d'abord, Garance n'avait aucune idée de qui était le marionnettiste de cette créature attachante, qui se lovait désormais entre les bras accueillant de sa sauveuse, qui gloussa joyeusement, toute attendrie.

« Ma foi, vu les regards que les gens nous jetaient, tu ne dois pas recevoir d'affection très souvent, pauvre petite chose. Mais maintenant, tu sais que tu peux venir me trouver. J'espère que tu ne m'en veux pas d'avoir menti sur le fait d'être ta propriétaire au moins. »

Apparemment pas, puisque la fameuse petite chose continuait de se laisser faire. Garance se demandait ce qu'elle pourrait faire d'elle et surtout, à qui la rendre ?

“ quelle fille étonnante ! ”

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out comme les trois garçons avant, Garance aussi faisait jouer de son index sur la petite peluche aux traits déformés mais bien plus gentiment. Bien plus tendrement, tout comme le sourire qui était plaqué sur ses lèvres roses. Elle s'amusait à titiller doucement ses petites oreilles pointues et gloussait comme l'enfant qu'elle était à chaque réaction de sa nouvelle amie en tissu. Loin des regards, la demoiselle pouvait être une gamine innocente sans aucune rancoeur, juste avec un coeur gros comme ça et des étoiles dans les yeux parce que cette peluche vivait et bougeait sur ses jambes. Elle ne semblait pas vouloir les quitter d'ailleurs…

Soudain, une voix retentit plus loin dans le couloir. Garance était tellement absorbée par ses jeux qu'elle n'avait rien entendu venir et sursauta, manquant de faire tomber la créature et la rattrapant au dernier moment. Pauvre petite, elle subissait tant de chutes… La blondinette leva alors les yeux vers le nouvel arrivant et dut retenir une grimace en voyant de qui il s'agissait. C'était donc lui, le propriétaire de la peluche. En elle-même, elle pensa un acide "super." Si elle avait su, elle n'aurait pas affirmé avec assurance qu'on la lui avait offerte. Au lieu de cela, Garance offrit au jeune homme un joli sourire et se leva, tout en prenant garde que la création de ce dernier ne tombât pas.

« En effet, j'ai réussi à l'apprivoiser après l'avoir poursuivie ! »

Plus que tout, plus que continuer cette discussion, Garance voulait fuir loin d'ici. Lysandre se présenta mais elle le connaissait déjà de vue et de réputation. Elle s'était renseignée auprès d'autres élèves pour savoir qui était ce garçon affreusement parfait. Sociable, brillant, toujours souriant. Même ses yeux étaient parfaits. Mais lui l'était naturellement, il n'avait pas à se forcer. C'était comme si ça lui plaisait d'être là, comme si tout ça était normal et qu'il se complaisait dans cette cage dorée. Elle qui détestait cet endroit du plus profond de ses tripes, elle ne concevait pas cet état d'insouciance totale. Garance en crevait de jalousie et elle le savait, mais jamais ne le dirait.

Aucune de ses pensées ne passa la barrière hermétique de son visage, seulement un sourire doux et un rire qui tinta dans sa gorge de colombe. Elle hocha la tête et remit la peluche dans les bras du garçon.

« Je suis Garance, enchantée de te rencontrer Lysandre. » Mensonge « J'adore ta petite boule de tissu, elle est trop mignonne ! Par contre, les gens la regardent bizarrement… Même si je la trouve mignonne, je peux comprendre mais ça m'a fait mal au cœur pour elle. »

Elle hésita un moment à lui dire dans quelles circonstances elle avait rattrapé la peluche, pour ne pas trop l'inquiéter mais même si Garance ne le portait pas dans son coeur, Lysandre méritait quand même de savoir ce qui avait failli arriver à sa création. Après un petit pincement de lèvres, elle se lança.

« D'ailleurs, hmm… Désolée si ça t'inquiète mais j'ai sauvé la pauvre petite d'un groupe de grands qui voulaient la brûler et qui jouaient méchamment avec. J'ai un peu menti pour pouvoir la récupérer, j'ai dit qu'on me l'avait offerte en cadeau. » Mais elle tut la partie sur les chevaux à pénis et des scarabées à corne. « J'espère que tu ne m'en veux pas trop d'avoir menti… »

Petit sourire embarrassé et factice. Garance n'avait aucune honte à mentir. C'est ce qu'elle se répétait pour s'en convaincre.

« Et donc, ton alice, c'est donner vie à des peluches ? C'est adorable ! » Ca, c'était vrai. La blondinette fondait devant ces êtres de douceur.

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ême si Garance n'aimait pas Lysandre, son petit cœur sensible se serra à l'explication de celui-ci. Oh que oui, elle en savait quelque chose sur les apparences, elle qui en était une ambulante et pour le moment, tous n'y voyaient que du feu. Son sourire vacilla pour se transformer en grimace douloureuse et instinctivement, elle porta la main à la tête de la peluche, comme pour la rassurer : la blondinette n'avait pas peur.

« Eh bien compte une seconde personne pour lui donner un peu de tendresse. Je trouve ça triste pour elle qu'on s'arrête à son aspect. »

Elle lui raconta donc la rencontre avec la petite créature et s'en voulut presque immédiatement de l'avoir dit en voyant l'expression de Lysandre passer de tendresse à tristesse. Il ne méritait pas ça, même si Garance le jalousait. Elle n'était pas mesquine au point de faire souffrir quelqu'un volontairement, loin de là. Elle pinça les lèvres et tapota doucement le bras de son aîné, avec tout de même un peu de retenue.

« J'ai réussi à le sauver et c'était juste une bande de crétins. Je les ai déjà vus mettre une cigarette dans la gueule d'une grenouille juste pour tester et pas plaisir malsain, tu sais ? »

La demoiselle fit une grimace de dégoût en se souvenant de son sauvetage raté. La grenouille avait gonflé jusqu'à sa limite et… Pour éviter de penser à la conclusion, elle secoua la tête vigoureusement.

« Je suis contente d'être arrivée à temps pour… Mimiki donc. Son nom est mignon. Et pas de souci, tu me dois juste un thé alors ! Et un croissant. Ce sera tout. »

Garance aurait pu demander une contrepartie exubérante mais elle se contenta juste d'une petite broutille. Quitte à le revoir en face à face… Pour cacher son sentiment, elle rebondit sur le pouvoir de Lysandre et se maudit presque instantanément. En personne parfaite et sans se douter de quoique ce soit, il lui renverrait la question. Elle l'écouta d'une oreille distraite et reçut en effet le revers rapidement.

Comment répondre ? Mentir ? Pourtant les Dangers n'étaient pas nombreux, elle aurait du mal à cacher sa classe RTA. Lui dire la vérité donc, mais sur quel ton ? Tranchant, celui qui ne ressemblait pas à l'apparence qu'elle renvoyait ? Souriant mais fataliste ? Son front et son nez se plissèrent sous le poids de l'interrogation mais elle s'arma de courage. Bizarrement, dire la vérité à Lysandre ne la dérangeait pas, c'était même comme un défi qu'elle lui jetait.

« Je contrôle les insectes et on considère cet alice comme dangereux. C'est vrai qu'il n'y a pas que des coccinelles et des papillons dans cette classification. »

Elle haussa les épaules sans se départir de son sourire, doux mais amusé. Garance haussa les sourcils et lança le gantelet au jeune garçon.

« Ça ne t'effraie pas au moins ? » demanda-t-elle d'un air faussement inquiet.

Elle n'en avait cure que les gens trouvent son alice immonde ou effrayant. Elle aussi l'avait pensé, quand elle avait appelé une fourmilière entière dans l'un des salons du domaine Harcourt. Mais grâce à ses nouvelles petites amies repoussantes, elle avait gagné une partie de sa liberté, tout en passant de Charybde en Scylla pour atterrir dans cette prison élitiste.

« C'est grâce à mon alice que je me suis vite sentie proche de Mimiki. Je ne pense pas être repoussante physiquement mais le jour où j'ai appelé une tornade de punaises dans la classe de maîtrise, disons que ça n'a pas laissé les élèves indifférents… Et depuis on me regarde autrement. »

Ça sortait naturellement, comme une justification alors qu'elle n'avait pas à le faire mais elle n'y pouvait rien. Garance pestait intérieurement, maudissant Lysandre et son aura rassurante. Pourquoi fallait-il qu'il soit ainsi. Même à leur âge, il irradiait déjà de positivité et de bonne humeur sincères. C'était un nom dont elle ignorait le sens profond, la sincérité…

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ne furieuse envie de hurler prit Garance aux tripes. Rien ne paraissait mais même après avoir réussi à obtenir une collation gratuite, Lysandre continuait d'être affreusement parfait. Comment faisait-il pour positiver autant sur tout et n'importe quoi ? Et comment était-il si sûr qu'elle ne le détestait pas alors qu'au même instant, la blonde le maudissait à pleins poumons dans sa tête. Le pauvre, il n'avait rien demandé, il était juste lui-même et ça, ça la bouffait. Mais son idée de chasse aux papillons était vraiment mignonne, elle devait l'avouer.

« Je note ton idée, je dirais que c'est toi qui as proposé ! Rendons à César ce qui est à César. Ou à Lysandre ce qui est à Lysandre : Mimiki et honneur. » Elle s’écœurait à être si naturelle dans ses paroles et son rire. « Quant aux insectes, même les papillons sont effrayants aux yeux de certains tu sais. Du moment qu'ils ont six pattes et des yeux globuleux, qu'il s'agisse d'un beau morpho bleu ou d'une punaise d'eau répugnante, ils sont mis sur le même pied d'égalité. Alors qu'une punaise en général, non, c'est horriblement mo… »

Se rendant compte de ce qu'elle faisait, Garance mit les deux mains devant sa bouche et ne sut où se mettre. Même avec lui, il fallait qu'elle déballe sa passion pour ces petites bestioles qu'elle avait pris en affection. Un peu comme son aîné et sa peluche.

« Désolée… » lâcha-t-elle, un peu penaude.

Et ce n'était pas fini. Elle avait parlé avec sincérité de leur "proximité" toute nouvelle, avec la peluche de son camarade ainsi que de ses soucis d'alice et du regard des autres mais jamais elle ne se serait attendue à une telle réponse. Garance étant plutôt humble, elle ne cherchait absolument pas les compliments et ne savait pas comment réagir à ceux-ci. Quand Lysandre lui glissa si naturellement qu'il la trouvait charmante, elle ne put que rougir furieusement et chercher où se mettre, à part derrière ses deux petites mains qui cachaient son visage. Elle goba l'air pour chercher quoi dire mais se trouva dans l'incapacité de sortir le moindre mot de sa gorge. Au lieu de cela, elle se contenta de glousser nerveusement. Il lui faisait un compliment alors qu'elle lui crachait tout son venir mentalement en même temps. Même avec cette flatterie si sincère, elle n'était que toxicité. Ses pensées à mille à l'heure allèrent de "sale charmeur" à "on ne m'a jamais dit ça" en passant par le fameux "pourquoi il est parfait naturellement, lui ?" Encore et toujours cette question qui revenait.

Le blond à la parole mielleuse finit de l'achever en lui proposant ce fameux thé qu'elle-même avait réclamé un moment plus tôt. Prise dans le flot de son embarras, Garance hocha la tête en signe d'accord mais n'enleva pas pour autant ses deux boucliers à phalanges.

« Ok, quand tu veux… » fit-elle d'une petite voix.

Elle regretta d'avoir acquiescé si vite parce qu'il était en quelque sorte son nemesis. Elle l'avait décrété ainsi et prendre le thé avec son antagoniste n'était pas la marche à suivre. Mais ne disions-nous pas "sois proche de tes amis et encore plus de tes ennemis" ? Elle allait se convaincre que c'est ce qu'elle faisait et non qu'elle suivait le rythme de ses pas à lui et non plus celui de ses propres pas.

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