La sonnerie lui avait fait réaliser soudain que la journée était terminée sans qu'il n'ait eu le loisir de la voir défiler. Son regard s'était porté sur la plupart de ses camarades qui se pressaient à ranger leurs affaires pour quitter la salle au plus vite, là ou lui prenait tout son temps. Plus tard il sortirait moins de cohue il y aurait, et pour lui qui appréciait les bains de foules à toute heure sauf en fin de journée, cela restait encore la meilleure option. Il était resté assit là, sur sa chaise à contempler le vide de ses pensées en attendant tranquillement, son sac posé sur la table, que tout le monde disparaisse. Ce fut le silence qui le ramena à la réalité, sa douceur qui le fit se lever pour s'en aller arpenter les couloirs menant à la sortie puis tout droit à sa chambre où de nombreux devoirs l'attendaient. Un regard à sa montre lui apprit qu'il avait encore un peu de temps devant lui, il n'était pas si tard et il n'était pas pressé. Ellis tranquille comme à chaque heure de l'année.

Il n'aurait su dire pourquoi son attention s'était sentie attirer par cette porte entrebâillée seulement par habitude il s'en était approché. À peine un sourire lorsqu'il dessina ta silhouette endormie tendrement près des fenêtres à l'opposé. Finalement, il ne se sentait plus tant l'envie de rentrer. Les habitudes pourraient attendre qu'il en ait terminé avec toi, pas vrai ? D'un doigt il avait remonté ses lunettes de soleil sur le haut de son nez puis il avait prononcé ton prénom. Une fois, deux fois. Peut-être trois il n'avait pas bien fait attention, en tout cas désormais tu semblais doucement t'éveiller.

« Salut Sleeping Beauty, et si la référence était là elle n'était pas très drôle en réalité. Tu vas te faire mal à dormir comme ça. »

Salut Ellis.
Alors, tu... stationnes au milieu du couloir ?

Euh.

« Ouai. ...Non. Non, je t'ai juste vu en passant alors je m'suis arrêté. »

D'ailleurs il entrait déjà, un peu perturbé de s'être laissé prendre sur le fait de ce qu'il avait lui même initié, jetant son dévolu sur une table de la rangée d'à côté juste en face de la tienne. Il se cala dessus, laissant choir son sac au sol, avant de te reporter toute son attention.

« Tu fais ça souvent, dormir dans des salles vides ? »

Simple curiosité.

« Oh, ok. »

Tant mieux, aurait-il voulu ajouter sans le faire, toujours un peu troublé par ce rire qui t'allait si bien. Il ne faisait que te regarder, sans insistance, seulement porté sur les actions silencieuses que tu menais. Cela ne durait jamais bien longtemps mais il ne savait que les apprécier à chaque instant. Avec toi les silences prenaient toujours un sens nouveau pour lui, jamais aucun n'était désagréable même lorsque la gêne était bien plus grande que les mots.

Un presque sourire qui se dessina à ses lèvres en même temps qu'il se repositionnait.

« J'en conclu que tu me fais confiance ? »

Ellis arborait l'air taquin des belles journées, loin de tous ces doutes qui l'habitaient. Cela faisait un moment déjà qu'il l'avait remarqué, tu sais, qu'avec toi tout paraissait à la fois si simple et si complexe. C'était comme marcher sur des œufs à longueur de temps, en cherchant un chemin que l'on ne trouvait pas et pourtant, parfois il y avait des éclaircies. De brèves ouvertures, comme en cet instant, où il n'hésitait jamais à s'engouffrer. Vous ne vous connaissiez pas si bien non, mais Ellis lui espérait qu'un jour cette réalité changerait.

Ici, c'est plus facile d'être seul quand tout le monde a fui les salles de classe. Ici c'est plus facile de s'évader, de se reposer et de s'imaginer des scénarios pleins de diversité, pas vrai ? Ça te ressemble bien.

« C'est vrai que je te vois jamais avec les autres. Pas que j'passe ma vie à t'regarder mais-, d'un balayement de la main il ajoutait à l'observation une touche légère d'humour. Ça t'embête pas ? »

De ne rien partager avec eux ?
De rester seul tout le temps ?
Parce qu'Ellis était l'un des premiers à savoir à quel point le poids de la solitude pouvait être difficile à porter. Il se demandait et osait demander les ressentis de la façon la plus innocente qui soit, craignant malgré tout de peut-être trop en dire. Tant pis, maintenant que les mots étaient sortis.

« J'te parle pas du fait de te regarder, mais genre, de la situation. »

Sans s'en rendre compte il s'enfonçait, malgré le sérieux de la situation et ses iris qui se plantaient dans les tiens -bien cachés derrière ses lunettes de soleil.

Il avait comprit à l'intonation de ta voix et aux rougeurs qu'avaient tes joues qu'il venait de te vexer. Non, ça ne m'embête pas, et il n'était plus si sûr de lui tout à coup, Ellis, il hésitait à se reprendre en t'observant ne plus savoir quoi faire. Les mains dans le sac, le livre rangé, il ne dit rien pourtant et te laisse t'exprimer -c'est qu'il aimait beaucoup t'entendre parler si tu savais. Les mots semblaient durs, lui arrachant une grimace légère tandis qu'il réorganisait ses pensées. Seulement tu le prends de cours et il se dit que ce devait être une habitude chez toi, de surprendre les gens.

Pourquoi ça t'intéresse, tout ça ?
Hum.

Il n'en avait aucune idée.

« Va savoir, je t'aime bien faut croire ? »

C'était dit avec un sourire enfantin, la suggestion innocente et pourtant véridique malgré quelle soit incompréhensible. Vous ne vous connaissiez pas assez et pourtant, pourtant Ariel, il t'appréciait déjà plus qu'il ne voudrait l'imaginer.

« Tu t'caches dans les salles de classe à la fin des cours mais je sais que t'es quelqu'un d'intéressant. »

Parce qu'il t'observe toutes ces fois à la bibliothèque au hasard des rayons. Il relit ces livres que tu empruntes après lui. Parfois, il cherche dans les listes pour lire ceux que tu lui fais découvrir sans le savoir, d'agréables surprises la plupart du temps et il se surprend à constater que vous aviez plus de points en commun qu'il n'y paraît. Seulement ça, c'est un secret qu'il garderait encore un moment pour lui, histoire de ne pas t'effrayer.

« D'ailleurs j'ai jamais sous-entendu que t'avais pas d'amis, t'es un grand garçon Ariel. C'est juste que moi, j'te vois souvent tout seul et- »

Et ? Quoi ?
Ça m'intrigue.
J'aime pas ça.

Il s'en perdait dans ses explications, comme un enfant déboussolé, un doux sourire néanmoins toujours posé sur ses lèvres.

« Bref. Sois pas vexé pour ça c'était pas dit en mal, ok ? »