Le rentre-dedans, ça n'avait pas marché. Pas plus que le sous-entendu sexuel, d'ailleurs. Ayant épuisé toutes les pires méthodes d'approches possibles, Achille se trouvait démuni, et aussi terriblement outré. Que lui faudrait-il, bientôt ? Construire une relation saine pour être certain de tirer un coup ? Avec le temps, les gens devenaient trop exigeants, et l'évolution humaine représentait un frein considérable à l'exploitation des faiblesses personnelles.

C'est pour cela qu'Achille s'était promis de ne pas s'impliquer. Il vivait ses soirées avec l'analyse sanguine de quelqu'un qui diluait ses jus de fruits dans l'alcool, et non pas l'alcool dans des torrents de sentimentalisme.
Achille n'avait pas l'alcool triste, pas plus que l'alcool joyeux d'ailleurs : il avait l'alcool rentable. Il n'était pas plus ridicule qu'à l'accoutumée, juste suffisamment torché pour oublier que tous les autres l'étaient et par conséquent, baisser ses standards de sélection. Ce n'est pas pour autant qu'il se sentait prêt à taper dans du moche, mais parfois, la vue 144p engendrée par l'alcool avait du bon. Mais l'une des exceptions, c'était Rocket.

En dehors de son prénom, il s'était avéré être plutôt bien fait de sa personne. Achille avait fait deux efforts : garder contact et se retenir de lui proposer une compétition de bobsleigh, la seconde étant particulièrement difficile. Leur relation avait été plutôt éclair, au regard de quelques flirts réguliers, et alors, Achille sentait la distance se creuser.

Ils parlaient moins. (Play despacito)
Et par moins, ça voulait dire que leur message semi-mensuel était devenu mensuel : leur relation était plus charnelle que véritablement intellectuelle.
Et quand bien même il aurait voulu, Achille ne parlait pas le raton-laveur. C'est pourtant ce qu'il avait prévu de faire lorsqu'il l'avait rejoint à la fontaine, hésitant entre jouer la colère froide de l'empereur du mal enragé d'avoir été ainsi convoqué ou... la dégaine habituelle d'un faible petit blond dont la langue était plus musclée que les épaules.

"Tu m'as appelé." Il l'interpella sans réelle inventivité, jugeant la paraphrase toujours plus agréable que le silence gênant de certains moments de telles relations. Comme par exemple, celui où Achille se rhabillait. "Je n'ai pas pris de tuba, on va devoir oublier la plongée." Ou, des deux qu'il avait mentionné, il en avait toujours un - encore qu'il eut été difficile de ne pas l'embarquer avec lui. Croisant les bras dans un geste d'impatience, il toisa Rocket du regard, n'étant pas surpris d'avoir Hooked On A Feeling en tête, comme à chaque fois qu'il le voyait.

L'avantage des relations qui n'étaient pas sérieuses, c'est qu'avec Achille, rien n'était sérieux. Il aurait été surpris de réaliser qu'il avait fini, au fond de lui, par apprécier Rocket pour autre chose que les références cinématographiques que son nom impliquait. Et pourtant, c'était le cas. Et il y avait quelque chose, là, derrière tout cet humour vaseux.

Quelque chose qui s'apprêtait à se briser.

danger de noyade

La fontaine, Achille adorait. Ce n’était pas seulement la quiétude permanente ou la quantité astronomique de pièces de monnaie qu’on pouvait y retrouver qui faisait le charme de l’endroit. La fontaine avait quelque chose de reposant, ou peut-être n’était-ce qu’un trait relatif à toute source d’eau - si l’on exemptait les toilettes féminines.

En y repensant, la situation était évidente avant même que Rocket ait eu à prendre parole.
Il avait le visage fermé, et sa bouche n’avait pas sourcillé face aux habituelles vannes du blondinet. Par message, pas encore, mais lorsqu’il se lança dans une maltraitante cruelle des cailloux alentours, comme par nervosité, Achille commença à penser que quelque chose clochait.

Il restait coi, alors qu’une voix sévère tonna dans ses oreilles, à en faire passer le doubleur de Smaug pour un soprano (pas le chanteur). Il mit un instant à réaliser qu’il venait de se faire à la fois engueuler, rabaisser et rejeter par une des personnes dont il avait vanté les quelques bons côtés dans sa tête.
Il faut dire que, objectivement, Rocket possédait toutes les qualités recherchées : il était bien foutu, ce qui constituait la pierre angulaire de la baise, à n’en pas douter. Le problème, c’est qu’il avait - au fil du temps - développé l’étrange capacité à ne pas foutre totalement des autres, et par conséquent, faire preuve d’un peu d’humanité. Ce qui aurait été véritablement humain, selon Achille, aurait été de lui accorder une dernière folie avant de le rejeter.

Il n’était pas vexé, mais à défaut de pouvoir démentir la comparaison enfantine, il aurait aimé qu’on ne l’associe pas au mielpops.
Il soupira - un soupir résolu, comme celui qui précède le moment où l’antagoniste retire son masque et se lance dans l’explication de son plan, mais Achille n’avait pas de plan. Il se contentait de vivre son quotidien, ou du moins, d’empêcher les autres de le faire. C’était sûrement ça, le plan, en fait. Casser les couilles aux gens, jusqu’à ce qu’ils finissent par le détester, le rejeter ou lui casser la gueule. Parfois, les trois à la fois. D’autres fois, ça finissait en baise. Cette fois-là, Achille avait juste l’impression de se faire baiser, et il était inconcevable de ne pas en profiter.

"Wow, une seconde, grand-frère Pascal. J’ai compris le deal, tu as finalement réalisé que je suis pas Sainte Marie et tu veux définitivement mettre fin aux quelques messages qu'on appelle "relation". D'ailleurs, pour info', tu es déjà dans les spam. Mais du coup, fini la baise ?"

Son visage aux sourcils froncés resta longuement fixé sur Rocket, en attente d’une réponse qui, à n’en pas douter, changerait le tournant de sa vie : plutôt que la chambre de Rocket, Achille irait plutôt s’enfermer dans la sienne. Il prétendrait être humain l’espace d’une nuit, lorsqu’il s’enfermerait dans le noir, détruit par cette nouvelle et laisseraient entendre ses hurlements de rage et de chagrin. Des hurlements, bien entendu, qu’il devrait à ses heures de jeu sur Mega Man 3. Pour autant, Achille n’était pas impassible, il était même déçu. Il n’affichait aucune autre expression que celle d’une sculpture de l’empereur César, mais s’il avait pu exprimer sa déception sexuelle, il aurait dû prêter à Rocket son DVD d’American Pie.

Le problème, dans tout ça, ce n’était pas tellement qu’il venait de perdre la copie un peu ratée d’un ami, mais qu’il était incapable de comprendre pourquoi tout s'était arrêté. Du moins, il le comprenait. Le vrai problème, c’est qu’il peinait à ne pas s’en foutre. Il s’apprêtait à enchaîner, gratifiant Rocket d’une nouvelle réplique cinglante, scellant par la même occasion le sort de leur relation, mais il hésita. Pour Achille, exprimer un quelconque sentiment lui semblait improbable, et même s’il n’était pas imperméable à la perte imminente de Rocket dans sa vie, il s’imaginait déjà ressentir la colère d'une revanche future. Le fautif n’avait pas d’importance, selon lui : le fautif, d’ailleurs, était celui qui prenait la décision de s’en aller. Mais alors qu’il allait répliquer, une phrase le fit tiquer : cette fille-là.

Et aussitôt, tout fit sens.
Un sens un peu tordu, mais qui suffit à le rassurer.

Ah, d’accord. N’était-ce donc qu’une vaste jalousie, justifiée par un peu de vérité ? Si cela pouvait l’aider à renier ses responsabilités, alors oui, il n’y réfléchirait pas à deux fois. Fouillant dans sa poche, Achille en sortit une banane : ce n’était pas l’utilisation première qu’il comptait en faire, mais faute de mieux, il décida de la manger.

"Rocket," commença-t’il sur un ton froid. Non, sa voix n’était pas particulièrement froide. Il avait juste cessé d’y insuffler ces intonations amusantes qui rendaient ses conneries parfois potables. "Tu aimerais m’en dire davantage sur ton ressenti vis-à-vis de ça." Sa voix n’avait pas la tonalité d’un ordre, mais c’en était un. Son alice ne forçait pas la volonté, elle la transformait, tant et si bien que son contrôle était intimement discret.

Sous réserve de modération, il était vraiment difficile d’en voir l’usage. Mais Achille se moquait bien de la discrétion.

Il voulait des réponses.

danger de noyade

La fontaine, Achille adorait. Mais depuis quelques temps, qui s'en tenaient aux quelques dernières minutes, il commençait à la détester. Sur certains points, il était aussi primaire que son comportement de gorille le laissait entendre : il était, entre autres, incapable de faire preuve de tolérance. Le rejet était une offense, car pour lui, il n'y avait que deux camps. Le sien - aka la petite bande de branleurs qui considère toute bienveillance comme une faiblesse - et les normaux, qu'il prend plaisir à voir comme des ennemis. Achille n'avait jamais été assez cringe pour le leur déclarer de façon suffisamment dramatique.

Il n'empêche, depuis qu'il lui avait lâché son discours sur le mielpops - à croire que les céréales étaient plus importantes que le respect d'autrui - Achille se sentait irritable. Et par irritable, cela signifiait plus irritable qu'une peau piquée dans la minute précédente par un moustique.

Par irritable, il se sentait prêt à lui sauter à la gorge à coup de remarques tranchantes, avec toute la rancœur qu'il était pourtant si capable de dissimuler.
Mais voilà, Rocket avait vu clair.
Qu'il le rejette au nom de quelques principes, Achille pouvait comprendre - après tout, lui-même s'en tenait à ses propres principes. Il en était venu à se taper de belles bêtes, comme Rocket ci-présent, mais la finalité était une solitude si déprimante qu'il la remettait parfois en cause.

Achille n'avait jamais su être hypocrite, et il regrettait parfois ce trait d'esprit redoutable dans la manipulation de quelques entités en déficit intellectuel. Les principes, ça avait du bon, dans la majorité des cas.
Mais lorsque ça devenait personnel, Achille, lui aussi, devenait personnel.
Rocket venait d'appeler sur son numéro personnel au lieu du professionnel, et ça, c'était inacceptable. Ce n'était pas Achille, l'élève une étoile qui décrocherait. Ce serait Achille, le loser solitaire dont le seul réconfort à la bêtise serait de se branler sur ses quelques punchlines potables.

"Elle ? Comme les autres ?"

Il se sentit gagné par la colère, sans comprendre pourquoi, comme si brusquement, Rocket avait éclaté tout le papier-bulle qu'Achille gardait dans son tiroir pour les périodes d'ennui. La réponse avait beau brûler d'évidence, Achille se refusait à en saisir le sens - pour autant qu'il soit capable de le voir.
Il ne parvenait pas à trouver la Pokéflute qui réveillerait le Ronflex de ses sentiments, et au lieu de ça, forçait quelques métaphores médiocres pour se changer les idées. Et, comme souvent, pour s'empêcher de penser à elle. Ça ne faisait pas longtemps, pourtant. Ils se fréquentaient à peine, le peu d'affection haché de quelques instants cinglants, nés de la peur de cette relation exponentielle. Achille ne pouvait voir, bercé dans l'ignorance, comme un enfant trimbalant ses émotions.

"Pourquoi ça te gêne ? On s'aime pas, que je sache. On baisait, ça te convenait, ça me convenait. J'aimais bien ça, alors j'ai continué. Enfin, jusqu'à ce que tu me baises."

Il tourne la tête, passant sa main dans ses cheveux pour les rejeter en arrière. Il se dégage le front, laisse sa peau respirer. La chaleur s'estompe doucement et il régule son souffle, se laisse apprécier le réconfort d'un silence éphémère. Rocket l'a bien baisé, c'est peu dire.

Son indignation, Achille s'en moque.
Ses provocations, il les ignore inlassablement.
Sa décision est bien assez lourde pour qu'il y concentre son mépris.
Rassemblant toute son énergie, il s'avance pour le toiser de ses yeux bleutés, ravivant dans sa tête la scène de "This is sparta". Peut-être espérait-il que son regard lui ferait l'effet du coup de pied nécessaire. Ou peut-être que faute de mieux, et perturbé par l'instant, il n'avait de meilleure référence qu'un guerrier spartiate de 120kg.

"C'est juste toi, Rocket" souffla-t'il. "Tu n'es pas assez important pour que ce soit différent. Je ne te prends pas pour un con, au contraire. Je suis honnête. Cette relation, c'est le mieux qu'on puisse jamais avoir, parce que le con c'est moi, et toi, Steve Rogers, t'as le cœur bien enfoncé dans le cul qui t'empêche de chier droit."

Sa voix a perdu le son de ses moqueries fluettes qui le rendent si agaçant. Elle est froide, tranchante, mais aussi terriblement calme.
Achille ne se moque pas - pas maintenant, pas maintenant qu'il sait, maintenant qu'il comprend, maintenant que son propre futur se décide. Achille ne sera pas bienveillant. Il ne l'a jamais été, et au fond, il n'éprouve pas le désir de changer, pas même pour un autre, tout Rocket qu'il soit.

"Je te dois rien. Je fréquente qui je veux. Si tu t'attendais à ce que je m'explique, à ce que je te rende des comptes, tu seras déçu. Et si ma façon d'être te dérange, Rocket, très bien. Arrête-moi."

Il recule de quelques pas, diluant son soupir dans un gloussement ironique.
C'est ici que tout s'arrête. Ici que leur quelques plaisirs charnels se muent en une haine grandissante, entrevue dans la réalité du jour. La nuit n'était que le commencement aveugle, et à présent, la réalité leur vient.