C’est beau, dehors.
Le Soleil est haut, très haut dans le ciel. Il baigne l’académie d’une chaleur brûlante, qui appuie sur les épaules et donne envie d’aller à la piscine.
C’est beau, dehors.
Ça scintille de partout. Les fleurs figées par l’absence de vent n’attendent qu’une brise pour se manifester. Les étendues d’eau brillent. Le ciel est d’un bleu limpide. Pas un nuage. Pas une ombre sur le tableau.

Le carnet de dessin dans les mains, Mia se dirige vers l’extérieur. Un jardin, une cour, n’importe quoi. Un endroit où s’asseoir, même si c’est dans l’herbe, pour sortir ses plus beaux crayons et dessiner des arbres. Ou des fleurs. Quelque chose.

Sa démarche est vive, sautillante. Le sourire sur ses lèvres témoigne d’une joie impossible à dissimuler. Son parfum fleuri embaume les couloirs, chatouille les narines de toute personne à sa portée. Mia, douze ans, douée pour tenir un crayon, sautiller partout pendant les répétitions. Beaucoup moins adroite quand il s’agit de garder son alice pour elle. Mais ça ne la mine pas, pour une fois. Ça ne l’effleure même pas, à vrai dire.

Parce que, vraiment, c’est beau, dehors.
C’est une journée immanquable, qu’il faut absolument coucher sur le papier. Une journée mémorable, qui restera dans son esprit par ce biais.

Mia accélère un peu, pour arriver plus vite à destination. Le temps presse. Peut-être que le Soleil va bouger. Quelques centimètres et les ombres ne seront plus les mêmes. Il s’agit souvent d’une histoire de minutes, parfois de secondes.
Vite, vite, vite.

Le jardin botanique.

Elle sait pas pourquoi elle y va, Mia, mais elle y va. Sûrement parce qu’elle se fond bien dans la masse, là-bas. Puis parce que c’est doux. Ça sent bon. Ça sent comme elle.

Le jardin botanique, voilà.

La brune dépose ses affaires, s’assoit contre un arbre, observe toutes les fleurs qui s’épanouissent autour d’elle. D’innombrables couleurs égayent le tableau, lui donnent envie de remplir sa page blanche.

C’est beau, dehors.
Aujourd’hui plus que jamais.

Mia se saisit d’un crayon, commence son œuvre. Son cœur bat la chamade, secoué par l’excitation qui l’anime. Les traits apparaissent au fur et à mesure, animent la feuille. Une existence scellée dans le papier. La scène parfaite qui se joue sous ses yeux, recréée par une main d’enfant. Son imagination mêlée à sa vue, pour faire resplendir le jardin botanique, baigné par le zénith.

C’est beau, dehors.
Mia est heureuse.

Mais elle n’a pas vu l’ombre sur son propre tableau. Le nuage sur son ciel.
La silhouette qui s’approche lentement et va faire basculer son monde. Encore une fois.

Sa voix lui arrache un frisson. Elle la connaît, cette voix. Elle ne la connaît que trop bien, d’ailleurs.
Son cœur accélère. Un rythme effréné, désagréable.
Dans sa tête résonne une phrase, une unique phrase, toujours la même : « Oh non, pas elle. » Terrible litanie, qui cogne chaque recoin de son esprit.

Ainslie Fleming. Ce qui est drôle, avec cette fille, c’est que personne ne l’aime. Difficile de faire l’unanimité sur quelqu’un, mais elle, elle a cette capacité incroyable. Véritable peste, son passe-temps préféré est d’embêter les plus jeunes, parfois même les plus vieux. Mais il semble qu’elle soit éprise des plus faibles, les plus faciles à martyriser.
Mia soupire. Son parfum se modifie instantanément. Les fleurs disparaissent, laissent place à une odeur froide. La pluie ?
Mêlée à celle d’Ainslie, chaude de mauvaises intentions, il y a là un spectacle particulier. Peu agréable.

« Salut. »

Elle n’en dit pas plus. N’a pas envie d’en dire plus. Pipelette Mia, la voix coupée par la lassitude. Ça n’a pas commencé, pourtant c’est déjà trop tard.
La brune se recroqueville comme elle peut contre son arbre, consciente de ne pas pouvoir fuir.

Les grands airs d’Ainslie lui déplaisent. Elle n’est pas un héros, c’est tout l’inverse. Sa réputation la précède depuis bien trop longtemps. Les gens malveillants qui pourraient lui vouloir du mal, Ainslie en fait partie. C’est connu.

Mia penche la tête. Donc elle est là, hein ? Si seulement elle pouvait être ailleurs.
Un soupir.

« Ah … »

Les prunelles brunes se lèvent de la feuille, parcourent les fleurs, l’herbe. Reviennent sur Ainslie.

« Donc tu es là pour me protéger de qui ? »

Silence. Un tout petit instant, qui fige le moment. Le rend plus lourd encore.

« De toi ? »

Comme un coup en plein cœur. Elle sait ce qui l’attend. Elle sait que la jeune Ainslie n’est pas du genre à s’amuser. Elle sait que les battements dans sa poitrine ne sont pas innocents.
Il ne s’agit que d’une question de temps avant que l’éclair ne s’abatte. Les feuilles voleront peut-être. Les dessins disparaîtront certainement. Mia ne sait pas à quoi s’attendre. Enfin, si, elle en a une petite idée, mais ce n’est pas assez précis.

L’odeur de pluie s’intensifie.
Pourtant, le soleil rayonne. Un zénith aveuglant, réchauffant.
Traumatisant.

Mia serre les dents. Pourquoi ? Pourquoi aujourd’hui, pourquoi maintenant ?
Elle tente de balayer la situation, de tout renverser. Une tentative de reprendre la main, de dominer.

« Qu’est-ce que je peux faire pour toi, Ainslie ? »

Mais Mia est Mia.
Et Mia ne domine jamais vraiment.