❝ les grands jeux des vainqueurs. (noah)

❝ — les grands jeux des vainqueurs.

( 21.04 • au sommet, sur le plateau des rois )

Tout est aligné, dans la nouvelle chambre d'Ava-Marsaidh – même les cahiers soigneusement disposés sur le bureau, en l'attente d'être étudiés.
Trop peu décorée peut-être, la pièce paraît trop impersonnelle encore – il faut mettre les murs blancs et les étagères vides sur le compte des hâtes des derniers jours, qui n'ont pas laissé un seul instant pour inspirer.
Elle n'a trouvé l'élan qu'avec la promesse que quelqu'un devrait se glisser dans sa chambre aujourd'hui. Enième frôler du regard sur l'heure qui défile sur l'écran de son téléphone, et elle n'a plus qu'un quart d'heure à patienter – les horaires en décalé, les spécialités se chevauchent et se superposent ; elle en a profité pour gagner du temps.
Rendre l'endroit plus chaleureux, rien qu'un peu – peut-être qu'on n'a plus tant le cœur à décorer qu'on l'espérait. Les yeux ne s'habituent pas – ni à l'immensité de la chambre, ni à la nouvelle étoile épinglé au col de sa veste.

alors, on l'ignore – tant qu'on peut, entre les sourires entendus, les félicitations enjouées, les célébrations plus sobres, et même les regards en croix et les sarcasmes ;
personne n'a l'air d'ignorer, dans les couloirs, ce qu'il s'est passé.
le prix qu'elle a payé, pour cette nouvelle étoile des cieux la décrocher – bien que la scène, au fil des enjolivures, ait été déformée.
ils n'existent pas, les dix-huit militaires qu'hastings aurait prétendument neutralisés, pas plus que les neufs autres qu'il aurait fallu pour l'immobiliser.
dans la tourmente, il n'y avait personne d'autre qu'eux,
hastings, devray, weber, elle-même et leur tête pensante à tous – le chef de la section nova.
le drame s'était joué à cinq,
secondes figées au milieu du chaos.

pas un(e) de plus.

elle soupire et balaie ses pensées d'un revers de la main dans l'air – puis elle se retire dans la salle d'eau, pour redessiner au crayon le contour de ses lèvres, recourber le trait d'eye-liner au dessus de ses paupières, réajuster les boucles blondes sur ses épaules.
elle doute, les mains appuyées sur le rebord du lavabo, les yeux plongés dans leur reflet – mais elle n'a plus le temps d'hésiter,
voilà
qu'elle entend frapper.

alors elle inspire, chasse le poids qui pèse sur ses épaules depuis que le festival s'est terminé, replace correctement son nouvel insigne et se rhabille d'un sourire.
son pas danse dans la chambre, tandis qu'elle franchit la distance qui la sépare de la porte pour la déverrouiller.

▬ Noah, elle incline la tête, salutations respectueuses sans s'ennuyer des discours prolongés. Vous êtes ponctuel.

Elle s'écarte pour ouvrir plus largement la porte, l'invitation tacite.

▬ Installez-vous, prenez vos aises. J'ai mis de l'eau à bouillir, si jamais l'idée d'un thé vous réconforte.

La porte refermée dans son dos, elle désigne la table en bois aux gravures sophistiquées, peinte en blanc nacré et les deux fauteuils confortables disposés autour comme deux adversaires en velours crème.
Les premières folies qu'elle s'était autorisées avec le fruit de ses économies lorsqu'elle avait décroché sa troisième étoile, bien des trimestres auparavant, si ce n'étaient pas déjà des années.
L'escalade avait été longue et rude, mais elle y était parvenue.

Au sommet, sur le plateau des rois.

Les grands
jeux des vainqueurs.

noah & ava-marshaid

" And fearless minds climb soonest unto crowns "

Plusieurs jours, depuis la fin du festival sportif.
Les rénovations avaient commencées dans l'école, suite à l'incident qui avait consumé une bonne partie des gradins ainsi que du stade en lui-même.
Depuis des amitiés s'était nouées, de nouvelles rencontres et même des amours.
Pour Noah, rien de tout cela.
Rien de plus que la satisfaction éternelle d'avoir vu chuter Elyas, le major des flammes, dans un spectacle aussi fascinant que terrifiant.
Les flammes qui venaient mordre le ciel, la fumée qui obscurcit le soleil, la chaleur qui étouffe.
Noah avait regardé Rome brûler, tel Néron, chantait à sa gloire.
Représentation, maestria dans sa manière d'avoir joué de ses instruments, le capitaine de l'équipe de volley-ball avait subit le châtiment des insolents : s'était brûlé les ailes face à l'astre.
Quel dommage que sa chute fut provoquée par ses propres flammes qu'une simple brise à la chevelure de blé avait suffit à rendre incontrôlable.
Comment assister à plus belle démonstration de grandeur que celle qui consiste à écraser un adversaire sans même qu'il s'en aperçoive ?
Le monarque était puissant, plus que jamais.

Aujourd'hui était d'ailleurs un jour important, car il était toujours impatient à l'idée de partager un moment de conversation et de culture avec la fille du président Irlandais.
Elle avait été promue major et à cela, Noah ne saurait s'opposer.
Existe-il plus digne que les gens de son espèce à ce rôle ?
Avait en elle le sang des conquérants, des leader, bien loin des souverains d'un royaume de papier.
Loin de ceux qui se prétendent dirigeant dans cette académie.
Loin de Ackerley, qui n'avait de prestige que l'étoile sur son veston.
Loin de Rhodes, qui ne faisait preuve d'élégance que par sa tenue vestimentaire.
Ava-Marshaid Higgins était d'une espèce différente, elle était de son espèce.
C'est pour cette raison que Noah Di Scipio se présentait humblement dans ses appartements, pour la féliciter en personne de ce que d'autres pouvaient considérer comme une promotion mais qu'il voyait, quant à lui, comme un juste retour des choses.

A l'inclinaison de sa tête, il répondait d'une main sur le cœur, témoigne à quel point il était plaisant de converser avec un être pourvu du raffinement nécessaire pour tout rapport social.
Déjà à son éloquence, il savait que le moment qu'il partagerait en sa compagnie serait agréable.
Noah observait la pièce — vraisemblablement bien plus spacieuse que la sienne — et affichait un sourire complaisant.
L'empereur prit place sur l'un des deux fauteuils, faisait confiance à son hôte pour lui apporter quelconque marque d'hospitalité sans qu'il n'ait besoin de réclamer quoi que ce soit.
Installait le plateau de jeu sur la table en bois.
Ava-Marshaid était une femme élégante et son mobilier témoignait de son raffinement.
Alors qu'il installait les pions sur l'échiquier, Noah prononçait finalement ses premiers mots depuis son arrivé.

« — C'est un véritable plaisir de converser avec une personne au fait du protocole et de l'hospitium. Aussi incroyable que ça puisse paraître, cette école censée rassembler l'élite n'a l'air habitée que par des rustres. Votre chaleur me permet d'éluder quelques instants cet amer constat. »

S'enfonçait dans le fauteuil, joignait ses mains pour laisser de nouveau son regard voyager dans la pièce.
C'était donc ça, ce à quoi aspirait les étudiants en quête de pouvoir ?
Selon ses standards, cela semblait plutôt médiocre.
A l'image des imposteurs, cela dit.
Sur les lèvres de l'empereur se dessinait un sourire narquois, presque taquin dans la manière dont sa voix chantait.

« — Triste débâcle au festival sportif, vous ne trouvez pas ? Encore une preuve que le pouvoir n'a aucun sens, sans maîtrise. »

❝ — les grands jeux des vainqueurs.

( 21.04 • au sommet, sur le plateau des rois )

Le sourire s'amuse d'un rien, tandis qu'elle tire d'un coffret en bois sombre deux tasses en porcelaine finement décorées – petites pièces d'un service à thé offert à son dix-septième anniversaire par l'une de ses tantes, persuadée qu'on ne pouvait se prétendre fille de bonne famille si l'on n'avait pas de quoi boire dignement ses infusions. elle ne buvait plus que dans ces petites merveilles de raffinement, savourant en secret ce petit plaisir coupable que c'était que de se sentir comme l'une de ces héroïnes de romans à l'eau de rose, occupées à bouquiner sous un plaid sur leur sofa, au coin du feu, en sirotant une boisson chaude sur fond de musique douce.
À défaut de plaques chauffantes qui lui permettraient d'entretenir un peu plus l'illusion dans une théière digne de ce nom, elle se contentait d'une bouilloire branchée à l'une des prises de la chambre — l'efficacité de l'appareil, au contraire de son élégance, avait le mérite de ne pas être remise en question.

▬ si les alices ne se manifestaient que dans les hautes sphères, le système ne serait certainement pas ce qu'il est.

les privilèges seraient déjà tous acquis ; les gamins embourgeoisés n'auraient pas à craindre l'inconfort des récalcitrants — au grenier, beaucoup d'enfants de rien, des gamins nés dans le mauvais lit et qui, pour cette erreur de couche, devraient payer toute leur vie de n'avoir pas le bon sang dans les veines.
la subtilité des luttes de classes, ava-marsaidh ne la saisit pas tout à fait — comme tous les rois, aveuglée par les idées fermes qu'on lui a inculquées, qu'un homme qui veut est un homme qui prend, que les autres n'ont pas grande volonté.
ne règne pas qui n'a pas le port qu'il faut pour tenir la couronne.

Les sachets disposés, l'eau fumante versée, les cuillères et les sucres posés dans les coupelles, ava-marsaidh dépose les deux tasses sur la table, prenant soin de les écarter du plateau de jeu, et donc de tout risque de l'abîmer.
lissant sa jupe, elle s'installe à son tour dans son fauteuil, observant les pions en fouillant sa mémoire à la recherche des souvenirs de ses dernières parties, et des règles les plus élémentaires.

c'est plus facile — plus facile de se concentrer sur les mathématiques absolues d'un jeu de plateau, plutôt que sur les mémoires d'une tragédie beaucoup trop récente encore pour qu'ava-marsaidh soit capable d'afficher le même sourire que l'héritier di scipio quand il en est fait mention.

▬ j'ai été profondément déconcertée, en apprenant ce qu'il s'était passé de votre côté. j'admets que je ne m'attendais pas à de tels débordements, de la part d'un élève major qui plus est.

si elle savait — mais elle ignore tout, comme tout le monde ; elle ignore jusqu'au fait qu'elle héberge en ce moment-même l'esprit malin qui a orchestré la déchéance de crawley comme on organise la pendaison d'un monarque.
pour elle, et c'est la version officielle, une mise en danger inconsidérée des étudiants, due aux flots d'émotions et au désordre ambiant. rien qu'une erreur de parcours — infiniment plus douloureuse qu'un bête écart sans heurts.
le drame, pour sûr, avait été mené d'une main de maître.

elle avise le plateau — les blancs pour elle, les noires pour lui. le trait d'esprit serait aisé — les commentaires ne seront pas faits. ce monde d'intentions qui les sépare tous les deux a déjà été évoqué ; ava-marsaidh porte en elle une bienveillance qui n'a d'égal que le goût de noah pour la toute-puissance au sommet.
premier pion saisi, d'une case avancée en direction des hostilités,
et le jeu peut commencer.

▬ je croyais que nous avions déjà atteint des sommets dans l'ordre des passions dévastatrices avec yi et hastings, et elle s'écorche en silence à prononcer ces noms — brièvement, sa nouvelle étoile à son col pèse plus lourd qu'elle ne croit pouvoir la porter. toutefois, plus rien ne m'étonne. le fruit ne tombe jamais bien loin de l'arbre, si vous voulez mon avis. tenant compte du fait que ces parents ont bravé l'éthique et les lois pour provoquer un tel désordre...

peut-on s'étonner des enfants belliqueux qui se révoltent à leur tour comme en écho ?

Les grands
jeux des vainqueurs.

noah & ava-marshaid

" And fearless minds climb soonest unto crowns "

Ava-Marshaid partageait elle aussi ses pensées, peignait sur une toile blanche.
Evidemment, se devait d'avoir un avis en ce qui concerne l'existence des alices et leur utilisation, elle y serait tôt ou tard confrontée elle aussi en raison de son statut politique.
Il n'était un mystère pour personne que le gouvernement intervenait dans les affaires de l'académie et qu'elle y serait, elle aussi, contraint un jour ou l'autre.
Les pions se déplaçaient sur l'échiquier et à mesure que la partie se déroulait, c'est en réalité un jeu de parole qui prenait place.
Noah cherchait à comprendre l'essence des paroles de sa comparse, d'en extraire chaque bribe d'information qui pourrait mener à une éventuelle alliance ou simplement des informations utiles.
Il en retirait déjà deux faits : qu'elle ne semblait pas se douter de son implication dans le drame et deuxièmement qu'elle n'approuvait nullement l'action des parents lors de l'intrusion.
Des pensées qu'il aurait pu partager, s'il n'était pas plus amusant de la confronter à une éventuelle opposition.

« — Bravé l'éthique et les lois ? Allons, vous savez bien que les lois sont ce qu'elles sont purement par intérêt, y associer l'éthique serait au mieux un trait d'humour, au pire de la naïveté. Ne trouvez-vous pas une forme de poésie dans un acte aussi désespéré ? Confronter un système aussi puissant avec rien d'autre que l'amour qu'on a pour ses enfants ? Moi, je trouverais presque ça respectable. »

Infusait le thé dans l'eau bouillante, agitait le cuillère à l'intérieur de la tasse.
Il reprit.

« — N'allez cependant pas assimiler mes propos à une quelconque envie de rébellion. Je suis comme tous les gardiens de zoo : j'aime les animaux surtout en cage. Je trouve simplement qu'il est plus excitant d'empêcher les bêtes de voir les barreaux de ladite cage, voyez ? »

Apportait la tasse à ses lèvres, trempait rapidement ces dernières dans le liquide pour en imbiber le bout.
Encore un peu trop chaud, il réfléchirait donc à son prochain coup le temps que le thé refroidisse un peu.
Déposait la tasse sur la table, en même temps que son regard sur elle.

« — J'aimerais par ailleurs revenir sur vos propos, concernant les major. Pensez-vous réellement qu'une simple étoile brodée sur un veston ait un quelconque poids lorsqu'il s'agit de prendre une décision importante ? Ce sont des marionnettes de cette académie. Ils pensent maîtriser un système dont ils ne connaissent finalement ni les rouages, ni l'ensemble des règles. Se satisfaire d'un pouvoir aussi factice est une preuve de faiblesse. »

Rompait le contact visuel.
Attrapait un sucre entre ses doigts, le trempe à la surface du liquide.

« — Parfois pour révéler leur véritable nature, ils ont juste besoin d'une petite... » pour finalement laisser tomber le sucre dans le thé. « Situation. »

L'Empereur révélait son regard vers son interlocutrice, brillant de malice.
Son sourire était doux, presque charmant, mais révélateur de ses nombreux démons.
La situation l'amusait et il ne s'en cachait même pas.
Noah portait son index vers sa langue pour lécher le thé qui s'était déposé dessus suite à l'immersion du sucre.

« — Alors à votre avis, ma très chère amie, lequel sera le prochain à se montrer sous son véritable visage ? Ackerley ? »

❝ — les grands jeux des vainqueurs.

( 21.04 • au sommet, sur le plateau des rois )

l’œil est distrait sur l'échiquier – les pions sur les carreaux les uns après les autres, détours calculés pour mettre l'adversaire en déroute. C'est mathématiques et elle y songe à peine, réalise qu'on ne perd rien, les jeux d'échecs gravés au cœur comme une métaphore de l'idée de régner. C'est comme ça qu'on lui a appris – à chaque pièce son rôle et elle, petite effrontée, aurait mis tous les rois en échec,
pour voir la dame seule au sommet.

elle esquisse un sourire malgré elle, un semblant de rictus au bord des lèvres quand il contredit ses discours et elle devine comme en filigrane l'objection réfléchie les idées à contre-sens pour discerner les contours de ses propres frontières,
on lui a appris à elle aussi – comment parler aux égaux, aux gens comme elle, demeurer floue sur ses vérités et regarder le monde se contredire, apprendre des autres leurs paradoxes pour mieux les bousculer.

gouverner en étant celle qui tient les cartes de toutes les informations glanées – et lui aussi, elle le devine, maîtrise l'art d'en dire peu pour laisser les autres parler trop.
elle s'est prise au jeu, ne peut que concéder – admirable.

▬ ce serait mentir que prétendre que je n'ai pas trouvé louable cette bataille désespérée, mais mon avis sur le sujet ne peut qu'être biaisé : j'ai toujours eu un goût fort prononcé pour les tragédies.

celles qui ne relèvent que du fictionnel, mais elle n'en dira rien ;
les histoires sur le papier fin de ses bouquins bien moins déchirants que les événements de samedi, qui l'ont laissée confuse et désemparée,
impuissante,
pour la deuxième fois en tout juste quelques mois.

et puis, doucement, le ton de noah se teinte d'autre chose – les intonations sonnent différemment, comme un rire sous-jacent qui ne s'exprime qu'en mots soigneusement alignés. ses doigts s'immobilisent au dessus du plateau, et elle manque quelques secondes d'attention – tout juste assez pour qu'il lui faille réfléchir de nouveau à l'emplacement de toutes les pièces avant de déplacer la sienne.

le long de son échine, un frisson glacé.

▬ noah... loin de moi l'idée de vous accuser de quelque méfait que ce soit, toutefois... vos propos me poussent à m'interroger.

elle baisse les yeux sur son thé, y fait tourner sa cuillère sans qu'elle ne vienne heurter les bords – l'apprentissage du silence depuis longtemps maîtrisé.
lorsqu'elle plonge de nouveau son regard dans celui de noah, ses prunelles céruléennes luisent d'un éclat tamisé – indéchiffrable.

▬ avez-vous joué le moindre des rôles dans la disgrâce d'elyas crawley ?

lentement, elle vient décrocher de son col l'étoile filante des nova, qu'elle dépose à coté de sa coupelle – sans jamais lâcher di scipio des yeux, l'accord tacite,
ce soir je ne serai pas une ennemie de vos audaces.