Tu avais lâché ton portable comme une furie, tu l'avais même balancé sur tes livres de cours encore éparpillés sur ton bureau. Tu avais enfilé tes chaussons, pris ta carte de chambre et t'étais éclipsé dans le couloir plus vite qu'un battement de cil. Ton ventre papillonnait, digérait la nouvelle d'une excitation pas ressentie depuis longtemps.
Tu vivais cette nouvelle, ou du moins l'attente de détails par procuration, sincèrement enjouée mais aussi troublée. Ce n'était ni la personne en elle-même, qui avait l'intérêt de rendre Juno heureuse, mais plus le fait que cela te rappelait que tu ne l'étais pas réellement.

Tu pousses la porte de la chambre de ta meilleure amie, d'abord figée les bras en l'air avec un sourire ouvert complètement en pause. L'expression ridicule et c'était fait pour.

— « Merde, j'ai oublié mes infusions ! »

Tu fais tout claquer et on t'entend courir dans le couloir, gueuler sur ton écureuil volant qui fout encore le bordel dans ta chambre. Quelle idée d'avoir adopté un animal aussi peu domestiqué aussi. "Roh mais LACHE CA !" Tes cris raisonnent à travers les murs de Juno.
La porte se claque de nouveau, et celle de Juno se rouvre dans un fracas.

— « Très bien. Je suis là. » Et Ameno est là aussi, perché sur l'épaule.
Tu poses le sac en tissu de feuilles de thé sur le bureau de Juno et t'approches de son lit pour t'y jeter la tête la première. L'écureuil s'envole et atterrit sur ta tête.

— « Je suis KO depuis samedi, j'arrive pas à récupérer. »

Tu te retournes en roulant, la chevelure de feu éparpillée sur les draps. Tu fixes le plafond, avant de lui donner un coup de coude.

— « Alors. C'est quoi le bail ? Comme d'habitude, je ne tolérerais pas que tu éludes les détails. Je veux tout savoir. »

Tu ne peux t'empêcher d'avoir une pensée pour Chandresh, le dernier en date. Tu l'appréciais Laë, mais c'était à Juno seule de décider avec qui elle se sentait le mieux. Même si cela se trouvait être Jason, et que c'était bizarre. Au moins, il n'avait maintenant plus le choix de réellement faire parti de la famille.

Ameno était parti embêter Jano sous les jupons de Juno. Tu avais fermé les yeux, après avoir essuyé un étourdissement à cause de la position dans laquelle tu te trouvais. Le parfum de Juno anesthésiait tes autres sens.

Tu l'écoutas parler, ne sachant pas vraiment comment te positionner au début. Tu attendais le dénouement de l'histoire pour en comprendre tous les sens cachés. Elle omettait des précisions, alors que tu lui avais spécifié que tu voulais tout savoir. Mais tu n'en tenais pas rigueur à ton amie, car à l'entendre tu comprenais que rechercher les détails constituait d'un enfer mélancolique ou tu n'avais pas envie de l'emmener.

— « Chandresh a perdu quelqu'un de précieux et d'inestimable, alors. »

Tu avais rouvert les yeux, le souffle un peu coupé. Tu appréciais Chandresh, et cela te faisait du mal de devoir gérer le fait qu'il avait peut-être brisé le coeur de Juno.
Elle continua.

— « T'es obligé de rien en fait Juno. Ni d'aimer, ni de parler de tes échecs à aimer. »

Tu te redressas sur les coudes pour la regarder, un peu sous le choc en comprenant de la personne dont elle parlait depuis le début. Jason ? Elle et Jason ?
Tu essayas de reprendre un peu tes esprits, et de situer dans quel univers cela avait pu se produire. Tu n'avais pas à t'inquiéter, faisant confiance à l'Alice de ton amie pour l'avertir des mauvaises fréquentations.

Tu l'avais dévisagé ensuite en fronçant les sourcils, essayant de deviner des potentiels sous-entendus cachés. Comme si elle ne t'avait pas tout dit.
Comme si tu devais interpréter.
Elle se sentait libre, et heureuse. La première partie (la majoritaire) de toi était éprise d'un bonheur et d'une bienveillance sans égale. La seconde, cloitré dans ton esprit, te murmurait à l'oreille que ça n'allait pas avec Anaël. Que libre, tu aimerais bien l'être mais ce n'était plus ton tour de ressentir l'extase d'un amour naissant. C'était le sien.

Tu étiras un sourire doux, te laissant retomber sur les draps.

— « J'aurai jamais parié sur Jason pour te rendre heureuse. » Un soupire s'échappa d'entre tes lèvres, soulagée. Tu le connaissais, il était gentil et droit. Il faisait surtout de son mieux. « Je suis contente pour toi. Pour vous ! »

Tes joues s'empourprèrent lorsqu'elle précisa le fameux détail. Celui que tu attendais peut-être depuis le début. Tu cachas ton visage dans tes mains.

— « Oh la la ! JE SUIS CHOQUEE. » Tu toussas. « Bon pas vraiment en fait mais je... QUOIIII ???? »

Tu n'avais rien dit lorsque Juno avait ricané. Peut-être avais-tu mal interprété un de ses silences précédents. Tu étais heureuse pour elle, indubitablement. C'était pour toi-même que tu ne pouvais t'empêcher d'être triste, malgré la loyauté sans faille que tu lui adressais, même dans tes émotions.
Tu t'étais figé sur place lorsqu'elle avait détourné le sujet pour t'y placer au centre. Ironique, quand on parle de solitude, ou bien tu embraserais la scène de ton unique présence.

— « Quoi ? »

Tes yeux avaient roulés jusqu'à elle sans pour autant la questionner. Tu avais capitulé dès la première seconde dans un sourire triste.

— « Ce n'était pas de moi qu'on parlait, mais de toi et Jason. »

Cela ne sonnait pas comme une accusation. Même si ton rictus s'était fané dans une grimace disgracieuse. Tu aurais préféré te noyer complètement dans le bonheur et l'allégresse que suscitait la nouvelle du couple de Juno plutôt que de ressasser sur la tienne.

— « Bof. On se parle de moins en moins et me voir ne semble plus être sa priorité. On partage pas grand chose en ce moment, il y a une distance qui s'est installée. C'est peut-être juste une phase, je sais pas. »

Tu n'avais même pas sangloté. Et c'était pas l'envie pressante bloquée dans la gorge qui t'avait manqué, pourtant.

— « Je crois qu'il veut casser avec moi mais ne s'est pas trop comment s'y prendre. C'est pesant, parce que je l'aime. »

Tu avais trop parlé.

— « Tu vois... on parlait de trucs positifs et ça tourne direct autour de moi. Laisse-moi me réjouir pour toi Juno s'il te plait. Sincèrement. J'en ai envie. »