Si je devais un jour poser des mots sur cette histoire, alors je la commencerai sûrement ainsi : Tout être vivant pourvu d’intelligence et de sensibilité veut, au plus profond de lui-même, contrôler le monde dans lequel il évolue. Et c'est là la réaction la plus banale, car un contrôle total sur son environnement lui accordera la sécurité nécessaire à sa survie.Unknow
Les gens ne naissent pas égaux.
Certains naissent beaux, d'autres laids. Certains naissent riches, d'autres pauvres. Certains naissent dans au monde en paix, d'autre dans un monde détruit.
On ne nait ni libre, ni égaux.
Naître, précisément, n'est pas un choix. C'est une chose qu'on nous inflige, une liberté prise par d'autres sans même penser aux conséquences, à nos propres désirs.
Si j'avais pu choisir, sûrement ne serais-je pas né.
Mais ces règles, ce n'est pas moi qui les faites. Elles aussi m'ont été imposées, abritrairement. Ces règles, alors, je les ferai mienne. Pour vivre cette vie que je n'ai pas voulu, je les plierai à mon bon vouloir.
Dans le miroir, on voit.
On observe le corps couvert de cicatrices. Des larges, des moins larges, des rougeoyantes, des douloureuses, des effacées.
Parfois, on s'inquiète, on veut connaître leurs histoires.
On veut les toucher, comme si le contact avec la peau déchirée pouvait révéler les secrets enfouis, comprendre le cœur.
Mais elles n'ont pas d'histoire, pas de gloire. Elles ne sont que les trophées d'or noir d'une stupidité passée, un avertissement.
Ne recommence pas.
C'est parce que j'avais promis, promis de veiller sur eux, promis de faire en sorte qu'il ne leur arrive rien. C'est parce qu'on avait fuit à trois en laissant derrière nous la famille, le pays, la guerre, et que personne d'autre ne pouvait les défendre.
Alors j'ai couru, pour arrêter les balles, les explosions, les immeubles. Parce que rien ne devait leur arriver.
Le politicien Al-Azem et sa femme portés disparus.C'est ce qu'on entend partout.
On couvre les oreilles des mains et on avance. Il faut oublier tout ça.
Les cheveux poussent.
Ils s'allongent au fil des jours et des frontières qui passent.
On veut savoir d'où vient l'accent qu'on entend parfois. Il vient de loin, là où le soleil et les bombes rechauffent les gens. On ne voulait pas connaître ça, nous non plus. On aurait bien choisit de vivre ailleurs, protégés de l'odeur de la poudre et du sang.
On rêve d'un avenir meilleur.
Pour moi, pour Maya, pour Issam.
Pourquoi est-ce qu'on ne le mériterait pas, après tout ?
On rejoint l'Europe, les hôpitaux. Ils pansent et ils soignent les blessures du corps mais celle du cœur sont ignorées.
On a traversé l'enfer alors, on mérite mieux.
Les paysages défilent à la vitesse de la lumière.
Tout le monde court et tout va vite. Parce que la mort les poursuit, peut-être ? Alors qu'à mes yeux elle semble si loin.
Al-Azem, il vous faut abandonner votre nom et vous ranger sous une nouvelle croix. Si on peut survivre alors, on abandonnera tout ce qu'il faut abandonner. Notre famille, notre pays, notre guerre, notre nom, notre dieu.
Pourvu qu'on puisse voir demain se lever.
Ils ont trouvés un nouveau papa, une nouvelle maman. Un nouveau ciel qui n'explosera pas. Un nouveau toit qui ne s'écoulera pas. Une vie qu'on ne nous enlevera pas.
Et rester pour les protéger, car c'est ma mission.
On observe les nuages par la fenêtre.
Peut-être que ce sont les mêmes qu'ils peuvent apercevoir de là-bas. L'été est là mais le pull reste épais. Est-ce qu'ils n'ont pas trop froid ? Rien n'est plus froid que l'Irlande, et les murs hauts de l'académie.
Alors sûrement ont-ils chaud.
Sûrement que papa et maman peuvent leur acheter de bons vêtements avec tout l'argent qu'ils recoivent.
J'espère chaque jour que Dieu fait, peu importe lequel, que ce sacrifice là ne sera pas vain non plus, et qu'ils pourront continuer à voir demain se lever.
Puisqu'ils sont hors de ma portée maintenant ((puisque je suis libre)), est-ce qu'il est enfin temps pour moi de
vivre ? Est-ce que je peux rêver de ne plus avoir à courir plus vite que la mort ?
Ai-je le droit ?
Est-ce que je le mérite ?
Genoux ployés et coudes enfoncés dans la couette.
Aujourd'hui Dieu, j'ai pêché. J'ai aimé avant le mariage et j'ose supposer que dans chacune des religions, c'est un pêché. Autrement, tout va pour le mieux, je trouverai autre chose à me faire pardonner demain.
Les vitrines défilent.
Les poches cliquettent.
Il faut se dépêcher de trouver quelque chose à envoyer, s'ils accèdent à ma demande cette fois. Ne pas rater cette année encore l'anniversaire de Maya. Un cadeau qui ne trahisse rien, qui lui laisse profiter en paix de cette vie libre loin des Alices.
Une lettre suffirait, comme toujours, mais les mots ne sont que des mots. Les mots peuvent mentir.
((est-ce que je recevrais une lettre pour mes dix-huits ans encore ?))
L'argent, qui soient en livre, en euro ou en rabbit, porte les sentiments. J'en suis convaincu.
C'est pour cette raison que Maya n'aura pas de cadeau pour la quatrième année consécutive. Car rien de ce qui est crée au sein de Central ne peut passer les portes.
Ni les peluches vivantes ni cette parenthèse qu'on m'accorde.
La nouvelle année commence bientôt.
Pour sûr qu'on verra demain se lever, loin des odeurs de fumée et des bâtiments en flamme.