« Gars c'était un de ces bordels. Après le relais, ils nous ont calé en bas des gradins. Enfin, tu m'as vu à la course !? Comment je fusais !! J'ai trop géré, j'étais possédée. Non mais attend, bref. Yavait une femme et en fait c'était une terroriste. Enfin je sais pas, ça c'est que le chef des NOVAs a dit - parce qu'il était là aussi, ce mec est ultra badant. Mais c'était pas une terroriste, c'était juste la mère d'une meuf. Et ya une élève bah elle a utilisé son Alice contre lui et elle s'est fait arrêté fissa aussi du coup. Mais par ses propres camarades... (elle répète, incertaine) Elle s'est fait arrêté par ses propres camarades. Ses propres potes. (Silence) Putain, c'est la jungle ici. Si t'avais vu ça Manu, yavait des gosses qui faisaient des malaises, des gens qui hurlaient. (Silence) Et moi au milieu comme une conne. (Silence, rire nerveux) Vraiment la jungle. »

Ils sont entrés dans la baraque miteuse par effraction, en défonçant une des portes, leurs baskets crissant sur le plâtre effrité des vieux murs. Nancy aime cet endroit fait de débris dont le toit est crevassé et les murs rongés de mousse : comme elle, ce lieu retourne à la végétation.
Sur le dos elle a enfilé un sweat sur lequel sont inscrits les mots « SEND NUDES » (un cadeau que Jones et Manolo avaient trouvé fort urbain de lui offrir pour ses dix-sept ans).

« Mec, c'est vraiment la gerbe cette école, je te jure. » A ses pieds, elle bute contre un gravas. D'un geste à peine conscient, elle le ramasse et le projette au travers d'une vitre. Le verre en est si aisément transpercé et dans sa rupture produit un fracas détestable. C'est aussi cela qu'elle apprécie dans cet endroit : l'idée que rien n'est immuable, que tout peut y être détérioré. « Manu t'imagines si tes darons avaient soudain débarqués ici ? Quelle grosse blague. »

Elle se tourne vers lui.
Le jour s'est infiltré dans la bâtisse en lignes géométriques rigides. Partout se fracture la lumière qui se percute aux débris, s’engloutit dans les crevasses béantes des murs fêlés. Dans le couloir qui en est à peine un, Manolo se tient droit, le visage scindé en deux par la lumière. Cela lui donne un air à la fois terrifiant mais aussi absurde et Nancy ne peut s'empêcher de rire de ce Manolo fantastique, découpé au couteau : une part illuminée, l'autre appartenant aux ombres.

« Tu veux pas qu'on se roule un truc ? »
Nancy fume rarement. Mais à circonstances exceptionnelles, banquets exceptionnels. En deux taffes elle serait sans doute à terre. Et pourvu, pense-t-elle, qu'elle ne se relève jamais.