J'avais beau être un monstre, il y avait une chose qui m'avait toujours fasciné : les animaux.

Dans leur pluralité et leur complexité, ils avait de quoi remplir mes journées de damné d'autant de découvertes que de joies. Bien entendu, j'abhorrais d'être dans la même pièce qu'eux, de peur de réduire ces magnifiques âmes à de vulgaires fruits séchés.

C'était sans doute pour cela que les cours de dissection met donnait la nausée, disons plus que d'habitude. Je tentais toujours d'être dispensé, justifiant que ce n'était pas très malin de donner soif à ma malédiction. Mais surtout cela me fendait le coeur de voir de si petites bêtes pétrifié par une mort irréversible. La petite révolution de Lou fut bien reçu de ma part, non sans garder ce visage irrité par l'existence.

Mais leur pullulation entre les paillasses me fit perdre tout sang-froid.

Déjà que je me tendais avec mes semblables dans la même pièce, imaginez la panique avec des dizaines de batraciens qui se risquaient à mal sauter. Paralysé, je m'étais figé par espoir d'éviter le drame. Ce fut sans doute pour cela que j'ai été choisi pour sacrifice.

La voix du professeur et encore dans la tétanie, je ne compris pas tout de suite. Il fallut son départ pour que mon esprit comprenne le piège.

"MAIS."

Était-il totalement inconscient de laisser le garçon qui peut transformé les vivants en paille avec la fille qui veut la libération des grenouilles. C'était la pire combinaison possible. Mais il fallait croire que cette école avait beaucoup à apprendre en gestion des risques. Mais yeux papillonnaient de droites à gauches pour repérer les ennemis . Je jetais froidement pour cacher ma panique:

"Rattrape les si tu veux pas qu'elle meurt dans d'horribles circonstances"

Ce n'était même pas une menace. J'étais à fleur de peau, le moindre contact - même à travers mes vêtements - serait fatale. L'effroi paralysait mon âme.

Non pas encore, je ne voulais pas encore blesser, tuer, anéantir une frêle existence.

Je suivais la scène avec effroi. Ces vies grouillaient sous mes yeux. Je retins mon souffle et laissa ma camarade aux cheveux bleus s’occupaient de la chasse. Je ne saisissais vraiment pas pourquoi elle n’avait pas voulu les remettre dans la même boîte qui était faite pour les transporter. Mais j’étais trop pétrifié pour prononcer le moindre mot.

EH MERDE ELLES S’ENFUYAIENT.

Un sursaut malgré moi, mais heureuse, Lou vola à mon secours en attrapant les fugitifs. Un instant, elle aurait pu lire la gratitude la plus pur dans mes yeux, mais je me rattrapai en une fraction de seconde. Sois fort, ne montre aucune forme de gentillesse. Sinon je serais capable de pleurer. Tant d’humanité en une seule personne. Les grenouilles méritaient une vie paisible dans un étang, entourée de leur famille et de tous ce qu’ils leur étaient cher. Un souhait qui ne se réaliserait jamais pour mon cadavre. Le sang était sur mes mains, les souvenirs amers étaient mes seuls compagnons d’infortune.

Mais sa chute me sortit de ses ruminations. Les yeux ronds, je la regardais se décomposer devant mois. Comment une adolescente si vive et rebelle finissait par pleurer en position fœtal et à demander à un inconnu hostile de l’aider à sauver les grenouilles qu’elles venaient d’attraper. C’était un sketch, où était la caméra ? Etait-ce un plan de Nadia pour prouver mon humanité ?

J’eus beau chercher, il ne semblait pas avoir de supercherie. La voir ainsi m’arrachait le cœur. Ses peurs faisaient écho à mon propre boulet que je devais me traîner. Mais je ne pouvais pas l’aider, c’était au-dessus de mes forces. Je n’étais pas un révolutionnaire même si je rêvais d’un meilleur futur que de finir sous les scalpels pour les batraciens. Je ne la connaissais pas et je devais en aucun cas tenté de comprendre. Quels que soient ses péchés il y avait probablement quelque chose à à sau  Mais malgré tout je n’arrivais à détourner le regard de cette pauvre âme.

« … Ce n’est pas mon problème ! »

J’avais crié sans m’en rendre compte. Mon cœur battant à tout rompre, j’avais peur de vomir tout le désespoir qui était en moi. Mais si fallait tenir.

«  Quand tu iras mieux fais ce que tu veux de ces effroyables créatures ! Tu peux crever j’en ai rien à faire. »

Implicitement, je venais de lui avouer que je ne l’empêcherai pas de s’échapper avec. Je me mis dos au mur raclant ma langue pour feindre l’agacement. Son état m’inquiétait mais l’aider signifierait qu’elle pourrait tenter de devenir mon amie. Pouvait-elle encore marcher au moins ?

Quelque fois, le monde n’avait vraiment pas envie de me laisser tranquille. J’avais un vœu cher dans mon cœur, des ronces qui entravaient mes désirs. Pour sauver les autres, je devais être seul. C’était une promesse pieuse, un exil volontaire devant les membres flétris sur ma route. Je n’avais aucun moyen de rendre ce que j’avais détruit, alors si un dieu pouvait entendre mes prières, peut-être lui seul pouvait me pardonner d’avoir ce sang de démon.

Mais j’avais du mal à ne pas être touché par la volonté de la fille océan. Même si ses larmes touchaient le sol, même si elle saignait et qu’elle avait du mal à marcher, elle avançait inexorablement.

Alors que mon âme n’avait jamais quitté cette journée où mon corps eu soif pour la première fois.

Je la suivais du regard dur, comme envouter par cette volonté inébranlable. Il me fallait garder cette distance, mais c’était plus fort que moi. Un mort qui enviait la vie, quelle douce ironie. Le pire était sans doute qu’elle réussit. De ce transfert, la lycéenne scella un nouveau destin pour ses batraciens.
Cependant, cela ne se finirait pas comme dans les films. L’héroïne ne serait pas applaudie pour son exploit. Au lieu de cela, on la traita de « Voleuse de vie » et elle finit par s’étaler à mes pieds, abandonné avec  comme seul témoin un monstre. Mon regard s’était perdu au bout du couloir, perdu devant la scène que je venais de  vivre. Sa joie ne devait pas atteindre mon cœur, le rejet serait encore plus compliqué si je me laissais devenir sentimental.

C’était un peu trop tard pour cela.

Une douleur de genoux, étrange. Une question qui dura un instant, voilà qu’elle me creva les tympans. Mon attention se posa sur elle, penchant légèrement la tête. Je tentais de comprendre ce qu’elle venait de me dire. C’était elle qui me blessait ? Le sang coula sur mon genou, que j’asséchais minutieusement pour arrêter l’hémorragie. Qu’imaginait-elle ? Que j’étais un innocent qui méritait qu’on le sauve de petites douleurs ? Cela se voyait sur ma tête que je n’étais pas quelqu’un de recommandable. Je me tenais la tête excédé par sa naïveté et gentillesse.

Son mal de tête était contagieux.

Et puis je réalisai. Une lumière apparaissait à l’horizon. Si ma vie n’était que pêché, si je la donnais pour qu’elle sauve quelqu’un d’autres, payerai-je ma dette ? C’était une pensée dangereuse, une couardise sans nom mais si alléchante. Mais ce n’était pas le moment de s’engouffrer dans des pensées stérile.

«  T’as le pouvoir de transférer ta douleur c'est ça? Ca va pas me tuer à moins que tu sois mourante. Calme-toi bordel!»

Simple constatation, et si elle paniquait, elle finirait par m’atteindre et je n’avais pas spécialement envie de revivre une tragédie. Je m’accroupis, en gardant toujours cette distance de sécurité. Même si je relâchais le contrôle l’air sec ne l’atteindrait pas. Je continuais mécaniquement

« Si c’est que pour me foutre des maux de têtes et des blessures, j’en ai l’habitude. Tu n’es pas la seule à avoir un don dangereux. J’ai pas envie d’être potes avec toi et normalement je t’aurais dit d’aller te faire foutre. Mais t’as réussi à sauver des vies. Aujourd’hui est une exception, alors calme toi et réjouis-toi que même si tu es un monstre, il y a de bonnes choses que tu peux faire.»

Je ne savais pas vraiment pourquoi je montrais autant d’espoir sur sa situation. Je ne pourrais jamais me pardonner mais la lycéenne avait peut-être encore la force de se sauver de son malheur.

A moins que ce soit le mal de tête qui me rendait émotionnel.