la plastique de rêve Ariel est une oeuvre d'art parmi les débris - t'en oublierais presque de t'exprimer quand il te parle, à dessiner mentalement ce tableau que beaucoup de gens t'envieraient
le blond et toi, au milieu de la bâtisse abandonnée

mais il te parle,
et c'est là tout le problème.
tu t'es approché du beau pour le business une liste longue comme toi de clients qui te suppliaient de leur dire qu'Ariel et eux, c'était pour la vie, dis Siobhan, dis, que mon fil mène à lui
et tu les as tous envoyés paître au début, parce que non, beau gosse n'a pas de fil, oui c'est terrible, et évidemment, que tu compatis mais ça ne suffit pas pour ces gens en quête d'amour alors par peur de perdre trop de clientèle tu l'approches un soir et lui proposes un partenariat -
à ce moment-là, sûrement, tu aurais dû te douter que ça allait mal se passer

non pas qu'il ne respecte pas sa part du marché, Ariel fidélise la clientèle plus efficacement que tu ne l'aurais espéré mais le souci c'est lui
et son Alice maudit
trop efficace et t'as une pensée pour toutes ces âmes qui se font faites berner, ravie de ne pas être du côté des victimes
(pour
l ' i n s t a n t)
Ariel est chiant, et tu ne vois pas comment le dire autrement. un amour parfois, serviable - et Siobhan reconnaît ce cri qu'on appelle le besoin d'affection - mais c h i a n t.

et tu le regardes, l’œil droit qui tique, alors qu'encore une fois il n'attend même pas de savoir ce que tu penses toi
ô égocentrique roi
murmures entre tes dents serrées
— laisser.. les gens.. parler...

puis fait volte-face pour observer le décor plutôt, avec le sourire, laisser s'échapper l'agacement par chacune des fenêtres brisées - reste calme, Siobhan

— Je pense que c'est une super idée. Ambiance délabrée, l'endroit parfait pour briser les coeurs des amoureux désespérés. Par-fait.

et t'en rirais parce que lui aura son besoin d'amour satisfait mais les autres les inconscients qui vont se frotter à l'être insupportable derrière toi ?
leurs coeurs brisés une ode à ta prospérité.

et tu le vois au fond de ses jolis yeux bleus qu'on a parfois peur de regarder par crainte d'y tomber - Ariel y croit, aux contes de fée que vous monnayez
tu préfères ne pas relever, parce que tu vois la fragilité autour le garçon qui menace de s'effondrer s'il n'a pas au moins ça pour s'y accrocher ; on ignore la conscience qui te dit que ça va finir par le blesser
tant pis
on laisse la pluie aux autres, t'y tiens à ton ciel dégagé de toute anxiété

— Non, j'suis sérieuse, ici c'est très bien. Vu comme on est fliqué partout, c'le seul endroit où je peux espérer ne pas avoir de profs sur le dos.

tu claques la langue, de ces profs qui te sermonnent « se faire de l'argent sur le dos des gens on a pas idée » et tu répondrais volontiers que t'en as rien à branler mais on n'entretient pas l'image d'élève modèle avec des injures et du manque de respect
donc tu prends sur toi Siobhan, en t'assurant que tout se fait à l'abri des regards indiscrets et que tes clients ont la langue bien rangée

— Tu m'écoutes ?

ça te sort de ta tirade intérieure parce que soudainement, t'as bien envie de parler d'un sujet qui fâche depuis quelques temps - t'as essayé de te raisonner, te dire que ça ne te concerne pas donc que tu ne dois pas t'en mêler
puis il y a le côté romantique qui est venu hurler à tes oreilles jusqu'à hanter tes nuits, que ça suffit
les conneries

alors tu lui fais face à nouveau et tu t'approches de lui, viens saisir sa main sans tendresse - tu cherches quelque chose, le fil rouge au petit doigt et tu le vois, qui ne mène pas là où il le doit - petit fil qui se mêle aux débris sous vos pieds, traverse la vitre et tend quelque part ailleurs
où exactement, tu ne sais pas,
mais

— Parfois seulement, non ? Tu m'as écouté quand je t'ai parlé de Theodora, Ariel ?

et le ton se fait beaucoup plus froid qu'à l'accoutumée car quand bien même le beau t'exaspère, il y a toujours cette tendresse au fond de la voix parce qu'on l'apprécie, malgré ses impairs
en revanche

ça

on ne pardonne pas
l'amour, ça ne se négocie pas, ça ne se simule pas, pas chez toi, pas chez la petite fille qui a grandi emmêlée dans les fils du destin.

tu ne leurrais personne de toute façon - ce n'est pas parce que tu passes ta vie à jouer avec le fil des autres que tu ne vois pas l'humain derrière
que tu ne vois pas Ariel qui s'affaisse lentement d'une promesse sûrement qui ne les concerne qu'eux, un accord tacite pour avoir le droit d'être un peu heureux

mais ça t'énerve de voir cette mascarade de deux gens que malgré toi, tu apprécies car on croit tout savoir Siobhan
et à vouloir duper l'amour,
ça ne peut que finir mal
bourrée de certitudes de toute ta petite taille, tu chasses la main et affrontes son regard céruléen

— Ca m'impacte forcément, couillon.

on ne choisit pas de voir vos fils partir ailleurs le mensonge de vos cœurs - on ne choisit pas d'en avoir un qui se meurt en spectatrice de cette fausse idylle on ne choisit pas
Ariel
mais on choisit de se battre pour vous
(quand bien même c'est égoïste de sa part
venir bousculer votre semblant de sérénité)
parce qu'on pourrait ne rien dire, se retirer par respect pour l'homme devant elle mais il y a la justice mal placée qui s'agace et parle pour elle, Siobhan hausse la voix -

— Parce que de un, ça impacte mes ventes et t'acceptes ce deal alors que Theodora ne le sait sûrement pas.
(et on prétend en avoir quelque chose à faire
alors que c'est toi qui lui a proposé
ce marché en connaissant la vérité)
— Et de deux.

tu te mords la lèvre ça ne va pas sortir comme tu le désires - souvenirs des « t'es moche » à maman alors que vraiment, on pense juste « je m'inquiète ok » de la savoir mentir à celui qui a été autrefois son âme sœur, le retenir au travers de maigres artifices
on est loin de la belle histoire d'amour dans laquelle elle s'est épanouie et c'est peut-être pour ça qu'on cherche le bonheur des autres à tout prix,
rétablir un équilibre quelque part à défaut de pouvoir le faire dans sa famille

— C'est pas ça que... Putain t'es archi con.

ça ne sort pas Siobhan ne trouve pas les mots sûrement qu'on a pas la gentillesse nécessaire alors

— Vous allez vous rendre malheureux. Theodora mérite mieux.

tu le regardes dans les yeux.

— Et toi aussi.
(même si t'es chaotique
lourd
collant
chiant
doux
tu mérites mieux
vous méritez
d'être heureux.)

c'est les sourcils qui s'arquent en demi-cercle et la bouche que tu n'arrives pas à refermer quoi ? qui s'échappe, spontané, il va la quitter ?
ce que tu voulais, évidemment
mais ça paraît soudainement trop réel venant d'Ariel, alors le doute s'immisce est-on vraiment en position de critiquer est-on vraiment en position de répondre un simple « tu fais bien »
et tu n'as pas envie d'y réfléchir alors tu le laisses te caresser la tête, insultée qu'il profite ainsi de ta petite taille mais tu lui concèdes bien ça, toi qui empiète sur sa vie privée ;

—J'ai toujours su que mon Alice aurait dû être la persuasion.
(histoire d'être la première persuadée par ce que tu racontes
car tu n'en es pas du tout convaincue, Siobhan, tu doutes énormément malgré l'air intransigeant tu ne sais pas aujourd'hui si la bonne voie à suivre était la tienne ou celle de maman
si elle n'avait pas raison d'avoir voulu au moins essayer
et pire, d'y être arrivé
comme l'attestent les lettres, à deux, signées)
— T'inquiète pas, va, mes ventes y survivront.

non Ariel ne parlait pas de ça non il n'est pas comme toi qui pense au business avant les gens, mais
tu fais semblant que c'est de ça dont il s'agit, bien incapable de répondre autrement à cette phrase lourde de sens - bien incapable d'avouer sincèrement que c'est trop tard pour ça, il fallait te le dire avant votre amitié sûrement, alors seulement tu aurais fait la part des choses ; avec Ariel et Theodora, on n'y arrive pas.

— Bref, cet endroit est parfait pour le business ! Avec un peu de chances, j'vais même y rencontrer mon âme soeur.

changer de sujet, ça au moins, ne nécessite pas ton honnêteté ; tu t'éloignes de lui avec des petits pas sur le côté, histoire de retourner fouiller les recoins de la salle où vous vous trouvez ; prétendre que ce morceau de mousse est suffisamment passionnant pour ne pas avoir à reparler de ce qui a été précédemment abordé
sa fuite
la tienne
votre amitié
en équilibre sur un maigre fil.

sourde oreille à la remarque désobligeante, mais d'une justesse qui t'étire un léger sourire ; tu lui dois bien ça, à ta diva, qui, tu l'espères, a conscience d'être mille fois pire que toi dans ce domaine-là –
puis il pique, précis, de son exubérance qui lui sied si bien, et ne laisse pas passer cette tentative de détourner l'attention.  
– Objectivement, tu dois reconnaître qu'elle a son charme.
(et toi aussi
c'est bien là le souci
et l'hypocrisie, toujours, qui toque à la conscience de Siobhan,
de t'avoir choisi)

un instant de répit – les mots, puis le rire, ça sonne faux ô combien faux que tu ne peux t'empêcher de faire volte-face et l'observer ;
– Alors, de un, cent-cinquante sept centimètres, malotru. Je suis cent-cinquante sept centimètres de douceur et bénédiction, ok ?
à ton tour de rire faux – qui y croirait, jolie Siobhan que ses parents, désespérés, ont balancé à l'académie histoire d'en apaiser les excès. sans regrets de ta part, et énormément de la leur à en juger la quantité de lettres qui siègent à ton chevet – qui y croirait, quand tu t'évertues à tourmenter des pauvres élèves en mal d'amour ou de popularité ;
mais l'heure n'est pas à la dépréciation car dans les yeux du blond, une chose retient ton attention :
– De deux, c'est quoi le souci ? T'aurais préféré que je m'énerve ?
car de nature calme, tu connais pourtant les orages aussi – ceux qui ravagent toutes tes théories sur les bienfaits de l'acalmie, qui te font regretter quoique tu aies pu dire parce que trop sincère nécessairement et tu n'en veux plus
de cette sincérité
on les laisse aux fleurs par exemple, qui s'en iront fâner, pensées avec, on range au fond de soi les remarques qui soulèvent les tempêtes –
– Que j'te dise que c'est bien trop tard pour que tu ne m'impactes pas ? Vous avez quoi dans la cervelle, Theodora et toi, à croire que je suis au dessus de tout ça ?

ou est-ce
la continuité parfaite de tes mensonges, Siobhan, petite à l'air détachée, on fait du business sans se soucier des gens qu'on laisse penauds des échecs répétés ;
tu baisses les bras en signe de reddition, agacée d'avoir cédé à la provocation – et désireuse d'apaiser les tempêtes qui s'amoncellent derrière les sourires célestes du bel Ariel.

(il n’est pas très juste, en réalité, que sa colère étouffe la tienne,
pas vrai ?)
– Ce n’est pas –
ça le problème ça que tu voulais dire ça qu’on essaye de communiquer mais l’éloquence a décidé, aujourd’hui, de prendre congé ;
– C’est juste…

et
ça
te
frustre qu’aucun mot ne veuille t’aider – à croire que seul dans le mensonge tu arrives à t’exprimer ça te t u e de voir la tempête qui meurt derrière ses prunelles parce qu’on a envie qu’Ariel s’énerve, qu’il te dise combien ça ne te regarde pas et que tous deux savent ce qu’ils font ;
sauf que non.
Theodora comme lui ne savent pas ce qu’ils font et tu ne sais pas ce que tu fais à tendre les bras pour les attraper et les raisonner – qui tu es pour oser venir chambouler leur semblant de sérénité ;

– Tout ce que je veux, c’est que ça aille mieux pour vous.
c’est ça
qu’on a du mal à exprimer
car bien sûr, il y a l’attachement à l’amour sincère digne de contes de fée mais il y a surtout l’envie, maladroite, de vous aider ; c’est h y p o c r i t e
– Merde, arrête de –
(de quoi
être trop toi ?)
– T’as le droit de t’énerver et me dire que j’devrais me mêler de mes oignons ok ? T’as le droit de me dire que j’suis qu’une sale hypocrite, parce que c’moi qui te propose ce business en sachant pertinemment que t’es en couple.

dès lors que tu es celle s’étant énervée, c’est sans surprise que tu vois sa silhouette franchir les pas qui vous séparent pour te serrer contre lui – avec cette douceur qu’est la sienne, cette volonté de bien faire toujours
mieux faire –
et tu n’as pas l’envie ni le courage de t’énerver plus alors c’est sans gêne que tes doigts viennent saisir l’uniforme – le froisser – et ramener Ariel contre toi ; avec plus de poigne que lui n’osera jamais et plus de poigne qu’il n’en faut en réalité, Siobhan, encore dans les excès.
— Tu m’saoules.
d’être aussi gentil et aussi juste – tu n’aimes pas l’admettre mais il a raison ;
ce n’est pas à lui de subir cet élan de dépréciation pas le moment pour s’épancher sur pauvre Ariel
qui n’est là que pour t’aider.
tu le libères alors de ton étreinte et attrapes sa main pour jouer avec – suivre du regard le fil qui mène nulle part et de tes doigts, en tracer le contour sur son petit doigt – geste mécanique lorsque tu réfléchis, le contact physique t’apaise bien étrangement.
— Je voulais recruter Theodora aussi, au pire, je peux toujours essayer de la convaincre de mon côté.
elle et la colère qui lui sied si bien aux traits – oh, on a pas idée, Siobhan,
on a pas idée


du bordel dans lequel tu fous les pieds.