when i'm fucked up that's the real me

Le système de rang de l'académie fonctionnait simplement.
Il était pyramidal, le nombre d'étoiles brodés sur l'uniforme désignait notre place dans la chaîne alimentaire.
Si Jason s'était bien accommodé de ce système afin de s'octroyer une certaine autorité malgré sa personnalité pour le moins particulière (ça veut dire qu'il est cheum), ce n'était pas le cas pour tout le monde.
Eulalie en est le parfait exemple, fière représentante ― l'était-elle vraiment ? ― des sans-étoiles, elle démontrait à elle seule que l'on pouvait échouer et se relever autant de fois qu'on en avait la motivation.
Presque devenue experte dans l'échec, ayant réussi l'exploit de se faire expulser de la classe danger aussi vite qu'elle l'avait intégrée, Jason avait éveillé un intérêt tout particulier pour son alice d'annulation.
Alice pour lequel elle s'était d'ailleurs fait expulsée de la classe rouge.

Mais ce n'est pas tout : elle cumulait aussi à elle seule le plus grand nombres de tentatives d'évasion de l'école.
Autant dire que pour un membre de la section NOVA, Eulalie était comme un gros gâteau au chocolat pour qui souhaitait gaver un peu plus son quota.
Jason en avait cruellement besoin pour prétendre au rang de major et c'est pour cette raison qu'il l'avait prit en filature lorsqu'il l’aperçu avec une ECHELLE ?
Interloqué, l'étudiant au masque se demandait bien ce qu'elle pouvait espérer avec cette échelle.
Était-ce là son seul plan ?
Remarque qu'elle devait avoir suffisamment échoué pour ne prendre que très peu à cœur une nouvelle chute.

Elle avait contourné la forêt, jusqu'ici tout était relativement logique.
Lorsqu'elle parvenait finalement tout en haut de son échelle, observant l'horizon, Jason décida d'intervenir pour mettre fin à cette mascarade.
Pas sûr qu'elle soit capable de traverser le dôme malgré son alice d'annulation, mais pas sûr non plus d'avoir envie de prendre ce risque.
Eulalie descendait de son échelle, déjà résignée à recevoir sa punition.
La jeune femme lui facilitait la tâche et pour cela, il lui en était reconnaissant.
Jason sortait de sa poche son calepin et une banane, qu'il lui tendait.
Manger des fruits c'est très important, après tout.
Et Jason se devait d'être un exemple pour ces garnements sans étoile.

― Préfère quoi ? Vaisselle ou ferme ?

Après tout, elle devait déjà connaitre tout le panel d'option punitives qu'offrait l'académie.
Elle avait gagné le droit de choisir, au moins.
Et une banane, en plus.
Ingérez du potassium.

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Eulalie ne lui opposait donc aucune résistance, acceptait sa punition avec un sourire d'une douceur qu'il n'aurait pas cru recevoir.
Peut-être que les autres membres de la section NOVA avaient tendance à se montrer plus virulent avec elle, lorsqu'il s'agissait de la punir ?
Après tout, pourquoi se priver de l'occasion pour asseoir son autorité, vu tout ce qu'elle avait déjà traversé.
Mais Jason n'était pas quelqu'un d'injuste et ne prenait aucun plaisir à dominer qui que ce soit, ce n'était simplement pas dans sa nature.
Peut-être son désintérêt naturel pour toute chose l'avait sauvé de cela, d'ailleurs.
Il faut bien un aspect agréable à toute chose.

Elle voulait donc purger sa punition à la ferme ?
Eh bien, c'est donc la ferme qu'elle aura.
Afin d'officialiser tout ceci, comme il avait l'habitude de le faire, il notait l'heure et l'endroit de la punition ainsi que la sentence appliquée.
Une fois la page de son calepin remplit, il l'arrachait pour s'approcher d'elle et lui déposer dans la main.
En même temps que le fruit qu'il lui avait tendu précédemment et qu'elle n'avait pas daignée prendre.

― Fruit. Mange. Echelle lourde.

Jason se montrait insistant car chacun devait prendre garde à son alimentation.
C'est un peu comme cela qu'il visualisait son rôle de NOVA : celui de quelqu'un capable de tirer les autres vers le haut, plutôt que d'écraser qui que ce soit pour atteindre son objectif.
C'était peut-être ça la raison pour laquelle il avait encore du mal à atteindre les quota réclamés par l'académie.
Face à la douceur des paroles de la demoiselle, Jason ne savait trop comment réagir.
Une bonne aura ?
Ce n'est pourtant pas ce qu'il ressortait des dires des différents étudiants.
On l'assimilait plus à quelqu'un de sinistre, austère.
Un véritable danger.
Vraisemblablement un peu décontenancé, il s'écartait pour s'adosser à un arbre, feuilletant les pages de son calepin.

― Fuir tout le monde. Mieux.

Mais Eulalie lui faisait une proposition intrigante.
Que pouvait-elle vouloir dire par "lui rendre la pareille" ?
Pouvait-elle insinué qu'elle accepterait d'annuler son alice l'espace de quelques instants ?
Il était pourtant peu enclin à cela, étant donner le danger que cela pouvait représenter.
Toutefois, cela ne l'empêchait pas de demander à ce qu'elle développe son offre.

― Explique ?

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La demoiselle en face de lui était la représentation de quelque chose qu'il avait toujours admiré.
Elle aussi faisait parti des outsiders, même si elle ne portait pas le poids de sa peine sous la forme d'un masque.
Elle n'avait pas besoin de sceller ses lèvres, elle pouvait exprimer sa peine et pourtant elle avait la force de la dissimuler.
Comme si ses lèvres n'existaient que pour offrir ses sourires et des paroles apaisantes.
Eulalie se relevait toujours, chevalière immortelle d'une croisade.
Le pire, c'est qu'elle pourrait même remporter la victoire.

Jason était bien plus lâche qu'elle.
Il avait décidé d'utiliser son chagrin comme prétexte à son égoïsme.
Intégré une brigade aussi élitiste qu'injuste, tout ça pour obtenir des privilèges.
Profitait de son mutisme pour justifier son indifférence.
Et pourtant dans ce système tordu, c'était lui qui distribuait la punition.
Elle qui était en tort.
S'il n'avait pas sa force de caractère, il dominait par les étoiles.
Le monde avait toujours été aussi cruel, mais c'est face à Eulalie qu'il était le plus frappant.

Mais elle ne lui offrait que compassion, lui racontait son histoire.
Eulalie était cette prisonnière qui rassurait son bourreau.
Car elle faisait foncièrement passer sa vie après celle des autres.
Sainte abnégation auquel le cœur de Jason ne pouvait répondre autrement que par un silence coupable.
Jamais il ne serait capable d'offrir ce genre d'abnégation, créature unidimensionnelle.
L'ange s'intéressait au masque du corbeau.
Elle chassait les ombres à l'aide de sa bienveillance et ce n'est pas par mutisme qu'il manquait de répondre, existait juste dans son regard une lueur d'étonnement.
Comment pouvait-elle s'intéresser à sa peine aussi rapidement ?
Et elle lui proposait.
D'annuler son alice.
Soulager le poids sur les épaules, même si ce n'est que l'espace de quelques secondes.
Même si elle risquait de se mettre en danger, si son alice venait à être trop puissant pour elle.

Profondément ému, le corbeau se devait cependant de refuser.
Il déposait sa main contre son masque et détournait le visage.

― Trop dangereux. Mon fardeau. Pas le tien.

Peut-être était-ce à cause de son influence.
Cette bienveillance qui l'avait gagné en seulement quelques phrases.
Que de eux deux, c'est bien son aura à elle qui pouvait apaiser les esprits.
En tout cas, la seule chose qui lui venait à l'esprit, c'était ceci.

― NOVA. Je protège. Toi et les autres élèves.

Car c'est ainsi qu'il visualisait son rôle.
Amoureux de justice autant qu'il l'était de lui-même.

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« Je n'ai absolument pas peur de ton alice. »
Le pensait-elle vraiment ou était-ce là une manière détournée d'obtenir ce qu'elle voulait ?
Bien sûr qu'elle mentait.
Mais elle avait la délicatesse de lui faire croire le contraire.
Jason ne pouvait s'imaginer autrement que comme une arme froide à la botte des pontes de l'académie et cela lui convenait tout à fait.
Il n'attendait de l'école rien de plus.
Il n'attendait de sa vie rien de plus.

Eulalie approchait ses mains, rencontrait l'arrière de son crâne pour détacher avec douceur ses entraves.
Pourquoi sa "libération" lui semblait pourtant si lourde ?
Jason ne savait comment réagir, complètement tétanisé devant la proposition insensée de la femme à la chevelure dorée.
Si elle pouvait réellement mettre fin à son calvaire, pourquoi n'avait-il que des ressentis négatif pour ce qu'il allait découvrir ?
Pourtant, actuellement, il n'avait pas peur de la faire souffrir.
Le masque chutait et l'air frais pénétrait ses narines.
Perplexe, il ne savait s'il pouvait vraiment se permettre de lui faire confiance.

L'étudiant anciennement corbeau entrouvrait la bouche et laissait sortir un raclement de gorge.
Ce dernier ne provoquait aucune réaction.
Aucune destruction.
L'espace de quelques secondes, Jason n'avait plus rien d'une arme.
Ni d'un monstre.
Un humain lambda.
Alors pourquoi te sentais-tu le cœur aussi lourd, Jason ?
De sa bouche s’échappait des mots dont la sonorité n'était pas altérée par son masque.
Sa voix était douce mais emprunt d'une infinie tristesse.
Une sincérité plus criante qu'avant encore.

― Arrête.

Son regard s'humidifiait et malgré son visage toujours inexpressif, des larmes dévalaient ses joues.

― Je ne veux pas de ton espoir, Eulalie.

Parce que ça lui ferait trop mal, de revenir à son calvaire.
De revenir à son masque.
De devoir oublier jusqu'au son de sa voix une nouvelle fois.
Car Jason venait de goûter au fruit interdit.
Il venait de se baigner dans la lumière pendant un instant, dans sa chaleur.
Et il lui faudrait retourner aux ténèbres, aux ombres, au froid.
Là était le plus cruel châtiment.

Mais il ne se débattait pas, n'allait même pas chercher le masque lui-même.
Parce qu'il l'aimait, cette lumière.
Ne voulait pas retourner à l'obscurité.
Ne voulait pas retourner à ses mensonges.
Les barrières qu'il avait fabriqué pour accepter sa condition, comme une fatalité.
Mais il le fallait.
Jamais le corbeau ne deviendrait colombe.

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Eulalie se rendait à peine compte du nouveau châtiment qu'elle venait de lui imposer.
Peut-être avait-elle sous-estimé les tourments du corbeau par rapport à son alice ?
Elle le prenait dans ses bras et la panique renversait la table de jeu.
Les règles changeait et elle l'affublait d'un pouvoir nouveau, qu'il n'avait jamais désiré.
Jason n'appréciait pas le contact physique, encore moins lorsqu'il se trouvait dans un état sentimental aussi sensible que celui dans lequel il était présentement plongé.
L'étudiant repoussait Eulalie, les bras contre ses épaules.
Il sentait bien, que quelque chose avait changé en lui.
Dans sa gorge.
Le mal était revenu, plus puissant que jamais.
Sous l'amplification causée par Eulalie.
Mais sous l'intensité du moment, il se laissait emballer à prononcer quelques mots.
Dévastateur.

― Lâche m-

Alors même qu'il eut prononcé le premier mot, une puissance onde sonore s'échappait en direction de Eulalie, à qui il avait adressé ce début de phrase.
L'onde qui n'aurait normalement provoqué chez elle qu'un tremblement désagréable et une oreille qui siffle la projetait en arrière.
Rapidement, Jason remontait ses mains au niveau de son visage pour dissimuler sa bouche.
Son regard paniqué à la recherche du masque.
Il s'en saisit rapidement pour l'attacher et sceller de nouveau son alice destructeur.

Le NOVA s'empressait de rejoindre la jeune fille, expédiée quelques mètres plus loin par l'onde sonore.
Jason n'osait toucher son corps, ne sachant les dégâts qu'il avait pu provoquer.
Ce genre d'accident n'arrivait plus depuis plusieurs années, depuis qu'il se montrait aussi intransigeant à ne jamais ôter le masque de son visage.
Mais aujourd'hui il s'était laissé tenté, laissé aller à l'espoir.
En voilà le résultat.

Il s'agenouillait à ses côtés, laissait ses vêtements traîner dans la poussière.
Le regard apeuré, il recherchait chez elle une réaction pour s'assurer qu'il n'avait commis aucun acte irréparable.

― Eulalie ? Réponds moi ! Je suis désolé, pardonne moi. Pardonne moi.

Peut-être aurait-il mieux valu pour eux deux qu'ils ne se rencontrent jamais.
Ou alors pas comme ça.

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Jason observait le visage d'Eulalie à la recherche d'une éventuelle séquelle.
Si le choc avait été brutal, peut-être avait-elle eu la chance d'en réduire l'impact à l'aide de son annulation, il ne savait vraisemblablement pas comment son alice fonctionnait après tout.
La chance semblait sourire au milieu de tout ce chaos.
Elle étirait ses lèvres dans un sourire douloureux, sourire auquel il ne sut répondre.
Un peu moins paniqué, le corbeau reprit son calme habituel et son regard inexpressif, non sans avoir témoigné de son soulagement par un long soupire.
Il se laissait tomber sur les fesses, épuisé par l'action.

Même dans ce moment, elle essayait d'être rassurante, lui tendait la main.
Conscient qu'elle ne devait pas se lever tout de suite et ayant déjà eu bien trop de contact physique avec elle pour aujourd'hui, il écartait sa main pour s'éloigner un instant.
S'il n'avait nullement l'habitude d'utiliser son alice, il lui semblait évident qu'elle ne pouvait sans sortir sans un os brisé ou deux.
Songeait à appeler l'infirmerie pour finalement se résigner.
Il aurait pu faire passer cet affaire sur le compte de sa tentative d'évasion mais si c'était le cas, elle risquait de repartir une semaine en isolement.

― Je suis désolé, je ne peux pas prévenir tout de suite l'infirmerie. Tu risquerais une sanction plus sévère que la ferme, s'ils apprenaient pour ta tentative d'évasion. Il vaut mieux... Attendre. Un peu.

Les mots sortaient de sa bouche avec fluidité, pourquoi s'encombrer de phrases courtes alors que le mal avait déjà été fait.

― Reste allongée un instant. Pour les tympans, ça devrait finir par passer.

Le silence était pesant et il ne voulait pas laisser la culpabilité s'installer.
Alors il enchaînait les phrases, les questions, pour la garder consciente.

― Pourquoi est-ce que tu cherches tant que ça à t'enfuir d'ici, Eulalie ? Ta famille te manque ?

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