Y a des habitudes, comme ça, qui ont du bon. Les prank sous les tables à passer le visage dans les révisions des gens avant de fuir à l’étage d’en dessous, la petite marche digestive après manger, le crapahutage sur les toits et sous les étoiles, ces rendez-vous quotidiens, les seuls qu’on tolère, en vrai. Parce que le train-train ça n’a jamais été ce qu’on recherchait, tourner en rond ça a toujours été ce qu’on craignait. On aurait pu penser que de l’académie on en aurait vite fait le tour, que la cour de recrée serait devenue rapidement prison, seulement ça n’avait pas été le cas. L’académie était un vaste parc d’attraction, un monde à part, un micro-état avec ses règles qui nous arrangeait bien. Logé, nourrit, avec le luxe de se laisser aller à toutes les diableries possibles, à laisser le hasard guider sa journée sans jamais être inquiété de finir à la rue ou de crever de faim sur le bord de la route. Le rêve. On sait que ça ne se passera pas comme ça quand on sera de l’autre côté des grilles, plus le temps passe, moins l’extérieur fait envie.

Parmi toutes les bonnes habitudes qu’on a prises, y a une en particulier qu’on attend plus que les autres. Coup d’œil sur le sain téléphone, c’est presque l’heure. Le sourire déchire les traits, l’excitation monte, un petit raclement de gorge, on va pouvoir reprendre nos combats de titans là où on les a laissés.

Pas besoin de t’envoyer quoi que ce soit, zéro gif, zéro provoc, on sait que tu n’iras pas manquer notre rendez-vous. C’est le pacte, l’accord tacite entre faux-frères, on rigole de tout comme des bouffons, mais même les gens comme nous ont des lignes de conduites strictes. Alors on saute du lit, passe la porte les mains dans les poches. Frison grisant quand on traverse la matière, la sensation de pouvoir s’échapper au monde et contourner les obstacles sans réflexions. Traverse les murs et les couloirs sans pression, on éclate de rire quand nos entrées soulèvent des cris, puis enfin on gagne la terre promise, le champ de bataille, l’arène du village, la terre des braves : les sanitaires communs. On franchit la porte comme un cow-boy, prêt à dégainer nos pistolets imaginaires. Y a ta tignasse blonde qui dépasse, nous avec nos cheveux qui changent de couleurs comme de chemise on est roux aujourd’hui.

« La lune est rouge, Stan, beaucoup de sang va couler cette nuit. »

Déclaration sérieuse, on aurait pu annoncer la mort de quelqu’un avec ce ton-là. On te frôle, s’enfonce dans le cabinet habituel, on se dessape en silence, un rituel bien rodé. La pression monte, l’excitation aussi. Le thème du jour, tu l’as bossé on le sait, mais nous aussi figure toi.

« Aujourd’hui, je te défonce. »

Dit à poil sous la douche, on pourrait croire au début d’un très mauvais Yaoi.

Tomber à poil à l'étage d'en dessous, c'est ce qui a fait notre légende. Alors c’est clair qu’on ne s’attend pas à ce que tu comprennes, les légendes ça dépassent toujours les jaloux. Et t’es un jaloux. Evidemment, puisque tu n’es pas tombé à poil à l’étage d’en dessous. On avait peut-être gravé l’académie grâce à mère nature, mais on l’avait gravé quand même. Une fierté de voir son nom murmuré sur toutes les lèvres, une fierté de savoir qu’on avait le cul d’une fitness girl d’après Moryane de la classe E.

Un soupire dédaigneux, un secouage de tête digne de plus grandes queen de ce monde (Britney, Lady Gaga, ma vie), le mouvement de mèche parfait. Tu ne peux pas voir. Mais tu entends. Tu imagines. On sait. Ça nous suffit. Une comédie bien rôdé, une rivalité digne des plus belles fans fictions des petites collégiennes. On en rirait presque, le sourire est trop prononcé. Mais on reprend son sérieux, le peu dont on soit capable. L’heure n’est pas aux rires, il est au combat. Celui qu’on mène depuis bien trop longtemps maintenant, ça remonte à si loin qu’on ne sait même plus comment on a commencé tout ça. Qu’importe, on s’en fiche, les détails ça n’a jamais été trop notre came, après tout.

Le shampoing à droite, le gel douche à gauche. Bascule notre poids d’une jambe sur l’autre pour étirer le corps, quelques sauts sur place, l’image du boxeur qui donne quelques coups dans le vide avant le départ du match. On n’a pas fait original, pour une fois, après l’épisode du rap croate on s’était dit qu’on allait revenir à des thèmes plus classiques. Alors on avait choisi Disney, pour être prêt on avait une nuit blanche de révision dans les pattes. Mais aucuns regrets, parce qu’on sait qu’on gagne, cette fois, on avait tellement bien révisé que le pauvre gars du dessus avait failli crever le plafond à force de taper du pied pour nous dire de la fermer.

« Ok, ok, parle pas trop vite la précieuse, je lance les hostilités avec Jamais je n'avouerai ! Et attention, je veux les chœurs et tout. »

Racle la gorge, on peut lancer le match.

« J’espère que t’es prêt, tu commences la première partie, honneur au futur perdant. Attention… Au lancé de shampoing… GO ! »

Du rire aux larmes, putain.Doit étouffer le rire avec les mains pour pas déranger ta prestation. Il y a ta voix, et l’imagination fait le reste. On t’imagine dans ta belle robe mauve à la grec, une fleur à la main, superbe déhanché sous un décor de rêve, à chanter l’amour, le dilemme ultime de l’homme face à la peur de la trahison. Dans notre imaginaire t’as de super beaux cheveux. Putain on meurt. On se demande si, finalement, ce ne serait pas possible de crever de rire. Ce serait la meilleure des mots en soit. C’est qu’on se fait les abdos avec tes conneries, avec tes Shulululu.

« Shulululu putain. »

Les rageux diront qu’on pleure, la vérité c’est qu’on a de l’eau sur les joues. Sur la fin on est pas loin de faire la position du petit chien en plein accouchement (vraie position) on ne peut que saluer l’artiste, la finesse de la prestation, la grandeur du talent. Et tes Shulululu putain. Traverse les murs pour tendre la main, on veut une poignée de main fraternel. On est con mais on est bon joueur aussi, derrière le mur on a une crampe dans le bas ventre a force de se retenir de rire.

« Shululululu, shululululu ouuuh j’en peux plus putain. Je m’incline, alors là c’était beau. Un chef d’œuvre, une réinterprétation grandiose. Franchement j’suis touché. Je savais pas que je te faisais autant d’effet, j’accepte ta déclaration, Stan, ce qui pend entre tes jambes je m’en fou, c’est la personne que j’aime et toi t’en est une fabuleuse sache le. SHULULULULU PUTAIN. »

On pleure de rire franchement, faut qu’on regagne notre cabine de douche en rentrant. Piouf, putain. Shulululu. Mais, évidemment, faut que tu lances la contre-offensive. Ok 1-0 mais t’es encore loin de gagner. T’attaques sur du Pocahontas, d’ailleurs quel nom de merde Pocahontas. Raclement de gorge, on prend notre plus belle voix. Sérieuse, accusatrice, on prend se masse le crâne, tend un bras que tu ne pourras voir, un doigt impérieux vers toi.

« Pour toi je suis l'ignorante sauvage. »

Ce qui n’est pas totalement faux, objectivement. On s’approche en mode symbole de la paix.

« Tu me parles de ma différence, je crois sans malveillance. Mais si dans ton langage, tu emploies le mot sauvage, c'est que tes yeux sont remplis de nuages… »

On tourne des talons avec un mouvement sublime de cheveux

« De nuages… »

Une vraie comédie putain.

« Pour toi l'étranger ne porte le nom d'homme *bruit d’ours* Que s'il te ressemble et pense à ta façon, mais en marchant dans ses pas tu te questionnes : Es-tu sûr au fond de toi d'avoir raison? »

Suis-je un homme, Stanis ?

« COMPRENDS-TU LE CHANT D'ESPOIR DU LOUP QUI MEURT D'AMOUUUUUUUUR LES PLEURS DU CHAT SAUVAGE AU PETIT JOUUUUUUR? »

A genoux sous la douche

« Je suis fille des torrents, sœur des rivières. La loutre et le héron sont mes amis ! »

On éclabousse tout, la Loutre Ezéchiel et le Héron Jay c’est bien connu.

« Mais la terre n'est que poussière tant que l'homme ignore comment il peut peindre en mille couleurs … L'air du vent »

Par terre sous la douche avec l’art dramatique d’une drama queen face à un ongle cassé

« L'air du veeeeeeeent … »

Silence, on attend les applaudissements…

« APPLAUDIT BOUFFON WESH »

Merci.

« Tu peux pleurer face à ma prestation pro écolo vegan friendly. MAINTENANT …. Hmmm… Je te propose un duo… Toi. Moi. Ce rêve bleu. »

Owi, emmène-moi sur ton tapis Stanis.

Un duo ouais. Et après tout pourquoi pas. On peut bien s’amuser, faire les cons à deux plutôt qu’à tour de rôle, ce n’est pas comme-ci les voisins saignaient pas déjà des oreilles. A force de rendre sourd tout le bâtiment, on pouvait bien chanter à en faire trembler les murs, personne ne s’en plaindra. Alors on laisse passer l’insulte avec un sourire et un haussement d’épaule. Nous Aladin.

Vaurien
Brigand
Pilleur
Truand

« Rien qu’un morceauuuu de paiiiin. »

Vrai qu’ils doivent être nombreux à vouloir décapiter le vaurien. On pouffe, un sourire amusé pour nous même, à trouver des points communs avec un gars qui vole du pain torse poil avec un singe. Quoi que, nous, on aurait été un connard, on aurait choppé la lampe pour la vendre sur e-bay. Il n’y avait pas de petit profil ma bonne dame.

« Ok, je vais t’amener au pays des merveilles princesse. Écoutes. »

Raclement de gorge. On regrette l’absence de tapis de bain, ça aurait été plus roleplay.

« Je vaiiis t’offrir un mooonde Staaan, aux milles et uuuune spleeeendeuuur. Dis-moi princesse n’as-tu jamais laissé paaaarler ton coeuuur ? »

Si on avait pas été à poil, on t’aurais passé la bague au doigt pour t’emmener en rendez-vous galant. Parce qu’on ne sait pas quand arrêter les blagues. Raison pour laquelle on doit à tout prix éviter Las Vegas.

« JE VAIS T’OUVRIR LES YEUX ! »

On gueule oui. On passe d’un romantique à un politique en plein discours de campagne. Parce que c’est notre projet.

« AUX DELICES ET AUX MERVEILLES ! DE CE VOYAGE EN PLEIN CIEL AU PAYS DU REVE BLEUE. MAKE AGRABAH GREAT AGAIN ! »