oh ce n'est pas Nausicaa qui fermerait les grilles de ses jardins à qui que ce soit ; les sentiers à soi toujours praticables. simplement qu'on ne les balise pas de pancartes car les égarés finissent par les emprunter en voulant retrouver leur chemin. du matin de sa vie au soir de l'enfance, c'est ce que sa mère lui répétait toujours. attend, et ils viendront à toi. et il ne faudra jamais douter de ceux qui s'avancent car si l'on se rencontre, c'est que c'était écrit. impossible à manquer, comme les tournants menant aux clairières des forêts.

aujourd'hui, on avait peut-être un peu triché - enfin non, pas tout à fait - seulement semé des graviers blancs pour donner des indices. car Nausicaa croit en Kalev qui croit en lui, le considère comme un membre à part entière de sa Famille même si celui-ci se passe de la dévotion qu'on connait. il a de la peine pour les enfants perdus (on leur ressemble) et il aimerait qu'il ne leur arrive rien dans ses bras. mais parfois
parfois il a beau les ouvrir grands
qu'ils ne suffisent pas à contenir
tous les éparpillements.

aimer ceux qui l'aiment de la même manière, c'est à dire sans conditions et aveuglément ; mais il faut bien ouvrir les yeux, pour en garder un sur chacun d'eux. et Nausicaa n'en a que deux alors, quand Kalev avait parlé de quelqu'un d'aussi dévoué que lui, il avait dit oui,
d'accord, dis-lui de venir.

et voici qu'il arrive.

en tailleurs et courbé sur son téléphone jusqu'alors, Nausicaa lève les ciels clairs des yeux tout à coup, les œillades entrecoupées par les blés des cheveux, il ne lui faut pas une seconde pour sourire paisible lorsqu'il te voit. Lorenzo c'est toi, l'on est heureux de mettre un visage sur le nom qu'on connaissait déjà.
moi je vais toujours bien.
c'est vrai qu'il ne se souvenait pas la dernière fois qu'il avait pleuré ni été véritablement malheureux, alors il pouvait dire toujours sans hésiter. toi aussi il paraît.
oui, Kalev lui avait soufflé quelques mots à ton propos. Lorenzo qui ne flanche jamais, les épaules suffisamment larges pour supporter toute la misère du monde ; aucun soucis ne te résiste et sûrement qu'avec un bras cassé tu tendrais encore la main. on avait bien aimé la description, alors d'ors et déjà Nausicaa t'aime bien.

et il s'accoude sur l'un de ses genoux, pour poser le menton au creux de sa main tandis qu'il te dévisage quelques secondes sans rien dire. avant de couper l'herbe sous le pied, car on ne s'est jamais soucié des détours des formalités.
j'ai pas besoin de ton aide Lorenzo.
annoncé sans ciller. c'est sûrement un peu abrupt, mais la parole de Nausicaa a beau séduire les fanatiques, ça ne la rend pas belle pour autant. tourne distraitement la tête, ses œillades se perdent un instant dans les parterres du grand parc. et puis reprend.
mais je connais beaucoup de gens avec qui tu pourrais faire de bonnes actions.
et les regards te reviennent finalement.
enfin, si tu veux bien.
ponctué d'une risette lumineuse ;
ce ne sont rien que des prières Lorenzo,
à toi de voir si tu les entends.

c'est formellement interdit par beaucoup d'écrits de former des images à idolâtrer et c'était peut-être pour ça que la personnalité de Nausicaa avait des contours troubles. sous ses photographies virtuelles les commentaires usaient de tous les mots du dictionnaire, toutes les langues du monde pour évoquer l'illumination provoquée, sans jamais définir l'origine du phénomène. c'était surnaturel et impalpable, et ça expliquait probablement le fait qu'à chacune de tes répliques, Lorenzo, tu ponctues de points d'interrogations ;
lui laisse en suspension.

volatile dévisage, sans réponde à tes questionnements il attend simplement que ta curiosité t'amènes à l'affirmation, et lorsque tu avais dit être intéressé, c'était presque lui répondre oui
alors Nausicaa sourit un peu plus.
ça me fait plaisir de t'entendre dire ça.
et il avait redressé le dos droit pour que les cheveux blonds barrent un peu moins ses yeux et ainsi voir plus clair dans les tiens.
animé d'enthousiasme tout à coup, désigne la place à coté de lui.
tu veux pas t'asseoir ? assieds-toi va.

toujours en tailleurs, il t'a regardé faire, se tournant pour poser une épaule contre le banc et continuer à te faire face. lorsqu'on était enfin à peu près à la même hauteur, il songea qu'on pouvait alors te raconter comme il faut,
c'est-à-dire sans détours.
il y a des gens qui croient en moi.
aux arpèges désinvoltes, sonnent comme une vérité dont on ne doutera jamais.
tout à coup c'est vers moi qu'ils se tournent. c'est mes paroles qu'ils écoutent, c'est mon avis qu'ils demandent. comme si j'avais forcément réponse à tout.

les épaules se haussent, car ce n'était pas grand chose d'après lui. et ses traits flegmes s'inclinent lorsqu'il baisse la tête, observe une seconde ses mains qu'il avait noué sur ses jambes croisées. pensif, avant de songer tout haut.
est-ce que ça t'arrive de prier quand t'es désespéré, Lorenzo ?
à genoux les paumes jointes, ou bien rien qu'en silence, murmuré dans l'esprit. à l'intention de quelqu'un, quelque chose. il avait relevé les yeux pour guetter des indices à la lecture de tes expressions, et puis ajoute.
je peux te donner des noms parce que ce sont les noms de ceux qui viennent me voir quand ils sont désespérés.
qui laissent des petits mots au pas de sa porte, ou bien saturent de messages son répondeur à toute heure de la journée.

... et j'essaye de faire attention à tous ces gens, tu vois. mais je peux pas être partout, et je peux pas tout voir.
et il soupire alors, car c'était beaucoup de monde et qu'il gardait déjà les yeux ouverts, parfois des nuits entières sans dormir.
pour ça que je voulais te voir aujourd'hui.
pour te proposer de m'aider à faire attention à certains.
malgré les lueurs dans ses œillades, ils sont cernés,
les yeux de Nausicaa.