la vie est belle.
aujourd'hui plus que jamais c'est une certitude.
ici le soleil ne connaît que son zénith.
et il fait beau sur ma souffrance et ma confusion.
aujourd'hui c'est un jour qui n'est pas particulier.
en haut de cet immeuble où la nuit tombe avant moi, je regarde les maisons et les toits ; ils sont noirs ou gris et leurs murs accrochent la lumière comme s'ils ne voulaient pas qu'elle s'en aille.

il y a encore des sapins et des guirlandes qu'on ne décroche pas des fenêtres. il y a des chiens de toutes les tailles avec leurs maîtres, vêtus de petits manteaux.

où que j'aille l'espace est neutre, l'académie, central town, l'espace est blanc. je ne le considère plus que comme un ensemble. je ne vois plus les fenêtres, les murs, les feux.

peu importe où sont mes amis et avec qui. je repars dans un pays où ils n'existeront pas. quand je me perdais je me retrouvais toujours dans leurs regards - mais aujourd'hui il n'y a plus de regards, seulement des yeux. les yeux n'ont jamais rien pu pour moi.

tendue comme un voile au-dessus de ma figure, qui a perdu sa forme et ses traits et sa couleur, ma douleur est à présent une personne que je peux toucher ; c'est le stade supérieur du fantôme. elle me demande avec quoi remplir ces yeux que l'envie des choses a déserté.
elle me voit mais moi je la regarde. et je la prends par la main. et puisque c'est pure perte,
puisque c'est purte perte, je la prends dans mes bras.
c'est la première fois que nous nous reconnaissons.
j'admets que je ne pense pas à pleurer.

je pense à tous ceux avec qui je ne me suis pas réconcilié et qui ne savent même pas que nous nous sommes disputés. je pense à tous ceux que j'ai aimé avec le désespoir de savoir que c'était sans retour. je pense à ceux qui ont tenté de rentrer dans le néant de mes jours. c'est à eux que je te consacre, ma douleur entière, et je le leur dois, puisque c'est à eux que je renonce.

j'ai envie de leur dire à chacun, je n'ai pas le temps de m'occuper de ta douleur, puisque ma douleur à moi, dans mon univers, supère ta douleur… alors ce n'est pas que ta douleur n'existe pas… c'est qu'elle n'est pas là, elle est absente, comme une personne absente, comme un oubli, comme un non-lieu.

mais il paraît que nous nous retrouverons, comme se retrouvent toujours la partie et le tout.

je me dis en souriant, parce que je suis d'humeur à sourire, qu'ils seront plus forts que moi.

et j'ai la certitude que c'est là, ici au creux du plexus solaire, que toutes les lumières s'éteignent.

c'est le tout petit matin, le plus petit matin du monde, aux heures si sombres qu'elles sont bleues.

j'avance sur le chambranle et les lumières de la ville perdurent. au-dessus d'elle un avion s'élance en vain. je le suis,
et tous les cieux noircissent,
tout les cieux sont le ciel,
tous les matins du monde sont sans retour.