Il riait en courant pieds nus à travers la basse-cour, s’amusant à éclabousser les poules et les oies en sautant dans les flaques. La partie de jeu est sous la surveillance du doux regard noisette de Keira O’Cesair. Cheveux noirs coupés au carré, une pelle sous le coude, c’est elle qui lui a transmit le nom du clan. La vie, c’est Delen qui la lui a donnée, ainsi que son regard bleu-grisé et les taches de rousseurs sur son petit nez. Et l’alice aussi, mais ça pour le moment, personne ne le sait.

❝ Tu ne porteras aucuns jugement et ne discriminera autrui en raison de ses choix. ❞

▬ règle n°2 du clan O'Cesair

Il se souvient Raphaël combien il aimait courir dehors toute la journée, apprendre à travers les mots de sa maman Keira les valeurs du clan. Combien il aimait le soir se blottir dans leurs bras près du feu de la cheminée. Il se souvient encore de la joie qui l’a envahie quand il a compris qu’il avait le même pouvoir que sa mère. Il se souvient qu’il décomptait avec impatience les années qui le séparaient de son entrée à l’Académie. C’était enfantin et un peu magique, ce n’est que plus tard qu’il a pris conscience que les années peuvent être longues, à quel point treize ans ça peut être un poids.
Un poids qu’il a rapidement ressentit du haut de ses sept ans. Son alice qu’il maîtrisait encore très peu, ne le rendait pas du tout populaire. On le fuyait, on se bouchait les oreilles dès qu’il commençait à parler… c’est la première fois qu’il a rencontré la Solitude. Il la retrouvait entre les rayons de la bibliothèque, à l’orée de la Forêt Bleue et surtout dans sa chambre. Ses deux mamans lui manquaient terriblement et le clan aussi. Raphaël regrettait son impatience, mais il n’en disait rien… l’Académie est un devoir auquel il ne pouvait pas se soustraire et il le savait. Il se devait de l’accepter, aussi dure puisse-t-elle être.
Le temps a fait son œuvre et plus il fallait, plus Raphaël a apprit à le contrôler. C’est au début de l’adolescence qu’il a commencé à gravir sans s’en rendre compte l’échelle sociale. Il s’est fait des amis, il a commencé à sortir avec des filles et petit à petit, le temps est devenu moins long ; plus supportable. À dix-huit ans, il avait tout : capitaine de l’équipe de volley-ball, une petite amie avec qui il vivait le parfait amour depuis déjà plus d’une année et à la rentrée, il était passé major. Raphaël était au sommet. Pourtant, le premier novembre de ses dix-neuf ans, les choses ont commencé à s’assombrir. Keira s’excusait de lui annoncer cela un tel jour, mais pour elle, il devait savoir : Delen était malade. La nouvelle a quelque peu retourner Raphaël, cependant, il n’a rien lâché. Il était enfin major et s’il réussissait ses examens de Noël avec d’excellentes notes, il aurait le privilège de rentrer et de passer une semaine auprès de ses mamans. Pendant plus d’un mois il s’est consacré comme un fou dans ses études et ça a payé, il allait pouvoir sortir. Il se sentait plus léger sans se douter…
Elle l’attendait, les cheveux grisonnant et les traits tirés. Son sourire avait comme un faux contact et Keira n’a pas eu le temps de lui dire « Je suis désolée mon chéri. » qu’il avait déjà compris : il arrivait trop tard. C’est ainsi que Raphaël l’a vécu, comme un échec. Il a pris conscience que tout ce qu’il lui resterait d’elle, ça ne serait que les souvenirs troubles d’un gamin de sept ans. Que plus jamais il n’entendrait son rire et ne pourrait enrouler ses doigts dans ses longs cheveux blonds… il aurait les photos, mais elles lui semblaient bien ternes. Douze années d’absences et d’attentes pour ça : un face-à-face avec une tombe. Raphaël s’en voulait terriblement de ne pas avoir pu être là, au côté de son autre mère pour la soutenir. Il ne pouvait s’empêcher de se sentir illégitime, sans savoir pourquoi. Keira lui a donné une lettre écrite par Delen pour lui, mais il ne la lira que des mois plus tard.
Quand il est rentré à l’Académie, il s’est plongé dans un mutisme alarmant de presque plus d’une semaine ; ne prononçant pas le moindre mot et puis… il a implosé. Il s’est déchaîné, laissant aller son alice et envoyant tout le monde se faire foutre. L’ouragan a ravagé et celui qu’il n’a pas épargné, c’est lui-même. Plus de copine, plus de place de capitaine, plus d’étoile à son cou, juste un aller simple pour le grenier où l’attendait une vieille amie : Solitude.
Pendant un moment, il s’est laissé couler, puis parce que tout fini bien par remonter, Raphaël aussi a refait surface. On essaye de sourire, un peu plus chaque jour et on s’excuse. Lentement, comme les pièces d’un puzzle qui s’est éclaté au sol, les choses se remettent en place… malgré que certaines pièces semblent perdues ou trop tordues pour re-fonctionner ensembles.

❝ Nul n'est autorisé à se faire justice soi-même sans en subir les conséquences ; la justice sera toujours rendue avec impartialité par le Conseil. ❞

▬ règle n°5 du clan O'Cesair

Voilà, c’est fini. Il a vingt ans, deux étoiles au col et un diplôme en main. C’est l’heure de rentrer et il est un peu mitigé ; la dernière fois, c’était particulier. Cependant, il est rassuré par le regard que lui lance sa mère quand il la voit. Raphaël est resté un moment au clan, s’occupant de la Nature comme ils le fond depuis des générations. Il a fini par partir se ‘‘balader’’, prétextant un besoin de voir plus grand et d’aider ailleurs, tout en n’oubliant pas de donner des nouvelles. À la suite de ses excursions, il a fait savoir au clan son désir d’enseigner, de retourner à l’Académie en tant que professeur pour pouvoir conseiller et soutenir les enfants du clan là-bas ; ainsi que possiblement transmettre leurs valeurs à d’autres. La décision fut acceptée et il partit faire des études pour se préparer à son retour.
Quatre ans déjà. Au début ça lui a fait bizarre de marcher à nouveau dans les couloirs, encore plus de s’installer devant le tableau et derrière le bureau, mais comme avec beaucoup de choses : on s’habitue. L’Académie n’a pas toujours était un lieu plaisant pour Raphaël, mais quand on passe plus de la moitié de sa vie dans un lieu pas si désagréable que cela, on fini tout de même par s’y sentir chez soit. Bien que la maison lui manquera toujours un peu.