À la fin des cours son regard s'était laissé attirer par l'extérieur derrière la fenêtre. Elle s'y était approchée, slalomant à travers les rangées pour finalement venir s'appuyer contre une table puis de se laisser bercer. Le rosée du ciel indiquait quelques beaux jours à venir encore, malgré la fraîcheur qui s'installait déjà. Du ciel elle avait dérivé sur la foule d'élèves qui se pressait en contrebas pour célébrer autant la fin d'une énième journée routinière que le fait qu'ils puissent enfin aller se changer -du moins elle le supposait. L'ombre de ta silhouette attira son attention et elle t'observa un moment, Astéra, avant que vos regards ne se croisent. La vision d'aussi loin n'était pas si nette et pourtant vous deviez savoir toutes les deux que ça n'avait pas loupé, il y avait toujours cette sensation prenante lorsque deux paires d'yeux se croisaient, même brièvement. Ça avait duré une seconde. Puis deux. Puis trois, avant que tu ne détournes finalement ton attention plus bas face à toi. Un signal, comme une demande non formulée mais qu'elle comprit tout de suite. Un message subtile comme vous en aviez l'habitude depuis de longues années à présent.

Ainsi, la disparition de ta personne à l'intérieur du bâtiment marqua le déclencheur qui la fit retourner jusque son bureau derrière lequel elle prit place. Ses coudes posés contre le bois, la tête au creux de ses doigts, elle avait fermé les yeux quelques instants et puis, ce fut une voix qui l'interrompit alors qu'elle semblait s'avancer dans un profond sommeil. L'idée de base était plutôt de prendre un temps pour respirer, pas pour dormir, mais soit. Un soubresaut surprit par pur réflexe et la voilà à présent bien éveillée, tournée face à toi.

« Bonsoir miss Adler, d'un geste elle te désigna une chaise près d'une table en face du bureau, je t'en prie entres. »

Vous aviez l'habitude après tout.

« Que puis-je faire pour toi cette fois ? »

Ce sont ses mêmes cauchemars qui reviennent. La détresse d'un enfant qui lui prenait le coeur. Je n’arrive plus à dormir. La peur au ventre de ces visages oubliés. Elle connaissait la douleur des souvenirs perdus, Sinead, car mémoire vivante du passé de chacun, elle ne pouvait être elle-même son propre album. À mesure que les jours s'écoulaient elle perdait, comme tout humain, une part d'elle -même insignifiante- sans jamais trouver quelqu'un pour les lui rapporter. La vie avait ça de cruel, parfois, lorsqu'elle prenait -volait- sans donner ni remercier.

Ce dont elle était certaine, en te voyant ainsi face à elle, c'est que ta mère était jolie, Astéra. C'est que ta mère serait triste d'être ainsi oubliée, mais qu'elle ne t'en voudrait pas. Vous étiez enfants, qui pourrait vous en vouloir de faire l'impasse sur le passé ? Même involontairement. Ses doigts glissèrent sur le bureau, trouvant ensuite son jean tandis qu'elle se redressait sur son dossier. Les jambes croisées et bras lâchés, doucement posés, son regard n'avait pas quitté le tien car sérieusement elle t'écoutait, patiemment attendait que tu lui exposes les troubles qui t'amenaient la voir. Ceux qu'elle (te) connaissait si bien.

Finalement, vous vous ressembliez un peu.
À la différence que Sinead, elle, ne reverrait plus jamais sa mère.

« T'as pas à te sentir coupable de pas te souvenir de ta mère, c'est normal d'oublier avec le temps, commença-t-elle calmement. Ça n'en reste pas moins douloureux c'est sûr, mais on peut rien faire contre ces choses-là. »

Et elle ne nierait pas que c'était vraiment la merde.
Pourtant, après un temps accordé pour respirer, elle avait esquissé un léger sourire puis avait quitté sa chaise pour contourner le bureau et s'arrêter près de toi. Elle s'y était adossée, une main tendue vers toi.

« Donne-moi ta main, et ça n'avait rien de froid bien au contraire. »

Sinead ne le montrait pas mais elle était ravie de pouvoir aider -t'apaiser au moins un peu. Vos mains liées elle avait fermé les yeux pour laisser aller son don et revoir un à un chaque moment de ta vie. Malgré que sa tentation soit forte, elle avait fait l'impasse sur tous ces secrets et ces missions qui lui apparaissaient -celles des dangereux, cette classe qui ne devrait pas exister-, elle ne s'y attardait que le temps d'un infime passage et glissa sur la carte de ta vie pour remonter jusqu'à l'enfance -à cette époque ou l'esquisse de ses lèvres étirée rayonnait, en résonance avec la tienne.

« Vous avez le même sourire c'est fou, souffla-t-elle, déjà charmée par ce qu'elle voyait. Le même sourire chaleureux. »

Celui qui rendait heureux.