Cela peut paraître un petit peu effrayant, n’est-ce pas Nahia ?
Les muscles légèrement tendus, tu t’avances d’un pas résolu en direction de la salle commune ; tu avances, transportant sur ta frêle épaule la lanière d’un joli sac contenant des cahiers que tu as su protéger du temps.

Les pages préservées des années meurtrières, des précieux souvenirs que tu t’es efforcée de récolter à la suite d’une requête inattendue ; tu n’es pas naturellement intelligente, Nahia, tu es toujours parvenue à rendre les notions le plus claires pour toi, que l’on t’a dit, tu serais une bonne professeure. Et tu n’as jamais su dire non, n’est-ce pas, Nahia ? Un professeur avait simplement formulé la possibilité que tu donnes des cours particuliers à une jeune enfant – et le refus n’a jamais traversé ton esprit.

Nahia, Nahia docile qui exécute les ordres et se conforme aux attentes.
Néanmoins, peut-on avancer que tu as simplement accepté sous la contrainte ?

Une petite voix altruiste t’efforce d’aider la petite Zélie avec un plaisir sincère. L’innocente détermination qui l’anime à seulement neuf ans t’attendrit – et si tu es capable de la soutenir dans ses ambitions, tu la soutiendras. Tu feras de ton mieux pour la guider sans trop tolérer ses erreurs – tu lui diras franchement les attentes des professeurs lors de chaque examen. Tu as demandé à noter le nom complet de la petite fille afin de pouvoir t’en souvenir en le lisant, encore et encore jusqu’à ce que ta mémoire réduite des noms l’imprime dans ta petite tête.

Tes pieds atteignent la destination et tes iris détaillent la foule avec attention – regard furtif à la recherche d’une silhouette plus petite que les autres ; lorsque tu repères une enfant aux longs cheveux clairs, tu t’approches lentement, tout doucement avant de lui susurrer :

— Excuse-moi, tu es bien Zélie ? Léger arc sur tes lèvres. Je suis Nahia.

Ton doigt pointe des tables plus en retrait tout en maintenant le regard sur elle.
Tu espères que ta douceur naturelle saura rassurer ta cadette.

— Cela te convient si nous nous installions à ces tables ? Ce coin est plus calme pour faire les présentations.

Tu marches à ses côtés en direction du lieu indiqué pour t’asseoir, et sort quelques ouvrages.
Car pour toi aussi, tu préférerais diminuer le bruit de fond – bruit de fond que ton cerveau entend aussi puissamment que les voix s'élevant à proximité.

Elle hoche la tête afin de confirmer sa précieuse identité – quel soulagement ; quel soulagement car l’idée de t’élancer à la recherche d’une petite âme espiègle attiserait la panique dans ton esprit. Mais tout va bien, Nahia. Elle ne s’est guère enfuie pour se cacher et jouer avec tes nerfs si fragiles. La petite Zélie dégage cette allure de jeune enfant qui se laisse gagner si aisément par l’implacable timidité.

Celle qui retire les mots de la bouche. Celle qui laisse sans voix. A-t-elle peur de toi ?

Elle t’observe de ses grands yeux méfiants, ceux d’une enfant détaillant l’inconnu pour balayer les zones d’ombres que tu incarnes dans son univers ; cela t’effraie légèrement, Nahia, tu ignores si ta présence lui inspire un malaise qu'elle s'efforce de taire ; tu ignores si tu dois briser le silence qui vous enveloppe pour la rassurer – tes capacités évaluent si difficilement les situations dans lesquelles tu t’insères.

Ici, c'est toi l'aînée, celle dont elle va dépendre.

Alors, laisse le temps, Nahia. Dépose simplement ton petit sac sur le bois limé afin d’en extraire les cahiers que tu as noircis au fil des années. Ne te décourage pas, Nahia, rappelle-toi simplement de la promesse de l’aider à atteindre les sommets tant convoités.

Zélie finit par rompre le calme qui pesait. Ses paroles d’une franchise brutale se veulent bienveillantes, dévoilent la possible admiration que la petite pousse éprouve à ton égard. Elle ne te qualifie guère de simplement douée, Nahia, elle s'embarrasse de superlatifs, d'une ribambelle de jolis adjectifs qui souhaitent gonfler ton ego si humble.

Quelques violettes odorantes apparaissent à tes pieds.

— Ce n’est guère le cas. Tu marques une pause, comme pour rétablir la vérité qui n'a rien de fantastique. Ce n’est pas l’œuvre d’un alice, ni même d’une surdouance.

Oh que tu répudies silencieusement le cliché pénible d’une possible surdouance que l’on associe si bien à tes particularités. Tu ne figures guère parmi l’élite de l’intelligence Nahia.
Toi aussi, tu as dû en baver pour briller dans le milieu scolaire.

— J’ai simplement étudié, étudié, et encore étudié jusqu’à ce que j’obtienne des résultats.

Réviser les méthodes, accepter les erreurs pour les corriger, se conformer aux grandes attentes des enseignants. Les efforts dont on redouble pour constater une hausse réconfortante dans les matières. Les sacrifices de temps que l’on accepte docilement, les échecs qui font chuter mais qui ne laissent guère d’autre alternative que de se relever. Tu formules déjà les vérités qui ne sont guère plaisantes lorsqu'on aime se bercer d'illusions.

Toutefois, tu n’étaleras jamais tes mérites.
C’est comme si tu ne pouvais t’en vanter d’aucun.
Car les tiens paraissent si ordinaires, Nahia.
Les violettes odorantes se fanent alors.

— Je pourrai te partager mes méthodes si tu veux, j’ai préservé mes notes dans ces cahiers. Ce ne sera pas toujours facile, mais je resterai à disposition pour toutes les questions que tu auras.

Tu esquisses un léger sourire, petit soldat qui offre ses loyaux services.

— Y a-t-il des matières en particulier qui te posent problème ?

Alors tu feras l'effort de t'adapter à ses besoins.