dans les clairières on est tranquille - les loups à l'orée des bosquets. dans la chambre on dort bien - la porte toujours fermée ainsi on n'entend plus hurler. ici il n'arrive jamais rien d'imprévu. les jardins secrets sont bien entretenus dans l'optique d'y voir toujours net - les univers de Liu agencés au millimètre, tout est à sa place. entouré de plantes pour apporter un peu de vie et puis tout un mur couvert de polaroïds sans visages à censurer.

d'habitude ces alignements là suffisent à trouver le sommeil et on n'a pas de mal à fermer l'œil mais ce soir les ombres s'allongent
la nuit parait plus sombre,
on n'a pas le courage de s'y engager
de se glisser dans les draps, ce serait étouffer tout à coup
le danger n'est plus dehors mais en dedans.
de grands silences où résonnent le mal-être. c'est peut-être les vêtements, dans lesquels Liu flotte pourtant mais ça colle encore trop à la peau
et puis la peau elle est trop blanche et les cheveux qu'on veut s'arracher
trop fins entre les doigts
comme les poignets
tout ce qu'on est insupporte, dans l'être on suffoque.
Liu ne peut plus se voir et c'est pour cela que dans la chambre il n'y a aucun miroir
mais ce soir pas besoin des reflets
pour se sentir étranger dans son propre corps.
alors la chambre ou bien ailleurs c'est la même atmosphère irrespirable
partout c'est hostile - qu'on comprend les harceleurs ! rien qu'entendre ses propres souffles suffit à Liu pour avoir des pulsions de se faire du mal,
il se verrait, lui aussi,
filerait des coups.

Alistair tu lui en filerais aussi si tu apprenais qu'on passe cette soirée en compagnie des immenses riens, plutôt qu'avec toi - on s'est comme promis
de toujours appeler dans ces cas-là. de se lever et déverrouiller la porte qu'on a tendance à trop laisser fermée, au cas où
tu arriverais après les messages envoyés.
oh tu n'es pas obligé
Liu ne voudrait pas que ce soit forcé, il aimerait tellement
être de bonne compagnie - quand tu es là il se sent capable d'être quelqu'un auprès de qui on peut se réfugier quand on le souhaite. et il s'en veut
il ne devrait pas mais il s'en veut
lorsqu'il entend tourner la poignée et qu'il est en tailleurs à même le sol
à ne pas savoir quoi faire de lui ni comment t'accueillir,
on bredouille aussitôt.

Ali', salut, désolé
désolé il est tard en plus, j-je -
excuse-moi.

et Liu baisse la tête, le regard fuyant
les doigts se tordant de ne pas pouvoir offrir des mains tendues
on ne peut qu'espérer que toi au moins ça va.