LIL SIS À ROULETTES

Spider ralentit encore plus. Pour une fois qu'on lui dit qu'il est lent. Ses pas planent comme quand le gentil se retourne après avoir fait exploser la voiture. Son skate sous le bras, sa manche coincée dans la main d'une petite furie impatiente. Il se marre et coule sur Zélie un regard attendri.

Il y a tout un monde pour elle. Il y a le monde d'avant, du petit appartement bruyant où on existait qu'à moitié et le monde de maintenant ou chacun de ses battements de cœur était épié. Il ne lui a pas dit qu'avant, il avait deux petites sœurs, deux boules d'énergies pareille à elle. Il ne lui dira pas, elle doit se sentir unique et importante, tout ce qu'on lui a refusé.

- J'aaaaaarriiiiiiive liiiil siiiiissss ! articule l'abruti un sourire goguenard aux lèvres.

Il finit par accélérer, Spider chantonne, marmonne, raponne. Il suit Zélie et ses rollers multicolores. Un peu avant le stade, si loin de leur terrain habituel, un peu cachés par les arbres, voilà qu'il arrivent à la vue de tous, sur la grande esplanade. Là où les grands courent, où les yeux paraissent plus perçants les uns que les autres.

Zélie le sent tout ça, elle le sait, intelligente cette petite, évidemment.

- T'inquiète pas lil sis, ils oseront rien dire. Et puis, tu vois, regarde bien, il montre du doigt l'ensemble du stade, les gens sont occupés, ils feront pas attention à nous et puis, j'te rattraperai !

Un clin d’œil, l'assurance totale. Évidemment, quand il la voit chuter, claquement de doigts, il ralentit, repose son pied et repart. Petites manipulations faciles, déstabilisantes mais suffisantes pour éviter de multiples blessures et écorchures. Et rouler jusqu'au bout de l'après-midi. C'est fatigant pour lui mais il n'y a rien de plus beau que le sourire de Zélie.

Ils arrivent au bord du stade et Spider fait glisser son sac le long de son épaule et le pose sur le sol, il cale sa planche sous un pied et jette un regard à sa jeune partenaire.

- Chausse tes rollers super roulettes, à la fin de la journée, tu seras championne du monde de patinage, moi j'te l'dis !

Il relâche doucement sa planche et va tendre les mains à la petite qui finit de lacer ses patins.

- J'te ferai un dessin porte bonheur si tu veux.

J'irai custom tes shoes pour que tu run the world girl.

LIL SIS À ROULETTES

La main de Zélie sur sa joue, sa moue concentrée et déterminée. Amour a toute la tendresse du monde pour ce petit être. Amour s'appellera Amour pour toi, grand frère ou Spider aussi si tu veux. Il sourit et la regarde lacer ses rollers avec précision. Des doubles-noeuds parfaitement exécutés.

- C'est notre super pouvoir quand on est tous les deux, on est invisibles quand tu t'entraine, pour pas qu'on découvre nos techniques secrètes.

Il accompagne sa tirade d'un large geste autour de lui, plissant les yeux comme un ninja pris sur le fait. Dans sa tête, il a le style de Shikamaru et l'acuité de Kakashi mais en vrai, il doit juste avoir l'air d'un abruti avec les yeux plissés. Mais il s'en fout parce qu'il sait que Zélie, elle, elle trouvera ça cool.

Parce que c'est important d'avoir l'air cool devant Zélie, de faire le grand, le modèle. Elle est forte et elle est grande Zélie - tellement que des fois, Spider, il se sent comme un gamin - alors il doit être toujours un peu devant elle pour la pousser à avancer, il a lu ça dans un manga, et c'était stylé, alors il essaye de le faire un peu.

Il la regarde doucement, l'aide à se relever. Il sent dans le petit bras dans sa main, les tremblements de la petite. Il lui sourit doucement, dégage une mèche sur son front.

- Les méchants, j'les marave. Allez jeune padawan, roule vers ton avenir, j'suis à côté de toi.

Son téléphone dans une main, l'enceinte dans son sac répond par quelques bipbip et le voilà qui lance une musique entrainante, une des préférées de Zélie. Il se penche devant la petite et son regard décidé.

- Y'a pas de courage sans peur lil sis, le vrai courage, c'est affronter et passer outre ses peurs tu sais.

Ça aussi, il l'a lu dans un manga mais il trouve ça beau et vrai.

- J'suis derrière toi, t'inquiète pas.

Il a posé l'enceinte sur sa planche et se tend les bras vers son dos pendant qu'elle patine tant bien que mal. C'est malhabile et pas facile mais c'est touchant de détermination et d'envie de bien faire. Il tente de lui donner autant de conseils - utiles ou pas - qu'il peut.

LIL SIS À ROULETTES

Zélie est concentrée, Zélie est douée, Zélie est motivée et elle patine avec une aisance remarquable pour une gamine de son âge. Bientôt Spider arrête même de tendre les bras vers son dos. Elle n'a plus besoin de lui. Et au final, c'est peut être ça qui est beau, un jour, elle n'aura plus besoin de lui. Elle n'aura plus besoin de croire qu'il est cool.

Spider sourit et pense à ses sœurs, il pense aux jumelles, pleines d'énergies. Il aurait aimé, pour elles aussi, rester dans leur dos jusqu'à pouvoir les voir s'éloigner mais le sort en a décidé autrement. Il reçoit souvent des lettres de sa mère et d'elle seule. Les premières étaient incendiaires et tâchées de larmes, elles sont maintenant vides et lisses, comme s'il avait disparu et que ces envois n'étaient que des obligations barbantes.

Zélie s'arrête dans son élan et lève ses grands yeux vers lui, l'arrachant à ses pensées monotones. Spider prend un sourire cool, parce qu'il est cool et accueille la question sans montrer qu'elle le perturbe. Parce qu'il a super peur de pleins de trucs, vraiment très pleins et que lui, il fuit. Ouais, il applique pas ses propres conseils mais ça, elle doit pas le savoir, parce que c'est pas cool.

Il rit doucement.

- J'ai pas peur des insectes voyons, je les adore, j'm'appelle pas Spider pour rien.

Bon, on ne va pas épiloguer sur la différence entre insectes et araignées pendant des heures, on est pas là pour ça. Spider, non, Amour - parce qu'on est vrai plutôt que cool - s'agenouille face à la petite. Il replace une mèche derrière son oreille.

- J'ai peur de tas de trucs, mais c'est des trucs de grands alors c'est pas important. Mais sinon, pour de vrai, j'ai peur des ballons de baudruche. Tu sais les trucs en plastique qui éclatent là ? Bah j'aime pas ça du tout du tout !

C'est vrai, on a esquivé la question pour lui laisser le temps de savourer son innocence. Elle apprendra plus tard, la peur de l'avenir, du lendemain, des relations, de l'amour, la peur de tout faire foirer, la peur de voir ceux qu'on aime disparaitre. Ces peurs-là qu'Amour fuit avec toute l'énergie dont il dispose.

Que la lil sis profite encore du temps où la pire peur est celle des insectes.

LIL SIS À ROULETTES

Elle claironne, s'insurge.

Non, tout le monde n'a pas peur des insectes. Surtout pas Spider qui les trouve fascinants. et ça serait con d'avoir peur d'un truc qui est présent littéralement partout. Mais, il comprend, après tout, c'est comme les clowns, certaines peurs sont ancrées dans l'imaginaire collectif et semblent évidentes. C'est plus facile d'expliquer qu'on a peur du noir que de dire que les ballons de baudruche nous mettent en PLS.

Elle bombe le torse, fière comme la lionne qu'elle est.

Spider sourit, c'est sûr avec ce genre de protection, il ne risque absolument rien. Rien que la détermination dans ses yeux feraient ployer n'importe qui. Cette étincelle que Spider protégera, que jamais elle ne s'éteigne. Que toujours, toujours, Zélie aille de l'avant. Plus tard, il sera là pour l'aider à évacuer les problèmes d'adultes, enfin, il essaiera. Qu'elle ne soit pas alourdie par les questions et les angoisses qui le torturent et le ralentissent lui.

Parce qu'on a beau avoir dix sur dix en détermination, c'est clairement pas le même barème.

Il court derrière elle en riant, s'excusant d'un geste de main à l'abruti encombrant qu'elle a failli renverser. Il galope à côté d'elle alors qu'elle patine.

- T'es la plus forte lil sis, avec toi, je risque rien du tout, personne risque rien, t'es la meilleure !

Parce que c'est vrai et qu'il faut que tu le saches et que tu y crois.

Claquement de doigts. Le temps ralentit. Spider court se mettre devant, loin devant. Le temps reprend, il attend, les bras ouverts au loin. Être juste assez loin pour que tu me vois encore et te pousser à aller toujours plus vite. Parce que t'es la meilleure et que j't'aime fort.

Il a les yeux qui brillent Spider et le cœur tout compressé d'amour.

LIL SIS À ROULETTES

Oui, il est vrai qu'éviter la fête foraine, c'est plutôt facile.

Surtout ici, ici c'est grand mais petit, rempli mais vide.

Spider se demande des fois ce qui lui manque de sa vie d'avant. Sa famille, évidemment mais le monde aussi. La liberté peut-être. Il ne sait pas vraiment, il hausse les épaules, préfère se perdre dans ses pensées ici, s'enfermer ici, ne pas penser au dehors, c'est trop grand et il a une trop petite tête pour réfléchir à tout.

Là, il n'a d'attention que pour Zélie et ses roulettes de folie. Faudrait pas qu'elle tombe non plus.

Elle se jette dans ses bras et il entoure le petit corps de ses mains, caresse tendrement son dos, un sourire idiot aux lèvres. Elle est heureuse, ça lui suffit finalement. Oui, l'extérieur lui manque mais c'est ici qu'il grandit, c'est ici qu'il a commencé à exister, c'est ici qu'il y a tout ce qu'il connait.

- Moi aussi je suis content que tu sois là et qu'on soit là tous les deux.

Il prend sa main dans la sienne et se redresse.

- Faut qu'on retourne à mon sac, j'ai des gâteaux pour toi.

Il les a trouvé dans ses poches avant-hier, il ne sait pas vraiment à qui ils sont. Mais les paquets sont fermés et ça lui fait des économies.Ses yeux brillent de malice, une idée vient de germer dans sa tête, probablement pas la meilleure mais elle a le mérite d'être là.

- Et je vais te pousser pour y aller, toi tu bouges pas et moi je pousse très très vite, d'accord ?

C'est clairement dangereux, mais au pire, il amortira avec son alice et au mieux, on aura bien rigolé.