Il était un père un peu fou, ayant passé sa vie à courir, refusant le compromis et toutes les prisons dans lesquelles la société nous enferme. Il parlait fort et sans ambages, tapait du poing sur la table et sur la gueule des opposants aussi. Il vivait pour la liberté et s'enthousiasmait pour les révolutions. Il avait des yeux bleus-gris renversants et un rire franc inimitable. Sa peau était dorée toute l'année et comme le digne fils du soleil qu'il était, il éclairait son monde par sa seule présence.

Il était une mère aussi, plus réservée, plus tempérée, qui d'une caresse légère apaisait toutes les peines et les colères. Elle attachait ses cheveux en une longue tresse et lisait vraiment bien les histoires. Elle tenait à ce que l'heure du thé soit respectée et lorsqu'elle se déplaçait c'était comme si elle dansait. S'il lui arrivait de sembler froide c'est qu'elle cultivait l'élégance de ne pas répondre aux idiots, aux lâches et aux ignorants. C'était un des piliers de son univers, discret mais irremplaçable, qui maintenait l'équilibre de toute la famille.


« - Mademoiselle Hastings, vous vous trouvez une fois encore mêlée à une bagarre. Vous êtes là depuis presque deux ans mais vous êtes toujours aussi prompte à vous faire remarquer.
- Je n'ai pas besoin que vous me remarquiez.
- Silence mademoiselle Hastings ! Ne creusez pas plus le trou dans lequel vous êtes en train de vous enterrer. Est-il si impossible pour vous d'avoir une conversation normale ? Êtes vous systématiquement obligée de vous comporter comme une furie ?
- Mais on a parlé !
- Comment ça ?
- J'ai attendu la fin du cours cette fois. J'ai parlé, ensuite il a parlé, il m'a énervé, mais il a continué à parler et il m'a donné mal à la tête en plus de vraiment m'énerver. C'est seulement là que je lui ai donné un coup de pied.
- Vous êtes en train de sous-entendre que c'est une amélioration notable ?
- Oui ! Enfin...non ?
- Hastings !
- Oui monsieur ?
- Taisez vous ! »


Lorsque revenant d'une de ses aventures enfantines extraordinaires, elle passait le seuil de la maison les genoux écorchés, les chaussures pleines de terre et les yeux brillants, elle trouvait toujours sa mère, les mains sur les hanches, lui reprochant de s'être encore battue avec le fils du voisin, ou la fille d'en face, ou celui du coin de la rue ou encore celle du boulanger, si ce n'était pas encore quelqu'un d'autre.
Elle faisait alors la moue, tentant vainement de se justifier – parce que oui c'est lui qui avait commencé – et prenait un air tragiquement horrifié quand on lui ordonna d'aller s'excuser. Sa mère secouait la tête, partagée entre faire preuve d'autorité, la lassitude et l'amusement. Elle se tournait vers le père, qui lui prenait un ton faussement réprobateur, retenant avec difficulté un sourire et une œillade complice qui signifiaient 'c'est bien ma fille'. Expressions qu'il dissimulait bien vite devant le regard équivoque de sa femme.
Elle se permettait alors de répondre que c'était juste un coup de poing, dans le nez c'est vrai, mais son pied avait manqué l'entrejambe de peu, donc quelque part il avait eu de la chance et devait donc s'estimer heureux et puis c'était un jeu, ce n'était pas sa faute à elle s'il faisait un très mauvais dragon.
Un fou rire ne tardait pas à emporter la dispute et elle savait pertinemment que la scène serait amenée à se reproduire ; et même pour une enfant, il y avait quelque chose de très réconfortant en cela.



« - Je remarque que vous parveniez mieux à contrôler vos sautes d'humeur, mademoiselle Hastings.
- Ça reste compliqué les nuits de pleine lune.
- Hilarant vraiment. Comment expliquez vous ce nouveau self-control ?
-...
- Avez vous réalisé que vos bonnes notes ne suffisaient pas à justifier votre comportement ? Que votre insolence ne vous apporte qu'ennuis et sanctions ?
- Je dirais plutôt que j'adopte une nouvelle stratégie pour survivre en territoire ennemi.
- Hastings !
- Oui monsieur ?
- Taisez vous ! »


La fuite permanente les menait à des endroits différents dans des pays dans lesquels ils ne restaient jamais longtemps. Son père se jetait à corps perdu dans toutes les formes de rébellion contre le gouvernement. Si ce mode de vie était enchanteur pour la gamine qu'elle était, cela l'était beaucoup moins pour sa mère. Leur manque de stabilité, la tension, les déménagements incessants, la fatigue, l'implication de plus en plus dangereuse de son mari, finirent par avoir raison de son endurance, de ses rêves de liberté et de son amour indéfectible pour cet homme trop passionné par ce qu'il appelait la cause de sa vie.

Ils furent repérés après un énième coup d'éclat de la part de son père et de certains de ses camarades. Elle fut emmenée de force sous les yeux de sa mère impuissante et pendant que son père, ivre de rage, était maintenu au sol par les autorités. Ils ne purent se faire leurs adieux. Elle avait neuf ans.

Quelques mois après son arrivée à l'académie, ses parents se séparèrent. Sa mère retourna vivre en Angleterre auprès de sa famille et son père, après un séjour en prison, se volatilisa. Les contacts étant déjà très limités au sein de l'établissement, le passif de son père et sa propre attitude, les rendirent inexistants. Pour autant, elle est le parfait mélange entre le feu incendiaire qui animait son paternel et l'élément terre qui caractérisait sa mère au travers de son réalisme solide.


« - Félicitations pour votre passage au lycée mademoiselle Hastings.
- Merci. J'ai enfilé ma plus belle culotte pour l'occasion.
- Je vois que si votre attitude de sauvageonne s'est grandement améliorée, votre forte propension à l'insolence n'est pas prête de changer.
- Je crois que c'est viscéral chez moi monsieur, comme une mauvaise habitude.
- Oui, il semblerait que ce soit de famille malheureusement. Héritage paternel ?
-...
- Savez vous pourquoi on tolère vos caprices ? Parce que vous êtes utile. Notez bien, j'ai dit utile pas nécessaire. Vous comprenez ce que ça signifie ?
-...
- Cette affirmation silencieuse m'est agréable à l'oreille.
- Chacun ses zones érogènes monsieur.
- Hastings !
-Oui monsieur ?
- Taisez vous ! »


On ne tarda pas à lui diagnostiquer un trouble explosif intermittent. Elle porta même un bijou de contrôle pendant plusieurs années étant donné que son alice se déclenchait lors des crises. Désormais, après beaucoup d’entraînement et de pratique, elle n'est plus muselée comme elle aimait à le dire. En ce qui concerne son trouble, elle est beaucoup plus apaisée qu'avant -elle se concentre sur son objectif et sur ses études militaires- mais il est toujours déconseillé de la provoquer. Ses crises de fureur restent légendaires. Même si elle n'aime pas être réduite à sa réputation de 'folle furieuse', elle n'a rien contre l'aura intimidante que cela lui confère même si elle est beaucoup plus mesurée qu'auparavant.

Elle s'est faite à la vie de l'académie par la force des choses. Son tempérament ne se prêtant guère à pareil environnement. La vie en collectivité lui pesait beaucoup à une époque ainsi que toutes les règles lui rappelant un enfermement. Néanmoins, elle s'est adaptée au système sans le cautionner pour autant. Elle utilise autant qu'on l'utilise. Son but est de quitter l'académie avec autant de cordes à son arc que possible. Cette manière qu'elle a de se préparer à une guerre est presque inconscient chez elle. Ce qui est certain, c'est que le jour où les grilles s'ouvriront pour la laisser partir, jamais plus elle ne fera de concession.


« - Vous avez donc opté pour la spécialisation militaire ? C'est un choix intéressant. Vous allez pouvoir exploiter votre agressivité naturelle à loisir.
- C'est ce que je me suis dit.
- On ne peut qu'être admiratif devant l'acharnement dont vous faites preuve.
- Une vraie forcenée à ce qu'on dit.
- Il fallait au moins ça, je suppose. Pour votre conduite, vos ardeurs, votre alice, votre langue bien trop pendue.
- Si vous le dites.
- Ne vous faites pas d'illusion ; vous êtes ce qu'on a fait de vous.
- Je me nourris d'illusion vous savez.
- Hastings, pour une fois, taisez vous !
- Jamais. »