Décembre s’était placé sous le signe de la solitude pour Saada qui soufflait un peu mieux maintenant que Janvier avait soufflé les restes encore chauds d’une année émotionnellement mouvementée –les raisons de ces émois tumultueux tenaient en plusieurs prénoms ; Leonard, Sohan, Miel et puis peut-être avant tous les autres : Céleste.
Ils s’étaient embrassés lors de la célèbre dernière danse qui avait clôt le festival culturel –de ce baiser s’étaient révélés à elle des sentiments qu’elle n’avait encore pas soupçonnés– et avaient passé le mois qui suivit dans une petite bulle de sérénité timide, à se tenir par la main à presque chaque moment passés ensemble et voir à deux le voile de l’hiver se poser sur l’école dans un silence partagé.
Mais la bulle avait fini par éclater, et Céleste s’était volatilisé. Et quand bien même elle avait été rassurée de voir qu’il répondait toujours à ses messages malgré la terrible distance qu’il avait d’un coup instauré entre eux, Saada n’avait pu s’empêcher de s’inquiéter pour lui alors qu’elle ne le croisait plus jamais au détour d’un couloir, qu’elle ne le retrouvait plus pour lui tenir la main en regardant tomber la neige, et qu’il n’était plus à ses côtés pour la laisser ressentir les tourments qui s’agitaient en lui.
Saada avait bien souvent maudit son alice ; mais maintenant que Céleste avait fuit le plan physique qui lui donnait accès aux secrets de son cœur, et qu’elle ne pouvait rien sentir à travers un écran de pixel, elle réalisa à quel point elle s’était reposé dessus pour tenter de le comprendre.
À partir de cette réalisation là, l’adolescente songea que cette solitude avait des airs de mal pour un bien –pour tous les deux– et elle se poussa à réduire ses inquiétudes à quelques messages éparpillés chaque semaine pour prendre le minimum de nouvelles.
Le laisser gérer seul ses propres tempêtes, tout en lui rappelant que s’il en avait besoin, il savait où la trouver.

Et Janvier arrivé, Céleste lui était revenu, et le premier mot qui lui était venu à l’esprit pour le décrire en le retrouvant, c’était tangible. Le Céleste vacillant qui semblait au bord de l’évaporation n’était plus –peut-être bien que pendant tout ce mois, il s’était vraiment évaporé, le temps de mieux se condenser pour revenir sur terre, solide, revêtant des formes qu’on pouvait voir et toucher sans craindre de les voir disparaître.
Et comme si la réalité imitait la poésie de l’art, le ciel gris que peignait autrefois ses cheveux s’était éclairci de tous ses nuages pour révéler l’azur de ses cieux.

Assise à ses côtés sur le banc, elle l’écoutait en silence et sans jamais le quitter des yeux, alors qu’il vidait enfin son sac et mettait enfin ses propres mots sur tout ce qu’elle avait déjà senti en lui au moins une fois. Dans sa poitrine, une drôle de chaleur s’était répandue au fil de sa tirade, et il fallut à Saada quelques minutes pour réaliser qu’outre la profonde affection qu’elle lui portait, c’était avant tout de la fierté, qui la prenait toute entière. C’était peut-être un orgueil déplacé, mais à cet instant précis, elle n’en n’avait rien à faire : comme elle était fière, de le voir debout sur ses proches jambes.
De ses deux main, elle attrapa celle qu’il avait glissé dans ses cheveux et l’enserra avec passion de ses dix doigts.

« Je suis contente que tu me dises tout ça, Céleste. »

Tout, sans concession ; son amour pour elle, et celui plus fort encore pour ce lui dont elle ignorait encore le nom, ses peurs passées et celles encore présentes, et ses nouvelles résolutions, elle prenait tout car c’était ainsi qu’elle l’aimait –tout entier.

« Tout ce que tu dis, je le sais parce que je l’ai déjà senti en toi –elle eu un petit ricanement dépité– je le sentais mais je ne savais pas comment t’aider autrement qu’en me contentant de t’écouter quand tu voulais bien en parler, j’avais peur de te brusquer et que tu te braques si je faisais le premier pas, tu vois ? »

Crainte terrible d’être trop intrusive, de s’imposer dans le cœur des autres de la même façon que leurs émotions s’imposaient arbitrairement dans le sien.

« Alors ça me fait vraiment plaisir que tu en parles comme ça. Et je suis très fière de toi aussi. Ça a pas dû être un mois très facile pour toi… »

Tous les mots d’encouragement qu’elle avait envie de lui dire se bousculaient contre ses lèvres, si bien qu’aucun autre ne sorti, comme si le surplus sentimental la ralentissait ; et la chose qui lui parut alors la plus naturelle à faire fut de lâcher sa main pour mieux passer ses bras autour de ses épaules –elle qui songeait souvent que le dialogue résolvait tous les problèmes, se trouvait bien obligée d’admettre que parfois, une étreinte valait milles mots.

« Je t’aime aussi Céleste, et je m’en fiche si tu aimes quelqu’un d’autre. Alors va le voir si tu penses pouvoir être plus heureux avec lui qu’avec moi. »

Ça n’avait jamais été un amour possessif pour elle, si bien qu’elle ne s’était jamais sentie vraiment jalouse de sentir son cœur se serrer pour un autre ; tant que ça ne changeait rien à l’affection qu’il lui portait à elle, il pouvait bien aimer la terre entière qu’elle n’en n’aurait rien à faire. L’amour de Saada, il était léger, libérateur, encourageant, et dénué de toute contrainte traditionnelle car il était similaire à celui qu’elle voulait recevoir des autres –pouvoir être libre d’aller et venir tout en se faisant confiance les yeux fermés.
Elle déposa un baiser rapide sur la joue du jeune homme et se défit légèrement de leur étreinte pour pouvoir le regarder dans les yeux.

« Promets-moi seulement deux choses en échange, dans son regard luisait quelques espiègleries attendries et un petit sourire s’esquissa au coin de ses lèvres, déjà je veux que tu te rappelles que je suis là pour toi et que tu peux te reposer sur moi si ça ne va pas –comme lui l’avait déjà fait pour elle autrefois– comme ça, les fois où tu galèreras trop, tu seras pas obligé de t’isoler par peur de m’embêter ou je sais pas quoi. »

Saada comprenait amplement le besoin de se retrouver seul pour faire le point mais savait que ce n’était pas la seule raison qui pouvait expliquer son mois d’absence –elle le connaissait ainsi Céleste, trop gentil pour s’autoriser de trop prendre appui sur les autres de peur de les faire chuter avec lui.

« Et puis aussi je veux connaître son nom, à ton amoureux mystérieux ! »