La perfection n’était pas accessible par le commun des mortels. Yi faisait partie du commun des mortels même si effectivement, son Alice le rendait spécial. Cela dit, ça ne signifiait pas qu’il était fabuleux. Il avait des défauts, comme tout le monde, des faiblesses qu’il tentait d’effacer en toute simplicité.

Sauf aujourd’hui.

L’erreur n’était pas permise. Interdite. Il s’en voudrait bien trop.

L’anniversaire de ses amis était toujours un moment spécial qui devait se dérouler sans accroc, dans la joie et la bonne humeur. L’anniversaire de Teagan relevait d’un niveau d’exigence bien supérieur. Le Chinois se mettait clairement la pression.

C’était lui qui avait pris l’initiative d’organiser une jolie journée en l’honneur du garçon qu’il appréciait tendrement, qu’il adorait bien plus que la plupart des habitants de l’Académie. Ironiquement, les paroles du brun n’étaient pas tombées dans l’oreille d’un sourd. Il désirait un tour sur le marché de Noël, alors ils s’y baladeraient.

Mais ce n’est pas très original comme fête d’anniversaire, surtout à deux. Ce n’est pas suffisamment spécial pour être retenu.

C’est pour cela qu’il a longuement songé à une liste d’activités sympathiques auxquelles ils pourraient participer pour fortifier les liens et surtout, faire passer au garçon un magnifique moment. Le planning est prêt, il a envoyé l’heure et le lieu du rendez-vous par SMS et, évidemment en avance, il flâne au milieu des échoppes à la recherche d’un cadeau.

Mais jamais n’est convaincu.

Quand un petit stand lui offre l’inspiration dont il avait besoin. Un sourire apparaît sur son visage et il quitte en vitesse le marché de Noël direction une boutique dans laquelle il n’a encore jamais mis les pieds.

L’espoir est présent et fait battre son cœur. Pourvu que ça lui fasse plaisir.

~

Il a réservé une table au restaurant dans un coin cosy où ils seront tranquilles pour discuter, à l’oral ou à l’écrit. Ainsi, il pourra exposer à son ami le plan idéal de la journée – et lui demander, bien sûr, s’il a lui-même des idées, des attentes, des envies – et lui offrir son personnalisé présent avec le sourire. Sa poitrine le blesse.

Et s’il n’aimait pas ?

Mais il chasse ces vilaines idées et dans les toilettes rattache correctement ses cheveux en un chignon haut bien pratique pour manger et glisse sur son corps un peu de parfum. Il a mis sa plus belle chemise sans trop en faire. Une fois satisfait de son apparence globale, il retourne s’asseoir et regarde l’heure affichée par l’écran de son téléphone.

Il déglutit malgré lui. Cinq minutes. Le vin est commandé.

Il lui faut passer le temps. Urgemment. Et autrement qu’en laissant son regard fixé sur la porte. N’est-ce pas un peu étrange, inquiétant ? Yi n’a pas de mauvaises intentions et ses yeux n’ont rien de méchants. Mais si Teagan, dès qu’il entrera, remarque son impatience… qu’en pensera-t-il ? Inutile de passer pour quelqu’un de bizarre, le but est de profiter d’un moment le plus agréable possible. Surtout pour celui dont aujourd’hui c’est la fête.

Un des nombreux petits jeux présents sur son téléphone s’ouvre à la pression de son doigt tremblant. Le garçon respire. Ok, ok. En cinq minutes, il a largement le temps d’avancer sa petite ville asiatique, de draguer l’un ou l’autre garçon virtuel pour finir l’histoire en beauté. Et quand on s’amuse, l’esprit se libère et le temps passe plus vite.

Il n’entend pas Teagan arriver. Il ne le voit pas non plus, tout plongé qu’il est dans un dialogue passionnant sur fond de cours de natation avec un beau professeur musclé. Mais son ombre plane au-dessus de sa tête et il finit par remarquer que les alentours se sont assombris. Il relève les yeux. Pas de serveuse en vue, juste, son invité.

Ses joues se colorent. Au diable le bel éphèbe ! Place à la réalité, à la douceur de l’amitié ! Sans attendre, l’écran redevient noir et il se lève précipitamment dans un désagréable raclement de chaise qu’il est le seul à ne pas entendre.

– Teagan ! Merci d’être venu ! Désolé je… heu… jouais.

Yi perd ses moyens face à l’hypothétique idée que son ami ait remarqué l’application bêbête sur laquelle il était. Ce n’était pas la seule ! Peu chanceux en amour dans la réalité, il se rabattait sur des personnes qui n’existaient pas. Ridicule.

Il contourne la table et vient embrasser le front du garçon en signe de bienvenue.

– Joyeux anniversaire, ça me fait vraiment plaisir de te voir. Tu vas voir, je vais tout faire pour que tu passes une très belle journée !

Il se détourne un instant, attrape le paquet laissé un peu en retrait et le tend au jeune homme. Ses joues sont toujours un peu rouge tandis que l’instant fatidique se rapproche. À l’intérieur du papier nacré aux mille fioritures se trouve un album photo de leurs aventures depuis leur début. Tout ce qu’il a pu retrouver sur son téléphone les concernant se cache maintenant dans l’imposant livre. Des selfies, des photos de l’autre qui font chaud au cœur, des moments spéciaux, culturels, qui rapprochent… glissée entre les pages épaisses, une feuille de papier, simple mais efficace. La veille, il a attrapé son plus beau pinceau, a inscrit – en mandarin – de sa plus élégante écriture des mots qui font du bien « Tu es si important pour moi, merci d’être là, jour après jour. Superbe anniversaire ! ». Il a signé, bien entendu, a même dessiné un petit panda caché entre le bambou. C’est con, c’est niais, mais c’était important pour lui.

– Si tu n’aimes pas, je peux t’offrir autre chose !

Le stress qui monte, qui monte, comme la petite bête dans son dos, le ventre tout noué et la peur de décevoir. Yi tente de masquer ses émotions derrière un sourire tout simple, un sourire plein de tendresse pour ce garçon qu’il apprécie vraiment et pour qui il sacrifierait beaucoup de choses – dont son temps. Il s’en fait, mais c’est bien inutile : Teagan a toujours été d’une écrasante gentillesse, alors si même il n’aime pas son cadeau décidé à la dernière minute – et rien que pour cela, il s’en veut – le Chinois sait qu’il ne lui montrera pas. Doit-il être déçu ? La sincérité est importante en amitié. Savoir où et pourquoi il a fauté l’aide à progresser.

Mais ça fait si mal.

– Je ne me mets pas la pression.

Ne jamais inquiéter son interlocuteur par ses pensées négatives. Comment oserait-il ? C’est son anniversaire ! Il ferait un piètre ami s’il commençait à se plaindre aujourd’hui pour de futiles raisons ! Pourtant, tout cela n’est que mensonges. Ne vient-il pas de songer à la sincérité en amitié ? Ça ne semble aller que dans un sens. Rassurer pour ne pas blesser, mais ne pas hésiter à tout se prendre quitte à en souffrir.

– C’est le but. Comme ça, tu ne m’oublieras pas. C’est égoïste, mais je n’ai pas envie que tu m’oublies.

Et si c’était tout ce que désirait Teagan ? Se débarrasser de la gêne qu’il serait devenu ? Ok, stop Yi. Ça va trop loin. Ce n’est que paranoïa, envie d’être aimé sincèrement et pleinement et bêtises. Son regard, un instant vide, reprend de la vigueur. Son sourire n’a pas pâli. Et aux paroles de son ami, il prend une décision stupide mais pourtant si vraie, si lui.

Il le serre dans ses bras. Il l’enlace un bref instant, pour ressentir un peu de chaleur alors qu’il sent son cœur qui refroidit. Un simple besoin, un peu plus d’égoïsme.

– Merci à toi…

Car s’il n’avait pas été là, les bons moments n’auraient jamais pu se produire. Des sourires n’auraient pas pu être échangés, et le bonheur n’aurait pas irradié. À regrets, il se doit de reculer. Et doucement rejoint sa place.

– Installe-toi et choisis ton repas. Tu peux prendre ce que tu veux sur la carte !

Cet argent reçu tout au long de l’année n’est pas grand-chose et ne lui sera même pas utile. Pourquoi sacrifie-t-il ainsi ses sous pour quelqu’un d’autre ? Il l’ignore mais ne se pose pas la question alors qu’il verse le vin dans les verres. C’est simplement normal.

Lui, son choix est fait et prêt à être exprimé par les gestes à la serveuse. Une soupe piquante, des raviolis au porc et un grand bol de soupe de nouilles aux viandes diverses. Il terminera peut-être par une glace au coco. C’est si bon, pour éterniser un repas en charmante compagnie !

– As-tu des envies pour après manger ?

– Tant mieux.

Oui, ça fait du bien. Savoir que ses sentiments sont partagés, que ça n’est pas une amitié à sens unique comme il en a connu parfois. Ça fait mal. C’est douloureux dans la poitrine. Sincèrement apprécier une personne et remarquer qu’on n’est qu’un divertissement, qu’on n’existe pas réellement à ses yeux. Ça lui aurait brisé le cœur que Teagan ne le voie pas comme quelqu’un d’important, alors que ces pensées sont tout bonnement égoïstes voire monstrueuses. On ne peut pas imposer aux autres ce que l’on voudrait qu’on soit.

S’il se contente de donner, parfois, il doit bien avouer que ça ne suffit pas. Il n’est pas un saint, il est un simple humain. Il a des sentiments, un besoin d’amour et de reconnaissance. Ne pas être invisible pour ceux qui comptent. Bien sûr, ce ne sont pas des choses que l’on affirme tout haut, en public. Il n’est pas désespéré, il ne veut pas trop en demander au jeune homme qui a déjà bien la gentillesse de l’accompagner ici.

Il ne posera pas les questions qui fâchent, mais n’a-t-il pas reçu d’invitation plus importante que la sienne en ce jour si spécial ?

Et lui, fidèle au poste, attend patiemment les demandes et les envies de l’autre garçon. Il est un peu étonné d’avoir à choisir les activités de l’après-midi. Le veut-il vraiment ? Non. Ce n’est pas son anniversaire. Ses désirs n’ont pas à être réalises aujourd’hui. Ce qu’il désire ne compte pas. Alors son regard se fait perdu et il garde le silence. Détourne ensuite timidement les yeux.

– T’apprendre ? Je ne connais pas grand-chose de plus que toi, tu sais…

C’est bien vrai.

– Tu sais, c’est ton anniversaire. Alors c’est à toi de choisir ce que tu veux faire ! C’est pour toi que la journée doit être agréable.

Il sourit. La serveuse vient prendre les commandes et le garçon reprend le silence. Hors de question de parler devant une inconnue, aussi stupide cela semble-t-il. Il se contente sagement de pointer du doigt les plats qu’il désire et laisse Teagan exprimer son propre choix avant de se concentrer à nouveau sur la question qui lui a été posée.

Il ne veut pas que la journée se termine déjà maintenant. Ça serait triste. Voir son ami s’échapper si vite après le repas laisserait un goût amer au fond de sa gorge. Pour masquer son trouble, il avale une gorgée de vin.

– Il y a une patinoire, si tu veux… mais je n’ai rien à t’apprendre ; je n’y suis allée qu’une fois et suis beaucoup tombé. S’il-te-plaît, dis-moi ce qui te ferait plaisir !

Des compliments. Ça fait plaisir mais… est-ce bien nécessaire ? Ceux de Teagan ont une place toute particulière dans son cœur, il aimerait avoir la chance de pouvoir les écouter pour de vrai cette fois même si ça ne restera qu’un rêve stupide. Toutefois, il n’est pas sûr de les mériter. Yi n’a rien d’exceptionnel, bien au contraire, il se trouve très simple et sans grande saveur, pas bavard, pas le genre de personne qui attire le regard. Cependant, c’est mieux. La foule le gêne, il ne voudrait pas être entouré d’« amis » dont il ne saurait définir qui est vrai et qui est faux. Un signe léger de tête et Teagan est remercié pour ses douces paroles.

Surpris lorsqu’il le rejoint sur la banquette, se feint d’un sourire très discret lors de la photo. Il n’a jamais trouvé grand intérêt à se prendre en photo tout seul mais les autres… il y prend bien plus de plaisir. S’éclipser tout simplement ne serait pas un problème. Il ne prend pas de place, se fait tout petit, laisse son ami briller. Il résiste à l’envie de le prendre simplement dans ses bras et avale quelques gorgées supplémentaires de vin pour ne pas céder à ses pulsions ridicules. Aucun trouble ne se lit sur son visage.

Il hoche la tête. Son regard s’est accroché au visage du jeune homme pour pouvoir lire ses désirs – enfin formulés. Ça lui va, c’est ce qui était tout à fait prévu, ils trouveront amplement de quoi s’occuper pendant quelques heures. La patinoire, c’est marrant même si on tombe beaucoup. Il espère que Teagan finira par y céder même s’il n’y a pas d’obligation. Soupir discret. C’est pas gagné pour que la journée soit parfaite. Il manque d’imagination. Il n’a pas assez travaillé son sujet, dommage. Est-il encore temps de rattraper le coup ?

Et si la simplicité était la clef d’un anniversaire réussi ?

Rouge qui monte – légèrement – aux joues quand Teagan le touche. C’est surprenant, il ne s’y attendait pas, mais ça n’est pas désagréable, au contraire. La question qu’il lui pose est déroutante, et son regard se perd un instant dans l’océan de son ami. Ça bug là en haut. Un petit moment. Il se reprend, souffle.

– Je ne sais pas. Je n’ai jamais essayé. Mais fais-toi plaisir !

Petit sourire, il ne détourne pas les yeux. Le contact est vraiment agréable, curieux. Il ne sait pas d’où vient cette idée qui lui plaît.

– Que vas-tu donc écrire.. ?

Il ne trichera pas, promis. Même si ça le trouble et que son cœur bat bizarrement, il continuera de regarder le visage de Teagan, et juste son visage. C’est un jeu amusant qu’on lui propose, en attendant le repas. Ça fait passer le temps, on s’amuse, c’est ce qu’il faut entre amis, non ?

Son regard se fait perdu lorsque tout doucement, il déchiffre les mots que prononce son ami, là, sur ses lèvres. Que se passe-t-il, Teagan ? Yi ne peut se voir, Yi ne peut connaître sa véritable expression du moment, « la tête qu’il fait » alors la question le laisse un instant sans voix. Il ne comprend pas. Et ça l’inquiète. Pourquoi irait-il mal ? C’est une jolie journée, ils sont entre amis, ils fêtent quelque chose d’important. Alors il murmure :

– Non, tout va très bien.

Il accepte la main du jeune homme sur sa joue avec un sourire. Non, il n’est pas malade. Il aurait pu, avec le petit moment dans la neige quelques temps auparavant, mais il a survécu. Même pas un nez qui coule, même pas quelques toussotements. Tout est ok.

Retour à leur occupation première, écrire sur les mains. Surprenant sans trop l’être, Yi aurait bien aimé pouvoir lire les lignes de la main, toucher tendrement celle des autres et découvrir ce qu’ils sont avec ces indices qui pour certains, relèvent clairement du surnaturel et de la superstition. Le Chinois s’en fiche ; l’important c’est l’instant agréable et l’échange qu’il pourrait avoir avec une autre personne. Même si elle n’y croit pas au final.

Un nouvel apprentissage à acquérir, des compétences auxquelles s’intéresser. Peut-être pourra-t-il proposer à Teagan de s’instruire à ses côtés ?

Mais il s’arrête et Yi sourit. Il n’a pas de peine à deviner ce qui le turlupine. C’est vrai, ça sent très bon. Et il a faim. Il s’est préservé toute la matinée pour s’empiffrer une fois auprès de son ami. Forcément, ça le titille au niveau de l’estomac. Mais encore un peu de patience.

– Ça va venir. On ne nous a pas oubliés, j’en suis sûr.

Et il parvient à lui tirer les vers du nez. Il lui fait part de ce qu’il aimerait faire cet après-midi. Le jeune homme hoche sagement la tête. Il en sera selon ses désirs, même si lui ne s’y connaît pas du tout en jeux. En jeux de quoi, d’ailleurs ? De société ? Vidéo ? Il est curieux de voir. Il hoche la tête pour lui signifier tout simplement qu'il est d'accord avec ses plans.

– Ton mot commence par « b » et « i », indique-t-il avec un sourire face à l’air absent de son compagnon de folies.

Malheureusement, il n’en saura pas plus. On leur apporte l’entrée et le potage, alors il doit bien retirer son bras gênant de la table. Ses yeux lorgnent sur ce qui se trouve désormais en face de Teagan et il sourit, encore.

– J’espère que tu apprécieras. Bon appétit.

Sa voix n’est plus qu’un murmure. Il n’attends pas plus longtemps avant d’entamer sa soupe. Chaude, très chaude. Aïe.

L’ambiance est agréable dans ce restaurant. Yi ne peut le prouver lui-même mais il est certain que la musique est douce et plaisante à entendre. Les employés sont efficaces et charmants, ils ne posent pas trop de questions. Les plats sont rapidement amenés. Il n’aime pas attendre le ventre vide indéfiniment, saliver devant la tablées des autres clients et chouiner car il n’est pas assez promptement servi. Ils vont passer un moment chouette, il en est certain malgré la douloureuse sensation maintenant dans sa bouche. Il a été bête, il n’aurait pas dû goûter sa soupe à peine posée sur la table.

Et même s’il est très concentré sur la dégustation, il garde un œil à Teagan au cas où celui-ci dirait quelque chose. Partager un repas, c’est aussi de la communication. À quoi bon venir accompagné si c’est pour resté emmuré dans le silence ? Cette fois, il n’a pas à se tordre l’esprit pour trouver timidement un sujet de conversation : c’est son ami qui le propose. Yi prend quelques instants de réflexion pour trouver quoi répondre à cette interrogation. Ce n’est pas si facile ! Noël n’est pas le moment de l’année qu’il préfère, loin de là. Premièrement, il ne se sent pas concerné, mais aussi, parler de réjouissances, de famille quand on n’en a plus… ça rend triste.

Mais au moins, c’est l’occasion de rendre le sourire aux autres même si on est malheureux à l’intérieur.

– J’ai acheté quelques cadeaux. Il m’en manque peut-être un ou deux et je dois préparer le reste… j’aime bien faire des gâteaux car au moins c’est gratuit et c’est bon ! Et puis c’est véritablement utile : ça ne moisit pas sur un mur en attendant un miracle.

Il rit légèrement et avale un ravioli.

– Mais tu sais, je n’aime pas vraiment Noël. C’est surtout l’occasion de bien manger ! Et toi, tu fais quelque chose ?

C’est vraiment délicieux. Et le jeune homme en face de lui est charmant. Il apprécie vraiment Teagan. Il passe de très bons moments avec lui. Pourrait-il d’ailleurs lui proposer de le voir le soir de Noël ? Lui remettre son cadeau, peut-être échanger quelques rires, boire un coup et parler, simplement parler. Il l’entraînera dans la neige, dans les folies de l’hiver.

Ses espoirs volent en morceaux en une fraction de seconde. Il vaudrait mieux éviter. Ses joues se colorent terriblement de rouge. Il se sent con. Bon, ben… il ne sera pas accompagné cette année encore. Dommage !

– Une conquête ? Je me demande bien qui je pourrais conquérir… je n’ai pas grand monde en vue, et je suis certain que les quelques personnes sympas sont déjà invitées ! Je n’ai pas été assez rapide mais ce n’est pas grave. L’amour ça fait trop mal. Je vais éviter de me rendre au bal. Y’a des séries sympas à regarder ce soir-là !

Il sourit mais ça fait mal à l’intérieur de lui. La main à peine tremblante, il avale d’un trait son verre de vin et termine son dernier ravioli. Bientôt, on vient les débarrasser.

Avant de s’habiller pour rejoindre Teagan – ou était-ce l’inverse ? –, Yi s’était pourtant imaginé lui poser cette question. Si oui ou non, ça lui plairait de passer la soirée avec lui. À manger, à rigoler, ne serait-ce que loin des autres, tous les deux dans la neige qui tombait bien. Peut-être aurait-il même osé passer un bras autour de ses épaules dans le but de le rapprocher, de le réchauffer. Des rêves, des idées qui ne resteront qu’à ce stade immatériel. Dommage ! Il restera au lit après avoir dévoré le buffet.

La conversation dévie sur ce que Yi a, avec le temps, oublié. Des sentiments qu’il voudrait à nouveau ressentir et en même temps repousser loin de lui. Teagan soulève une bien belle interrogation, le paradoxe de sa situation personnelle dont il ne sait rien. Il indique qu’il n’a que peu d’expérience dans le domaine, et ça le fait sourire. C’est mignon. Et c’est toujours intéressant de se poser des questions. Cette merde pourrait, après tout, lui tomber sur le coin du visage alors qu’il ne s’y attendait pas.

– Le sentiment amoureux en lui-même est merveilleux, je pense. La relation qui aboutit positivement laisse rêveur et… on se sent bien. Épanoui, heureux. L’amour fait mal à partir du moment où ce que tu ressens n’est pas partagé. Où tu vois la personne que tu aimes partir avec quelqu’un d’autre. Tu es jaloux, triste. Ça peut détruire. Ce serait trop facile si les sentiments étaient toujours réciproques.

Puis, conscient qu’il avançait des idioties bateaux :

– Ce n’est pas grave si tu n’as encore aucune expérience. Ce n’est pas une fatalité. Peut-être t’épargnes-tu bien des peines et des désillusions. Je suis certain qu’un jour, ça arrivera. Que quelqu’un t’aimera vraiment très fort et que toi aussi.

Il attrape, fugace, la main de l’autre garçon et la serre un instant dans sa paume avant de se retirer. Bref mouvement de réconfort, sourire l’accompagnant. Joues qui ne deviennent pas moins rouges avec le temps, mais il n’en a pas vraiment conscience.

– Tu n’as pas à t’excuser. C’est ça aussi, l’amitié : pouvoir parler de tous les sujets qui nous tiennent à cœur sans ressentir la peur d’être jugé. Moi, ça ne me dérange pas.

Même s’il ne maîtrise pas parfaitement le sujet. Le tir-à-l’arc est bien plus aisé à aborder pour lui. Avec le temps, il a appris tout ce qu’il avait à apprendre. Restait maintenant la pratique. Son geste ne sera jamais parfait.

– Je verrai, fit-il avec un sourire.

Il n’était plus certain maintenant de trouver le courage d’aller jusqu’au bal sans la personne qu’il aurait aimé voir à ses côtés dans un costume superbe. Personne ne l’inviterait, et il se retrouverait, grande perche au milieu des couples et des groupes d’amis à s’ennuyer. Tant pis, ça ne serait pas la première année qu’il se présentait là juste pour un repas avant de retrouver sa chambre. Y aurait-il un amant qui accepterait de le tenir dans ses bras ce soir-là pour éviter une peine ?

– Si je veux ? Si je veux quoi ? Est-ce une invitation ? J’avoue, j’ai un peu délaissé les séries ces jours-ci. Je m’entraîne beaucoup au tir-à-l’arc.

Sans oublier les moments trop longs sur le marché de Noël. Les gâteaux, les repas préparés dans l’ombre de la cuisine. Oui, Yi s’est occupé comme il a peu pour prendre part à l’euphorie tout en l’ignorant.