Quand Oxana avait dit qu'il faudrait assumer les conséquences, on n'avait pas tout de suite vu celle qui porte ton nom. Dans l'ivresse de la chaire, dans l'ivresse de l'amour on s'était plongé sans remords, aucun. On avait brûlé la nuit, enfin, sentiment d'accomplissement merveilleux. Ça avait été elle et lui. Seulement voilà, dans l'équation il y avait une inconnue. Dans l'équation il y avait ton visage, ta fonction avec laquelle on se devait de composer. Le matin même on n'y avait pas pensé, le jour d'après non-plus. C'est avec le temps et seulement avec le temps qu'on avait réalisé qu'il faudrait t'inclure dans la partition. Honnêtement, ça ne le dérange pas, Judas conciliant, Judas qui place le mot famille en face du mot sacré. En y réfléchissant, ça tombait sous le sens, ça ne pouvait être autrement. Loin de lui l'idée de s'y opposer, on ferait avec toi et puis c'est tout.

Mais toi est-ce que tu ferais avec lui ? Il y avait-il dans ton équation à toi une place pour une nouvelle variable ? On a longtemps surpris tes regards de tueurs, la jalousie qui pulse les veines. On n'a jamais interrogé cette partie-là de toi parce qu'elle semble essentielle. Judas sait, à quel point on peut tenir à quelqu'un au point d'en faire sa moitié, une part de son propre être, une extension de son propre corps. Judas sait, à quel point on jalouse les amants du jumeau, à quel point on jalouse ceux qui gravitent autour, ceux qui vole un temps qui pourrait être notre. Judas sait, et Judas ne se sent pas la légitimité de te juger quand lui tremble de colère quand on monopolise trop Zephyr, quand on s'approche trop d'Isis. Quand on s'imagine à deux on ne veut pas considérer les autres. On voudrait que ce soit une partition qui ne comporte que nos deux noms et au diable le reste. Ce qui n'est pas semblable est un corps étranger nocif, une menace. Judas sait, Judas comprend. Mais Judas n'a pas la délicatesse de se retirer de la formule par compréhension. Il veut imposer ses termes, sa couleur à votre tableau. Parce qu'on aime Oxana et qu'on ne veut pas se priver de ce sentiment pour là pour toi. Le seul sacrifice du genre qu'on pourrait faire serait pour elle et rien que pour elle. Même sang mais pas même visage, c'est là toute la différence Xan.

Depuis la nuit dans ses bras, depuis qu’on s’échange des baisers volés dans les coins peu fréquentés de l’académie on sait qu’il faudra un moment te confronter, te dire qu’on existe, te dire qui on est maintenant, ce qu’on compte être demain. Mais manque de courage, Judas, profite du fait que tu n’engages pas la bagarre pour ne pas avoir à le faire. Entre deux lâches, on n'avance pas, alors le destin a décidé d’y mettre son grain de sel. Alors qu’on prépare les plats de Noël, on vous a fourré ensemble à l’atelier des biscuits salés.

On sent ton regard dans notre dos, sans doute sens-tu aussi le nôtre. Des choses à se dire on en a, on doit, mais on ne veut pas. Alors qu’on pétrit la pâte à deux mains on glisse de ton côté.

« Faudrait foutre un peu plus de sel. »

On ne parle pas du tien.
Les mots meurent sur le bord des lèvres avant d’avoir pu s’envoler dans les airs. Il avait oublié, tu sais, à quel point c’est compliqué, de dire qu’on doit parler.