Bon. La vie, c'est nul. On est tous d'accord avec ça. Pourtant, toi t'es assis sur les escaliers, observant l'horizon sagement, la clope au bec. Tu fumes depuis que tu bosses ici, comme pour passer l'ennuie, comme si ce bâtonnet de poison te permettait de passer de meilleures journées. Spoiler Alert : C'était pas vraiment le cas. Mais ça permettait de passer le temps. Et de faire des vraies pauses, te forcer à sortir prendre l'air.

Alors t'étais là, assis sur les escaliers de secours du bâtiment des lycéens, les fesses collées au fer encore trop froid. Parce qu'il caillait sa race. T'avais rajouté un gros sweat en laine beige par dessus tes éternels t-shirts noirs. Parce que, c'est moins sexy mais la morve qui coule du nez ça l'est pas non plus. Alors t'as pas voulu tenter le diable. T'as un bon système immunitaire,  mais t'arrive quand même à chopper un ou deux rhumes par an. Comme si tes globules avaient besoin d'un exercice "en cas d'urgence". Pour être sûre qu'elles fonctionnent encore bien. Tu t'en passerais bien, cela-dit.

Le reste de la journée se passé aussi calmement que possible. T'as collé deux abrutis qui tentaient de forcer la sortie, des p'tits nouveaux qui pensaient être plus fort ou plus intelligent que les autres. Sauf que, hey, non. Alors comme pour tout le monde : direction la colle. Ensuite, tu t'es joué l'administration. Des petits plannings, de la paperasse en retard. T'as fini à l'heure et, tu t'es dis que t'allais passer voir ta grande amie.

Daisy avait été ton seul amour ? Enfin, un amour d'ado mais qui avait suffit à te vacciner. Au fond, tu l'appréciais. Et t'étais pas mécontent de l'évolution de votre relation, ça te permettait de pouvoir passer du bon temps même quand t'avais pas possibilité d'aller courir les bars. Bon, évidemment, quand elle était disponible et d'accord. Alors, ce soir-là, t'avais collé deux coups secs contre la porte de son antre. T'avais passé la tête ensuite, ce sourire éternellement accroché au coin de tes lèvres.

Salut beauté, ça te dis un p'tit netflix & chill après dîner ?

Toujours classe et discret, t'avais ta tête des bons jours. Ceux où t'es d'humeur taquine. Mais t'avais l'impression que ça n'était pas le cas pour elle. T'avais appris, peu à peu, à détecter des réactions chez elle. Et celle-là, elle te disait que t'allais vraiment chill ce soir. Netflix ou pas, elle n'allait pas être d'humeur.

Ca va ?

Il n'est pas inconnu que tu n'es pas la personne la plus soucieuse des autres qui existe. Tu serais même plutôt du genre à t'en foutre complètement. Même dans tout au fond de toi, tu te soucies parfois bien plus que ce que tu ne le voudrais. Et Daisy est de celles pour lesquelles tu pourrais t'inquiéter sincèrement. Parce que vous avez un passif, un vécu. Parce qu'elle a été présente dans ce passé que tu n'estimes pas si important.

Mais tu n'es pas non plus la personne la plus apte à voir les signes et les messages subliminaux. Tu n'es d'ailleurs jamais le dernier à te retrouvé couillonné par les événements quand ils surviennent parce que tu ne les as pas vu venirs.

Néanmoins aujourd'hui, tu vois l'air fatigué de ton amie. Tu la vois réfléchir outre mesure à ta proposition pour la débouter sans être désagréable. Tu entres lorsqu'elle te le permet et penche un peu la tête en allant t'assoir dans un coin de la pièce.

Noël… Quelle connerie quand même. Tout ça pour qu'un vieux pervers offre des cadeaux à de sales mômes. J'te jure, c'qu'il faut pas entendre. Essaie quand même de pas te laisser submergée par ces p'tits merdeux.

Tu en as coincé des petits malins qui tentaient de faire le mur pour soit disant aller acheter des cadeaux de noël, ou pour aller batifoler à l'extérieur. Parce qu'en plus il paraît que c'est romantique comme saison.
Bullshit.

Ca m'va pour le dîner. T'as besoin d'un coup de main sur un truc ?

En bon samaritain du jour, tu pouvais bien l'aider à avancer un peu plus vite sur un projet. Ca lui permettrait peut-être de dormir.

Tu observes ce qui se rapproche le plus d'une amie faire des allers-retours entre son bureau, le reste de sa chambre, sa salle de bain. Tu vois bien qu'elle semble préoccupée mais tu mets ça sur les raisons qu'elle te donne : noël. Tu n'as jamais été fan de cette période. T'es un homme de la chaleur : tu aimes le mois de juillet brûlant, les filles en maillot de bain sur les plages, les glaces, le thé glacé et l'océan. Alors la neige et les plats en sauce, c'est pas ton truc. Surtout que bon, t'as pas été étouffé dans ton enfance par l'affection familiale. Du coup t'es pas convaincu, clairement.

T'es sûre de toi ?

Tu te désignes toi-même du doigt, un sourire amusé. Tu étais TECH et tu n'étais jamais le dernier à foutre le bordel. On pouvait te trouver charmant pour ça, parce que tu étais drôle la plupart du temps. On pouvait s'agacer de tes conneries aussi. Et parfois tu allais trop loin, comme cette fois là.

J'pense que ce sont tous des petits merdeux. Y'en a pas un pour rattrapé l'autre. Qu'ils soient enthousiasmés par Noël c'pas une raison. Et si tu veux quelqu'un pour jouer le mauvais flic, appelle moi, j'adore ça.

Il réfléchi aux périodes de noël qu'il avait passé ici. Il ne l'avait jamais attendu particulièrement mais elle ne l'avait jamais dérangée non plus.

C'était passable. Mais j'aime pas noël donc je suppose que je ne suis pas la bonne pour la défendre.

Il eut un petit sourire et se redressa.

Quelle famille ? J'ai pas d'famille, j'vais passer noël ici à surveiller les sales gosses.

Et peut-être que pour ceux qui sont malheureux, t'organiserait une soirée jeux ou un truc du genre pour qu'ils voient pas la journée passer. Mais tu ne dirais rien, faudrait pas qu'on croit que t'es quelqu'un de bien.

Tu sais que toute cette situation pue, littéralement. T'es bien placé pour savoir que les règles se durcissent et que les élèves sont les premiers à en payer les pots cassés. Et il sait bien ce qui se trame dans la tête de ces gamins, ils sait bien qu'ils rêvent de liberté et d'indépendance. Il était à leur place il y a encore peu de temps. Et on lui aurait dit que c'était pour son bien qu'il aurait rit au nez de ses profs. Alors il sait que c'est la merde, parce que rien ne pourra raisonner les p'tits cons qui veulent absolument se barrer et qui essayeront encore et encore.

Ca tombe bien, j'pense que j'serais jamais fais pour ça. J'ai pas la patience.

C'était contradictoire puisque tu passais ta vie à encadrer des mômes. Mais les tiens ? Ca te semble infaisable. Inconsidéré. Tu n'as pas décidé que tu n'en voulais pas, mais c'est clairement loin d'être le but de ta vie. Tu veux vivre ta vie comme tu l'entends et tranquillement, sans chiard. Et puis bon, t'as pas eu un modèle paternel excellent, à quoi bon reproduire les mêmes erreurs ?

Je ne comprends pas pourquoi ils font ça. Honnêtement, ils sont complètement à côté de leurs pompes. Les gamins sont arrachés à leurs familles et à leurs vies et détestent cet endroit pour une grande partie, et t'en rajoute en les enfermant et en privant leurs libertés ? Y'a une rébellion qui leur pend au nez. Et j'suis pas sûr d'être une grande aide à c'moment là.

Parce que tu ne le voudras pas ou parce que tu le pourras pas ? Tout dépendra à qui tu t'adresses à ce moment là. Parce qu'au fond, t'es un rebelle dans l'âme. Et t'es pas vraiment okay avec ce qu'ils mettent en place. Tu ne feras rien qui te mettrais en porte-à-faux mais tu n'aideras pas l'un ou l'autre des parties.

Je sais pas. J'suis pas réellement en manque d'une famille. Honnêtement, j'ai aucune idée de ce à quoi ça r'ssemble. J'suis pas malheureux sans ça. Après, on verra ce que la vie me réserve mais, ça m'va comme ça.

Un éternel solitaire ou un imbécile heureux. Au fond, tu fais le fier, mais t'as peur. Tu t'en rends pas compte parce que tu t'es tellement forgé autour de ça mais, t'as peur qu'on ne t'aime jamais entièrement, alors tu tiens les autres à bonne distance à l'aide de sarcasme et autre particularité dont tu as le secret.

Prête ?

Parce que t'as faim et que t'as pas envie d'entrer en psychanalyse. On verra bien ce que te réserve l'avenir, pour l'instant tu préfères te concentrer sur les bruits suspects de ton estomac.