- Vas-y Penelope, à toi de jouer.

La petite fille prit une grande inspiration, gonflant ses joues, et tendit la main vers un camarade.

- Ce ne sont pas les droïdes que vous recherchez.

Aussitôt, le regard du garçon sembla perturbé, comme si son esprit s’embrumait, et il répéta bêtement :

- Ce ne sont pas les droïdes que je recherche.

Les trois gamins échangèrent un regard complice puis se mirent à rire en chœur.

- Ouais, bravo ! T’es une vraie Jedi, Penelope.

- Haha, j’ai rien compris mais c’était marrant.

- Merci, vous avez raison. Mais monsieur Winchester dit qu’il ne faut pas utiliser son Alice à tort et à travers, qu’il convient de respecter les autres.

Les autres gamins ne semblèrent pas comprendre là où elle voulait en venir.

- Tu ne fais aucun mal Penelope. On ne fait que jouer.

Ils n’avaient pas tort, cependant Penelope, à peine âgée de cinq ans, s’appliquait déjà à respecter le règlement de l’académie au pied de la lettre. Elle comprenait les enjeux et écoutait avec rigueur ce que lui disaient les adultes. En d’autres mains, son Alice « Hypnose » aurait pu être utilisé à de mauvaises fins. Si elle n’avait pas été entre ces murs, elle aurait très bien pu manipuler l’esprit de ceux qui seraient venus la chercher et ne jamais entrer à l’académie. Mais elle était née ici, sans avoir pu connaître ses parents. Pourtant, elle savait qu’ils étaient encore vivants quelque part. Elle l’avait appris en usant maladroitement de son Alice sur le directeur du primaire, alors qu’elle ne voulait à l’origine que lui poser une question à leur sujet. Si bien qu’il lui avait révélé qu’ils avaient été en ces lieux autrefois, mais qu’ils étaient ensuite partis, l’abandonnant aux soins du personnel.

Pourquoi l’avaient-ils laissée ?

Orpheline, sans possibilité de réconfort. La question taraudait continuellement l’esprit de la jeune fille. Si seulement elle pouvait user de son Alice sur elle-même pour faire ressortir les micro-souvenirs qu’elle devait avoir de ses parents à sa naissance, détenus enfouis tout au fond de son être. Ce cheminement de pensées l’amena à une réflexion plus altruiste dont elle fit part immédiatement à ses aînés puis à Winchester.

- Je pourrais aider les autres avec mon Alice. Leur dire de se souvenir de certains moments précis de leur vie pour qu’ils puissent avancer.

La jeune fille se retint d’ajouter, « ce que moi je ne peux faire ». Malgré le masque employé par Penelope, Winchester n’était pas dupe et il percevait clairement ce qui la mettait à mal et l’avait poussée à une telle réflexion. Néanmoins, il avait les mains liées et ne pouvait rien faire pour elle, si ce n’est espérer que contribuer au bonheur des autres lui permettrait d’atténuer sa propre douleur.

Par la suite, Penelope devint une élève studieuse qui s’entraînait sous surveillance avec son Alice dès qu’elle en avait l’occasion pour le développer et lui permettre de soigner les individus possédant des troubles psychologiques. En parallèle, son nombre d’étoiles grimpait en flèche et ses conditions de vie s’amélioraient en conséquence. Elle gagna plus d’argent de poche, qu’elle put dépenser dans de nouveaux livres, ce qui lui permit de gravir de nouveaux échelons. Et ainsi de suite jusqu’à devenir Major tel que l’est son modèle Orion.

Sur le papier, Penelope aurait dû à plusieurs reprises avoir le droit de rendre visite à une personne de son choix, à savoir l’un de ses parents, mais la direction lui a toujours refusé ce privilège et n’ayant personne d’autre à rencontrer hors de l’enceinte de l’académie, la rose n’a finalement jamais mis un pied dehors. Pour elle, qui fait confiance au système, tout ceci est lié à ce qu’ont fait ses parents avant de disparaître. Elle se dit qu’ils ont peut-être disparu ou qu’ils sont partis vivre très loin de là. A moins qu’ils aient simplement formulé de ne jamais vouloir la revoir. Alors une idée toute simple lui vint en allant voir Orion.

- Pourrais-tu la prochaine fois que tu sortiras d’ici, demander à quelqu’un de découvrir ce qui est arrivé à mes parents ?

Évidemment, c’était le cri désespéré d’une pauvre gamine qui ne parviendrait certainement jamais à savoir la vérité sur ses origines. Toutefois, elle continua de vivre avec plaisance au sein de l’académie. Le volley était devenu l’une de ses activités préférées. Elle appréciait aussi se rendre au cinéma regarder des documentaires. Bien que sa chambre soit composée d’amas de bouquins déposés ci et là, elle n’arrivait pas à dépenser tout son argent, qu’elle gardait précieusement de côté à la banque. Ainsi, lorsqu’une soudaine envie de confiseries lui prenait, elle se ruait dans le magasin de bonbons et en dévalisait le stock. Elle les mangeait ensuite recroquevillée sur son lit, misérable, en lisant des contes de fées.

Dans les contes, les histoires ont toujours une fin heureuse. Donc en théorie, il était logique de penser qu’elle aussi aurait droit à la sienne. En attendant, elle atteignit le collège et fut placée sous la surveillance de sa directrice. Celle-ci intriguait beaucoup la rose qui se demandait quels secrets pouvait cacher une femme aussi mystérieuse. Elle avait entendu parler par ses aînés du Temple et des jeunes filles qui s’y rendaient, mais elle n’avait absolument pas envie de gagner ce privilège qui l’inquiétait beaucoup, car comme toute petite fille, Penelope se créait ses monstres du placard. Agatha Windsor en était un, qui lui faisait froid dans le dos. Pourtant, la directrice n’avait jamais rien fait qui vaille une telle méfiance de la part de Penelope.

Une autre de ces créatures effrayantes de petite fille était la forêt bleue. Plusieurs choses venaient provoqués cette crainte, qui n’était rien de plus qu’un frisson dans le dos à l’idée de la pénétrer, dont sa proximité avec les barrières de l’académie. Penelope ne les avait jamais approchées et seulement vues de loin. Elles abritaient de leur autre côté un monde qui lui était connu que par des récits et des illustrations d’ouvrages plus ou moins réalistes, comme des manuels ou des romans. Elle détenait tout ce dont elle avait besoin dans l’enceinte de l’académie, alors pourquoi tenterait-elle de s’aventurer de l’autre côté ? Même elle, reconnaissait que retrouver ses parents par ses propres moyens serait une entreprise folle et insensée.

Néanmoins, elle commença à se poser de réelles questions sur ce qui se trouvait de par-delà la barrière de la directrice lorsqu’elle croisa le chemin d’un autre élève. Ce garçon, quasiment adulte, était paniqué. Ses crises de panique le rendaient insomniaque. Penelope pensa d’abord qu’il pensait approcher de l’échéance de son pouvoir, mais en discutant avec lui, elle vit que c’était un tout autre problème, dont il refusait de parler.

- T’es gentille, mais laisse-moi. Tu ne peux rien pour moi.

- Au contraire, je sais comment t’aider. Mon Alice peut t’aider si tu veux bien.

- J-Je… Tu peux vraiment faire ça ? Tu peux me faire retrouver le sommeil ?

- Pour être exacte, je peux t’ordonner et te donner l’envie de dormir. Ça n’enlèvera pas tes problèmes, mais tu seras déjà plus en forme pour les affronter.

Souriante, la rose inspirait la confiance. Le garçon se laissa séduire par la proposition et à l’heure du nouveau couvre-feu, elle le rejoignit pour effectuer ce qu’elle avait dit. Mais au moment où l’esprit du garçon était embrumé, elle voulut en savoir plus pour pouvoir faire plus. Qu’est-ce qui pouvait autant inquiéter ce garçon au point de lui en faire perdre le sommeil ? Si elle le découvrait, elle pourrait en faire part au personnel médical qui saurait bien mieux qu’elle comment traiter la situation. Alors, elle demanda :

- Peux-tu me dire ce qui te cause tous ces tracas ?

- Je vais bientôt être envoyé en mission.

Mission ? De quoi parlait-il ?

- Quel genre de mission ?

- Je n’sais pas. Les élèves de ma classe sont parfois appelés à se rendre sur le terrain.

Voilà qui était particulièrement obscur pour la collégienne. Elle leva un sourcil et poursuivit son interrogatoire.

- Et de quel classe s’agit-il ?

- La classe DANGER.

DANGER… Comme son nom l’indiquait, elle contenait tous les énergumènes les plus terribles de l’académie. Ils n’avaient pas forcément un mauvais fond, c’était souvent des élèves dont les pouvoirs de leur Alice surpassaient grandement les capacités de leur corps et les mettait en danger eux autant que leur entourage. Donc en quoi l’académie pouvait-elle avoir besoin de ces élèves instables ? Elle n’était pas trop jeune pour comprendre que c’était louche, mais elle fit comme si de rien était et finit par tenir sa part du marché, endormir le garçon et retourner à sa chambre avant que le couvre-feu ne soit définitivement sonné.

Tout de même… Elle n’avait jamais entendu personne parler de telles « missions ». Sous l’effet de son Alice, cet élève n’avait pas pu mentir. Elle devrait mener sa petite enquête pour découvrir la vérité. En attendant, Monsieur Nounours avait grand besoin d’un câlin lui aussi pour s’endormir. Elle se blottit contre sa peluche adorée et ferma ses paupières vers un nouveau jour.