Un carnet, une extension de son être. Une partie qu’il cache farouchement, mais qu’il a besoin de coucher à l’écrit. Tout lui parait plus clair, lorsque la mine de stylo glisse sur le papier. Que les sinogrammes s’entassent sur les lignes comme autant de mots butant sur ses lèvres. Et puis, il y a ces nombres dispersés aux sens cachés. Et une colonne de zéros qui l’encourage. Une succession de rien qui lui murmure qu’il se maintient. Félicitations, tu n’as pas laissé le monde extérieur t’engloutir. Félicitations, tu n’as pas été trop dur avec toi-même.
Problème, le carnet que Teagan tient dans les mains n’est pas le sien.
Il s’en est rendu compte juste avant de s’endormir. Après avoir tourné et viré dans son lit, il a rejoué sa journée en boucle. De ses souvenirs, il extrait une scène. Lui, les bras chargés, percutant un autre élève. La confusion. Des excuses soufflées avec précipitation. L’échange était forcément arrivé à ce moment-là.
Se redressant, le jeune homme piétine à proximité de la fontaine.
Le carnet recèle sûrement un indice sur son propriétaire, mais Teagan n’est pas allé au-delà de la première page. Contenu trop intime. Pas l’âme d’un voyeur. Sa sensibilité qui le taillade. Rien que d’avoir l’objet entre les mains suffit à le mettre mal à l’aise. Alors, avant de quitter les dortoirs, il a laissé un mot dans le hall du bâtiment. Carnet perdu cherche son jumeau égaré dans un autre foyer. En dessous, il avait ajouté une heure et un lieu. Puis il était parti avec trop d’espoirs. Que personne n’arrache le mot. Que celui qu’il avait croisé se reconnaisse. Que leurs horaires coïncident.
Levant les bras, il s’étire, grommèle en les laissant retomber mollement. Reste en suspens, entre attente et appréhension. La flèche du temps avance à son rythme, sans pour autant lui dire s’il a raison d’avoir peur ou non. Peut-être que son bien n’est pas tombé entre de mauvaises mains.
Teagan arrête de bouger.
Pour l’arrivant, au premier plan, le carnet tenu avec cérémonie et derrière son sweat noir. Le noir intégral trahit, chez lui, un réveil difficile et un désir de rester loin des assemblages de couleurs douteux. Des traits dorés sur son casque apportent la touche de fantaisie nécessaire.
A défaut de se déhancher, il fredonne une mélodie. Et se répète « ça va aller ».
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Sujet: Re: Morceaux d'âmes • Avelino Jeu 14 Nov - 17:36
morceaux d'âme
Il y a des moments où rien ne va, où tout tourne de travers, et où on a beau faire des pieds et des mains pour garder la tête hors de l’eau, une Entité divine s’acharne et laisse des traces.
Dans le jargon, on appelle ça une journée de merde.
Avelino y est abonné, tout comme il donne quelques rabbits chaque mois pour regarder en toute tranquillité des animes et films. Cependant, l’un est bien plus agréable que l’autre. Et le Portugais se dit que parfois, il devrait suivre son instinct et simplement rester un peu plus dans sa chambre.
Sortir n’est pas bénéfique. Source de frustration, de tristesse et de bêtises.
Méphitique et putride monde dans lequel il peine à trouver, pleinement, et comme tous, sa place, sa juste place.
Pourtant, quitter le cocon doux de sa chambre a des côtés capiteux. Quand il a de la chance, quand son jour n’est pas gâché entièrement par une succession malheureuse et infortunée d’événements bêtes et ridicules.
Aujourd’hui, cette bonne fortune, si rare, n’a pas posé son délicat regard sur lui. Bien au contraire, elle a détourné les yeux, loin. Il n’est rien.
Et il a fait preuve, encore, d’une merveille de maladresse en percutant sans vergogne un élève dans les couloirs. Volontaire ? Bien évidemment que non. Avelino ne fait de mal à aucune mouche, Avelino n’est pas capable de commettre des méfaits – sauf, rares exceptions. Ses affaires sont tombées, éparpillées sur le sol. Celles de l’autre garçon également. Panique, agitation. Mouvements désordonnés, paroles égarées et excuses percutantes. Il a essayé de se faire pardonner pendant tout le temps passé à ramasser ses cahiers. À faire un joli petit tas avec ceux de son vis-à-vis. À s’excuser encore, et à partir dans de petits pas précipités.
Grossière erreur.
Tout ça est de sa faute.
Il s’est rendu compte, en rentrant le soir, que son précieux cahier – rédigé en un semblant de mélange entre le portugais et l’anglais – n’était plus sien. Mais qu’il possédait, entre ses mains tremblantes, celui d’un autre. Il n’a pas lu l’intérieur – l’aurait-il seulement compris ? – et s’est posé de nombreuses questions. Que faire ? Il ne peut laisser ses précieux secrets chez un individu inconnu. Il doit récupérer son journal intime.
Seulement, il n’a pas regardé le visage de sa victime.
Et n’a aucune idée de son identité.
Évanescent enfant ayant préféré fuir plutôt que de se confronter directement à celui qu’il venait de bousculer. Sans douceur.
Mais la solution est apportée au détour d’un couloir. Y’a un mot, et Avelino le voit. La personne veut récupérer son cahier. Ça tombe bien. L’horaire lui convient, mais il n’est pas dans de bonnes dispositions pour trottiner jusqu’au « rendez-vous ».
Il le doit, pourtant. La malhonnêteté ne le connaît pas.
C’est ainsi qu’il arrive, bloqué dans son uniforme trop grand, les joues rouges mais dissimulées par la masque, la tête pleine de questions stupides. Comment réagir ? Que dire ? Vont-ils seulement parler ? L’inconnu va-t-il lui adresser des remontrances ? Comment pourra-t-il faire face ?
Il ne sait pas. Il étouffe. Il est écarlate, et son cœur bat.
Il ne regarde pas ce jeune homme. Ses yeux timides n’osent croiser les siens. C’est à peine s’il bafouille des paroles compréhensibles, dès qu’il apparaît en face de lui.
– Hem… bonjour… je… j’ai ton carnet je crois, et toi tu as le mien.. ?
Alors qu’un jeune homme s’approche, Teagan reconnaît la stature puis le masque. Un élément qu’il aurait pu utiliser pour rechercher le propriétaire du carnet. Mais après réflexion, ça aurait peut-être trop fait chasse à l’homme, non ? Rajouter de la gêne à la gêne… Non, son message était bien mieux comme ça. Et puis, il a fonctionné. C’est l’essentiel.
L’inconnu a l’air de tenir du doux géant plutôt que de la brute prête à en découdre. Teagan réprime un soupir soulagé, mais son cœur se calme. Franchement, il ne sait pas comment il aurait réagi, si un fou furieux avait déboulé sur lui. Après avoir même peut-être lu son journal ! On ne peut faire confiance à tout le monde. Expérience déjà faite.
— Salut, commence-t-il en observant le jeune homme. Oui, j’ai ton carnet, mais ne t’inquiète pas… Quand je me suis rendu compte que ce n’était pas le mien, j’ai juste vérifié s’il n’y avait pas de nom écrit sur la première et la dernière pages.
Teagan réduit la distance entre eux. Puis tend le carnet.
— Je m’en suis rendu compte un peu tard, désolé. Si j’avais regardé plus tôt mes affaires, j’aurai pu mettre dans le dortoir avant que tout le monde aille se coucher.
A la fin de sa phrase, il se mord l’intérieur de la joue. Ce besoin de justifier, d’arrondir les angles, de s’expliquer dans une situation embarrassante. Cette peur de blesser ou de déclencher un conflit l’oriente dans une direction plutôt qu’une autre. Il tient beaucoup de l’être paisible au fond. Et il espère secrètement que l’autre élève est comme lui. Fera-t-il des histoires après avoir récupéré son carnet ? Fera-t-il courir une rumeur ? Lui nuira-t-il d’une quelconque façon ? Toutes ces questions, il est obligé de les garder. D’attendre. D’espérer.
Un sourire se dessine sur ses lèvres. Les mots lui manquent, alors comme il peut, il compense. A moins de cas de force de majeur ou qu’il s’agisse des cours, engager la conversation avec un inconnu est toujours laborieux. On fait ce qu’on peut avec la personnalité qu’on a.
It is only through the eyes of others that our lives have any meaning. Can you understand? Not having a dream... not being needed by anyone... The pain of merely being alive.
morceaux d'âme
Et Avelino s’est inquiété pour rien. Un flot d’insultes ne vient pas assaillir ses oreilles, et la jeune personne en face de lui ne semble pas plus furieuse que cela. Un soulagement perceptible prend place dans son esprit et dans son corps ; il se détend et sourit même un peu, caché derrière le masque. Il ne passera, peut-être, pas un si laid moment pour l’échange du carnet.
Bientôt, il peut retrouver son journal intime et amorce le geste identique pour rendre celui de l’inconnu. Il le serre contre lui, heureux d’être à nouveau en sa possession, et ravi d’apprendre que le garçon n’a pas mis son nez dedans. Peut-être comprend-t-il en partie le portugais, mais toujours est-il que certaines choses étaient rédigées en anglais, il aurait été mal à l’aise de devoir justifier ses dépressives idées.
C’était l’une de ses plus grandes craintes : que quelqu’un découvre que derrière son silence et sa gentillesse se cache un mal-être profond donnant des envies pas vraiment bienveillantes envers lui-même et puis rarement, les autres.
Que penserait-on de lui ? Qu’il est un idiot en quête d’affection et d’attention ? Préviendrait-on les autorités compétentes, qui le forceront à suivre un traitement dont il ne veut pas forcément entendre parler ? Que toutes les lumières seront pointées sur lui et ses problèmes ridicules et insignifiants ? Quel soulagement de ne pas avoir été découvert cette fois !
– Merci de ne pas avoir été curieux. Vraiment. Moi de même, je n’ai pas mis mon nez dans tes affaires. Car ça ne me regarde pas !
Il sourit encore. Ses yeux semblent réjouis, sincères. Son cœur bat toujours un peu vite, mais il se calme peu à peu.
– Comment tu t’appelles, si ce n’est pas indiscret ? Moi, c’est Avelino. J’ai dix-huit ans, je suis en cursus artistique.
Et plus il détaille le visage de son vis-à-vis, plus il se rend compte qu’ils se sont sûrement déjà croisés à l’occasion au détour d’un couloir. Même qu’ils dorment au même étage. Un deux étoiles, comme lui. C’est bête de ne connaître personne à cause de la timidité. Parfois, on peut faire de jolies rencontres.
– Enfin… je ne vais pas te déranger plus longtemps. Tu dois être très occupé ! Je suis vraiment désolé d’avoir piqué ton carnet.
Pour lui, ça l’est en tout cas. Toutefois, ça n’aurait pas dérangé certaines personnes de fourrer leur nez et de se repaître de son contenu comme on enchaine goulûment les épisodes d’une série. Les petits secrets et les états d’âme des uns satisfont les autres. Heureusement, le jeune homme semble être sur la même longueur d’onde que lui. À cette pensée, son sourire s’agrandit. Et à force de fixer son interlocuteur, une impression de déjà-vu le surprend. Est-ce la carrure ? Le masque ? Ne se sont-ils pas croisés quelque part déjà ? Poser cette question ou la taire ? Le prendrait-il mal s’il la posait ?
— Teagan, j’ai 20 ans et je suis en spé sport…
20 ans, plutôt 21 ans bientôt. Mais il ne les a pas, alors il peut bien s’accrocher encore à ce chiffre rond. Comme il s’accrocherait bien à ce moment. Quand on a du mal à sortir de sa coquille, toutes les occasions sont bonnes pour rencontrer des gens. Encore et toujours son même problème, ce besoin de contacts, d’avoir des personnes dans sa vie et en même temps, les peurs qui se réveillent.
Ses lèvres s’entrouvrent. Une respiration. Peut-être qu’Avelino a mieux à faire. Peut-être qu’il le retient, mais que l’adolescent n’ose pas le dire. Que ce dernier est juste poli.
— Tu me déranges pas.
Il ponctue cette affirmation d’un sourire. Maintenant, il faut prendre son courage à deux mains. Après une grande inspiration, il se lance :
— Est-ce que tu peux rester un peu plus longtemps ? Sauf si tu as un truc important à faire, je comprendrais…
Marcher sur des œufs. Avoir peur d’outrepasser ses droits. Les limites. De forcer son chemin dans la vie de quelqu’un qu’il ne connait pas. Il malmène son carnet entre ses doigts.
— Avelino ? C’est peut-être indiscret, désolé, mais c’est de quelle origine ?
Teagan pourrait répéter plusieurs fois « désolé ». Il le sait. Ce qu’il est en train de faire n’est pas naturel pour lui, mais sortir de sa zone de confort promettrait sans doute une belle surprise, non ?
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Pourquoi son interlocuteur sourit-il aussi largement ? Est-ce lui qui lui fait étirer ainsi ses lippes ? Et pourquoi ? A-t-il dit quelque chose de particulièrement comique ou ridicule ? Avelino ne sait plus. Il est perdu dans l’océan de ses pensées. Perdu dans les jolis yeux de son interlocuteur. Lui aussi sourit, plus timidement. Oh bien sûr, ça ne se voit pas, alors sa mine paraît peut-être un peu triste.
– Oh, enchanté !
Il sait à qui il a affaire. Il sait qui il a bousculé la veille sans trop de douceur. Il connaît son nom, son âge et ce qui le motive dans la vie. C’est bien. Ce sans-visage en obtient désormais un, et un tout joli. C’est satisfaisant.
Mais il est temps de se quitter, déjà. Peut-être à l’avenir saluera-t-il gentiment Teagan quand il le croisera dans les couloirs. Il ne sait pas. Sera-t-il plus attentif à sa présence dans le corridor qui mène à leurs chambres ? Il y veillera.
Mais il retire de cette rencontre succincte une impression agréable. Juste la crainte d’être à présent ignoré par le jeune homme comme ça se passe parfois. Ce sont des choses qui arrivent. C’est triste mais c’est comme ça. Ne pas être désiré fait partie de la vie.
Sauf que Teagan ne veut pas qu’il parte. Et l’étonnement maintenant se peinturlure sur les traits maigres d’Avelino. Son cerveau cherche réponse aux questions qu’il se pose désormais mais n’en trouve pas ; c’est Teagan seul qui pourra les lui apporter.
– Pou… pourquoi veux-tu que je reste ? Ce n’est pas que ça me dérange, bien sûr ! Mais je suis… surpris.
Une des premières fois que des mots si doux coulent jusqu’à ses oreilles. C’est agréable, ça fait du bien. Son cœur se serre autant qu’il se réchauffe. Il sourit bientôt plus franchement.
– Tu veux vraiment que je reste ? C’est vrai ? Merci beaucoup !
Trop d’enthousiasme pour une phrase toute simple qui ravit son organe de vie. Il croise les bras sur sa poitrine et répond à la question érigée par sa désormais connaissance :
– Je suis Portugais. Et toi ? Tu viens d’où ?
Puis il songe à quelque chose. Leur présente position n’est pas des plus confortable pour papoter et apprendre à se connaître – si le jeune homme ne lui fait pas une vilaine blague pour se moquer de lui.
– Tu veux aller déguster un chocolat chaud à la cafétéria ?
À défaut de ne pas être en ville. Mais non Avelino, c’est précipité. Ce n’est pas bien.
Pourquoi est-ce qu’Avelino pose une telle question à quelqu’un comme lui ? Qui lirait et relirait un guide des relations humaines. Qui suivrait tous les tutoriels possibles afin de percer le mystère des interactions. Ce serait à la fois une manière d’éviter les échecs et limiter les blessures. Si seulement, hein. Mais Avelino ne lui donne pas l’impression d’être pétri de malice. Sa voix, ses intonations. Douces, rassurantes. Rien à voir avec les notes d’agressivité qu’il a déjà pu entendre. Sauf que s’il mentionne sa voix, il va passer pour un type étrange. Il vaut mieux juste avouer ce que cette dernière lui évoque.
— T’as l’air sympa, et j’aimerais bien discuter avec toi…
Mélange de curiosité et d’espoir. Se sentir à l’abri auprès de quelqu’un, comme se protéger, comme se laisser réchauffer par la douceur.
Toutefois, la tension habite son corps. Elle ne disparaît que lorsque l’étudiant accepte. Le soupir de soulagement frôle ses lèvres. Teagan les humecte pour mieux le ravaler. Le plus difficile n’est pas fait. Pour extraire ses compétences en matière de bavardage, il faudrait s’y prendre au tractopelle. Seulement, on ne refait pas le monde aux premiers échanges.
— Je suis britannique, j’ai grandi à Londres.
Ça fait moins voyager que le Portugal, qu’il se dit après avoir répondu.
Mais il n’y a qu’une seule identité qu’il se voit réclamer. Parce que c’est plus simple. Parce que ça sonne juste quand il le dit. Tout comme la suggestion d’Avelino sonne terriblement juste à ses oreilles. Quelqu’un a dit chocolat chaud. Quelques marshmallows ajouteraient un petit plus à celui de la cafeteria. Ou peut-être une pointe de piment avec le chocolat et une bonne dose de crème fouettée.
— Avec plaisir !
L’enthousiasme qui s’élève dans sa vie manque de lui soutirer un rougissement. Il toussote, un brin gêné. Ses faiblesses apparaissent, d’elles-mêmes. Pas joli, joli, ça. Pour qui va-t-il passer ? Plutôt que de s’attarder sur cette pensée, il s’efforce de profiter de cet instant au mieux pour continuer la conversation.
— Si tu es en spécialisation artistique, est-ce que tu as une discipline de prédilection ?
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Et Avelino ne se rend pas compte qu’il pose d’étranges questions. Que ce n’est peut-être pas ce qu’on demande à quelqu’un qu’on rencontre pour la première fois. Que c’est potentiellement gênant pour son interlocuteur. Non, Avelino il a du mal avec les interactions sociales mais ça n’est pas méchant.
Toutefois, il répond, et le grand brun est plus que ravi de ce qu’il peut entendre. Un magnifique sourire se dessine sur son faciès masqué et la joie se lit clairement dans ses yeux sombres.
– Oh, c’est gentil ! Merci beaucoup !
Sympa, il l’est. Un peu trop sans doute. Mais est-ce bien sa faute ? La bienveillance est ancrée en lui au fond de son cœur, même si elle se teinte en ce moment d’ombres plus brutales. néanmoins, ses mots le touchent au fond. Il ne lui en faut pas beaucoup pour ressentir le bonheur simple du contact humain, même simplement mental.
Il hoche tout doucement la tête lorsqu’il lui annonce ses origines. Oh, il aurait imaginé des contrées plus orientales, mais qu’importe ? Il ne va pas juger ce jeune homme sur ses origines. Puis, Londres, ça doit être fort bien ! Malheureusement, il n’a que peu voyagé. L’Académie lui a volé ces moments insouciants de la découverte du monde qui l’entoure. Et il se demande s’il aura un jour l’occasion de dépasser les frontières de son pays natal, quand on l’y renverra, pense-t-il, après la fin de ses études ici à l’Académie.
Le métier d’artiste ne rend pas riche, de ce qu’on lui a toujours dit.
À son grand étonnement, son vis-à-vis accepte l’invitation de se voir dans un futur immédiat autour d’une délicieuse tasse de chocolat chaud. Il le dit même avec le sourire ! Et ça lui plaît. Ça égaie son cœur tout froid et il est vrai qu’il a très envie de partager une boisson chaude en sa compagnie. Ils se mettent donc en route sans plus tarder. Avelino, confus, garde les mains dans les poches de son pantalon car il ne sait jamais quoi en faire. Oui, il est intimidé.
Mais le silence ne se fait pas gênant entre eux. Car Teagan lui parle, il aborde des sujets intéressants et ça le réchauffe déjà un peu.
– Je sculpte et dessine principalement. Mes univers sont assez fantastiques et mythologiques. Parfois, je demande à des personnes croisées dans le couloir de prendre un rapide croquis d’elles. Puis, je crée tout un monde tout autour ! Je pense que les gens aiment bien.
Bientôt, ils arrivent à la cafétéria. Ils peuvent s’asseoir et poser leurs affaires. Avelino n’a que son sac de son cours où est désormais bien protégé son joli carnet. Il se faut se servir, maintenant. Il a très soif.
Plus il écoute Avelino, plus ses paroles l’intriguent. Fantastiques et mythologiques. L’oreille tendue, il essaie de se représenter les univers du jeune homme. A-t-il déjà aperçu les œuvres du jeune homme sans le savoir ? Dans son esprit, les questions se bousculent, et il ne sait pas laquelle choisir en priorité. Certaines peuvent se faufiler naturellement dans le flot de la conversation, plus tard.
— Tu crées ta propre mythologie ou tu t’inspires de celles qui existent déjà ?
Une fois le seuil de la cafétéria franchi, Teagan observe les alentour. Puis imite Avelino et s’installe. L’interrogation manque de lui soutirer un sourire mélancolique. Son rapport aux autres contraste avec ses sports préférés. Peut-être est-ce pour ça qu’être un membre à part d’une équipe lui convient mieux. Même s’il se contentait de regarder un match, son métier justifierait la raison de sa présence, de son existence.
— J’aime bien les sports d’équipe d’une manière générale, mais je m’intéresse surtout à tout ce qui est préparation physique, nutrition des sportifs… J’aimerais bien travailler dans un club dans deux ou trois ans.
Cet objectif l’aide à garder le cap. Seulement, la maturité et l’assurance nécessaires lui font encore défaut. Des joueurs plus expérimentés ou plus âgés que l’intimideraient au point de douter de ses décisions. Pareil, en fonction de l’attitude de ses collègues. Des fois, il rêve d’une autre personnalité. Que quelqu’un lui arrache sa sensibilité pour de bon. Elle érode sa confiance en lui. Sait l’enchaîner à ses doutes. Tord sa vision du monde et de lui-même. Cette loupe déformante placée devant ses yeux ne s’attarde que sur les défauts et le négatif.
Pour éviter de ressasser cette sensation d’échec, de ne pas être capable d’aller de l’avant, il regarde Avelino.
— Qu’est-ce que tu sculptes ? Des bustes ? Des visages ? Ou tu fais, genre, des poupées à l’effigie des personnages que tu imagines ? Celles avec des joints…
Vague souvenir d’images aperçues lors d’une errance sur les réseaux sociaux. Comme d’habitude, son historique ne ferait pas sens. Même lui ne comprenait pas comment il était arrivé sur ces photographies. Le mystère des associations d’idées n’a pas toujours besoin d’être expliqué.
Un regard sur la faible queue, il se leva. La discussion pourra continuer autour du chocolat chaud.
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Sujet: Re: Morceaux d'âmes • Avelino Mar 19 Nov - 22:24
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Un échange. C’est tout simplement un échange qui se joue entre les deux jeunes hommes. Et ça réchauffe, bien sûr, le petit cœur d’Avelino. Ils peuvent discuter comme s’ils ne se connaissaient pas depuis cinq minutes et sur un malentendu. Comme c’est agréable ! Et Teagan semble intéressé par ce qu’il fait de ses journées, lorsqu’il a un peu de temps après les cours.
– Je me base sur des mythologies déjà existantes. Toutefois, il m’est arrivé de créer mes propres dieux. Enfin, je les insère dans quelque chose que tout le monde connaît, mais ils n’existent pas ! Est-ce que tu me suis ?
Parce qu’il faut bien l’avouer, c’est plutôt brouillon. Pour que ses explications soient plus claires, il sort de son sac, là où il a rangé son petit carnet, de grandes feuilles bien protégées. Et tout en marchant, il fouille dans ses dernières œuvres en date. Glisse une hors de son fourreau et l’indique au jeune homme à ses côtés.
– Lui par exemple c’est Phemmus, un Oracle. Je l’ai inclus dans la mythologie romaine, mais la vérité est qu’il n’existe pas ! Je l’ai créé !
Le jeune homme, bientôt, range son dessin avec le même soin. Il entend ensuite les explications de Teagan sur ses propres passions et il hoche la tête. Ça ne lui parle pas vraiment, mais il essaie de comprendre, vraiment. L’univers des autres est parfois un peu difficile à appréhender, mais il doit en être de même du sien. Il mettra bien des efforts à pénétrer ce qui fait vibrer sa nouvelle connaissance.
Mais pour le moment, il ne sait que murmurer un petit :
– Je vois… Je suis un bien piètre sportif, alors ce dont tu me parles n’est pas des plus aisés à comprendre ! Mais j’essaie, promis !
Il rougit un peu. Il se sent insultant. Teagan semble vraiment intéressé par ce qui lui plaît à lui, alors pourquoi n’arrive-t-il pas à lui rendre la pareille ? Quel idiot il fait.
Pourtant, une question fuse encore et il s’empresse à répondre avec gêne.
– Je m’inspire beaucoup des sculpture antiques. Mais également de celles qu’on peut trouver dans les églises ! C’est si joli ! Certains artistes sont tellement doués, je suis vraiment jaloux !
Et il sourit béatement. Le suivit dans son mouvement.
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